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En France, la consommation a de l’avenir

Les Français adoptent de plus en plus des pratiques collaboratives, comme le covoiturage. Pourtant, leurs achats d’équipements ne baissent pas.

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Publié le 09 janvier 2014 à 17h46, modifié le 26 janvier 2014 à 17h26

Temps de Lecture 8 min.

Au salon Mobile Tide, en 2010, à Tokyo.

 Les cadeaux de Noël sont définitivement désacralisés. Une fois de plus, les Français déçus par les présents sous le sapin se sont empressés de les revendre sur Internet au lendemain des fêtes. Avant le réveillon, 47 % d’entre eux envisageaient même d’offrir des vêtements, des jouets ou des objets de deuxième main, selon une étude TNS-Sofres publiée le 9 décembre 2013. Le souci de faire des économies reste la première motivation pour acheter d’occasion, mais l’explication ne se trouve pas seulement au fond du portefeuille : l’envie de « faire durer les objets » en leur donnant une seconde vie séduit 35 % des sondés. Pour 25 % d’entre eux, c’est aussi « un modèle de consommation meilleur pour la société » car il lutte contre le gaspillage.

La crise économique cacherait-elle une prise de conscience des consommateurs, augurant un développement plus durable de la société ? La sobriété pourrait-elle devenir le nouvel idéal d’un monde aux ressources finies et à la démographie galopante ? Ce sont les questions sur lesquelles a planché l’association de prospective Futuribles International, dans une vaste étude qui doit s’achever à la fin du mois de janvier. Pendant un an, l’équipe de scientifiques a passé au crible 300 postes de consommation de biens et services référencés par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) depuis 1960.

Son objectif ? Rechercher des points ou des signaux de rupture. « Nous avons étudié l’évolution, en volume, de la consommation des Français depuis cinquante ans et son impact sur les ressources, explique la chef de projet Cécile Désaunay. En repérant les tendances émergentes, nous allons construire des scénarios pour imaginer si et comment on peut se diriger vers un pic de la consommation matérielle à l’horizon 2030. »

LE « PIC DES OBJETS »

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Ce pic, c’est le concept phare d’une étude britannique qui a fait grand bruit, en 2011. L’économiste Chris Goodall avait alors assuré que le Royaume-Uni, berceau de la révolution industrielle et dont le PIB détient la 6e place mondiale, avait atteint un seuil maximum, puis une baisse, de la consommation de ressources matérielles. Ce peak stuff (« pic des objets »), comme il le nomme en se référant au peak oil (« pic pétrolier »), serait, selon lui, survenu entre 2001 et 2003, soit bien avant la crise économique.

« Au cours de la dernière décennie, le Royaume-Uni a moins consommé de voitures, d’énergie, de matériaux de construction, d’eau, de papier ou de viande. Le pays a aussi produit moins de déchets, indique Chris Goodall, spécialiste des questions énergétiques et climatiques, citant des données actualisées à l’appui de sa démonstration. Et ce, alors que le PIB et la population ont continué de progresser. »

Les causes probables de ce découplage entre croissance économique et consommation de ressources sont multiples : progrès technologiques, meilleure efficacité énergétique, dématérialisation, apparition de nouvelles valeurs chez les jeunes et les urbains, ou encore vieillissement des populations et saturation des marchés.

Si cette idée, qui réconcilierait économie et écologie, paraît séduisante, elle peine pourtant à être confirmée. L’étude de Futuribles, en France, note bien quelques pics (– 11 % pour les carburants depuis 1992, – 23 % pour les journaux et magazines depuis 2002) et quelques seuils (pour la viande, les voitures, les meubles), mais aucune véritable inversion de la consommation. « Certaines baisses cachent des effets de substitution, comme la consommation de viande qui est notamment compensée par celle de lait, fromage et œufs, ou les journaux papier qui diminuent au profit des ordinateurs et tablettes, remarque Cécile Désaunay. L’effet crise semble par ailleurs jouer puisqu’une partie des reculs commence en 2007. »

L’IMPACT « MATIÈRE » D’UN FRANÇAIS

Surtout, en incluant les ressources utilisées à l’étranger pour fabriquer les biens importés, l’impact « matière » d’un Français se voit doublé, selon une étude publiée en octobre 2013 par le Commissariat général au développement durable, qui épingle les « faces cachées » de la demande. Au bout du compte, la consommation augmente de manière continue en France depuis 1960, à l’exception de l’année 2012, qui a connu un recul historique de 0,9 % du pouvoir d’achat des ménages.

La crise n’a donc pas mis fin à la société de consommation, mais elle a néanmoins conduit les Français à modifier leurs manières de consommer. Alors que les dépenses contraintes augmentent (le logement représente 20 % du budget des ménages, contre 10 % en 1960), de nouvelles pratiques collaboratives émergent : achat en occasion, location, troc, faire soi-même, glanage, vélo-partage, covoiturage ou encore Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) sont de plus en plus fréquents.

En 2013, selon le bilan de l’Observatoire société consommation (Obsoco), paru en novembre 2013, 17 % de Français ont ainsi loué une voiture, 25 % ont eu recours au covoiturage, dont 10 % régulièrement, 12 % ont mis un couchage à disposition d’un tiers (« couchsurfing ») et 38 % ont déjà récupéré des objets déposés sur le trottoir. Les sites qui assurent ces échanges horizontaux sont légion : l’incontournable Leboncoin (deuxième site le plus fréquenté, en temps passé, dans l’Hexagone après Facebook), mais aussi Zilok, E-loue, Videdressing, La Ruche qui dit oui !, BlaBlaCar, Airbnb ou Couchsurfing.

« En réalité, il s’agit avant tout de nouvelles façons de continuer à consommer, de maintenir son niveau de consommation malgré la crise », indique Nathalie Daméry, directrice de l’Obsoco. Si recréer du lien social, contourner les systèmes marchands ordinaires, soutenir l’économie locale ou faire un geste pour la planète fait partie des motivations de ces « consomm’acteurs » que les services marketing cherchent à apprivoiser, leur mobile principal est d’ordre économique. « Seule une frange très étroite de la population, militante, se détourne vraiment de la société de consommation », remarque le philosophe Dominique Bourg, professeur à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’université de Lausanne. La majorité adopte en effet une attitude ambiguë : 90 % des personnes interrogées par l’Obsoco estiment qu’on accorde trop d’importance à la consommation, mais 85 % la considèrent comme essentielle à la croissance économique et à l’emploi. Enfin, 71 % pensent qu’elle contribue directement au bonheur.

« OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE »

Exemple révélateur de cette dualité : l’ambivalence des Français face à la fameuse « obsolescence programmée » des objets. Les consommateurs croient presque tous que les fabricants conçoivent délibérément des produits qui s’usent ou tombent en panne rapidement afin de les obliger à renouveler constamment leur stock, mais la plupart d’entre eux n’attendent pas la fin de vie de leurs équipements pour en changer. Pour preuve, le renouvellement moyen d’un téléphone portable s’effectue tous les dix-huit à vingt-quatre mois, alors que leur durée de vie est bien plus élevée.

« Les industriels n’ont plus besoin de construire des produits durables, car les utilisateurs en devancent les défaillances techniques, regrette l’économiste Serge Latouche, penseur de la décroissance et auteur de l’essai Bon pour la casse. Les déraisons de l’obsolescence programmée (Les liens qui libèrent, 2012). A l’obsolescence technique s’est substituée une obsolescence psychologique et symbolique : le produit est rendu obsolète par les effets de mode, via la publicité. »

Cette quête du produit « dernier cri » a fait évoluer le rapport à l’objet. « La notion de propriété est en train de changer, observe le philosophe Dominique Bourg. Le téléphone portable a joué un rôle important dans cette mutation : il nous incite à privilégier la fonction à l’objet. Nous n’y mettons plus le même investissement affectif. » On est loin des meubles en bois massif des aïeux qui se transmettaient de génération en génération : la consommation remplit toujours une fonction de plaisir et de distinction, sociale ou individuelle, mais « l’objet est moins le symbole de la réussite, renchérit Cécile Désaunay. Il est moins sacralisé et plus utilitaire. Si l’on ne s’en sert plus, on n’a pas de scrupules à le revendre ».

Finalement, ce ne sont pas tant des valeurs qui régissent ces nouveaux modes de consommation qu’un système de contraintes, propre à chacun. L’anthropologue et professeur à l’université Paris-Descartes Dominique Desjeux les a listées : prix, temps, espace, charge mentale (stress), apprentissage, normes sociales et identité. Le bon sens et les préoccupations environnementales voudraient ainsi qu’on loue une perceuse ou un appareil à raclette au lieu d’en acheter un pour l’utiliser une fois par an, mais les contraintes de temps (aller sur un site et rencontrer le loueur) et de charge mentale (gérer le contact avec un inconnu) peuvent expliquer que l’on cède à l’achat. A l’inverse, la nécessité de réduire les dépenses ou de libérer de l’espace, dans des petits appartements saturés d’objets, peut entraîner une consommation collaborative.

INCITATIONS PUBLIQUES

« Il faut trouver comment lever ou réduire certaines de ces contraintes pour permettre un changement de la consommation plus large et plus vertueux », conclut Dominique Desjeux. Des collectivités locales ou des entreprises qui organisent le covoiturage entre le domicile et le travail peuvent, par exemple, réduire le poids de l’obstacle temps au profit du prix : deux conducteurs qui alternent la conduite sur un trajet de 20 kilomètres réalisent en moyenne 2 100 euros d’économie par an selon les calculs du site BlaBlaCar.

Autre levier possible : les incitations publiques. « La Corée du Sud a mis en place une Green Card, explique Cécile Désaunay, de Futuribles international. Elle donne des points transformables en argent quand on diminue sa consommation d’eau et d’énergie dans son logement et quand on favorise les transports en commun et les achats de produits “verts”. » Là encore, la motivation première reste financière.

L’état de notre porte-monnaie restera-t-il encore longtemps l’alpha et l’oméga de nos habitudes de consommation ? Lydie Ougier, chef du service écoconception et consommation durable de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), parie que « l’expérimentation, même sous la contrainte, de nouveaux modes de consommation peut nous permettre d’en voir les bénéfices et de les adopter de manière plus spontanée par la suite ». Reste à évaluer l’importance de l’effet rebond. Si les économies réalisées au quotidien grâce au covoiturage permettent d’acheter un billet d’avion plus polluant pour ses vacances, peut-on réellement réussir à réduire l’exploitation des matières premières ? Serge Latouche est fataliste : « A moins d’opter pour une société de l’abondance frugale, on ne sortira de l’hyperconsommation que par la force, avec l’épuisement des ressources. »

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