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Auteur de BD, un métier de plus en plus précaire

Plus de 50 % des professionnels du 9e art gagnent moins que le smic, selon une étude dévoilée au Festival d’Angoulême.

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Publié le 26 janvier 2016 à 18h20, modifié le 27 janvier 2016 à 12h11

Temps de Lecture 4 min.

Lors d'une manifestation, la

Il ne fait pas bon être auteur de bande dessinée en ce moment. Une précarité alarmante plane sur la corporation, comme en témoigne une enquête réalisée par la profession et à laquelle Le Monde a eu accès avant sa communication au Festival d’Angoulême, qui se déroule du 28 au 31 janvier. Plus d’un auteur sur deux (53 %) ayant répondu y déclarent toucher un revenu inférieur au smic brut, et même au seuil de pauvreté pour 36 % d’entre eux. La situation est pire pour les femmes : 67 % des auteures interrogées disent gagner moins que le smic, et moins que le seuil de pauvreté pour 50 % d’entre elles.

Après la polémique provoquée par l’annonce d’une première liste de trente noms exclusivement masculins pour l’élection du prochain Grand Prix (Le Monde du 7 janvier), ces données ne vont pas contredire l’idée selon laquelle les femmes ont plus de difficultés que les hommes dans le 9e art.

L’enquête des Etats généraux de la bande dessinée, du nom de l’association d’auteurs qui l’a menée, fait suite à un débat sur la précarisation du métier organisé lors du dernier Festival d’Angoulême. Une marche dans les rues de la ville avait rassemblé 500 professionnels contre un projet d’augmentation des cotisations de retraite complémentaire. Afin de réaliser une « photographie » de la corporation, un questionnaire a été envoyé à l’automne à 3 000 personnes – 1 300 auteurs déjà identifiés, mais aussi des coloristes, des scénaristes occasionnels et des jeunes diplômés d’école spécialisée. La moitié ont répondu, en se répartissant eux-mêmes dans les catégories « amateurs » (15 %), « professionnels précaires » (53 %) et « professionnels installés » (32 %).

«  Sentiment d’injustice  »

La faiblesse des revenus n’est pas le seul enseignement de l’étude. Celle-ci dévoile aussi que 50 % des répondants travaillent plus de quarante heures par semaine, et que, pour 80 % d’entre eux, le travail empiète sur au moins deux week-ends par mois. Afin de diversifier (et d’augmenter) leurs ressources, 71 % ont par ailleurs un emploi parallèle, en général dans un autre domaine artistique ou dans l’enseignement.

Leur protection sociale, enfin, s’avère particulièrement faible : 88 % des professionnels interrogés n’ont jamais bénéficié d’un congé maladie, souvent par manque d’information. « Un sentiment d’injustice anime les auteurs, qui ont l’impression de cotiser dans le vide », note l’écrivain et scénariste Benoît Peeters, président des Etats généraux de la bande dessinée.

Les raisons de ce contexte sont nombreuses, et connues : hausse des prélèvements obligatoires dans les métiers artistiques, baisse des ventes en librairie, diminution des droits d’auteur… Alors qu’il n’y a jamais eu autant d’albums dans les rayons – 4 000 nouveautés par an, contre 700 il y a trente ans –, un prolétariat de la bande dessinée semble s’être formé au fil des années. Si les grands noms continuent de très bien gagner leur vie (l’un d’eux a fait état d’un à-valoir de 160 000 euros), c’est surtout « la catégorie médiane des auteurs qui voit sa situation se dégrader », souligne Benoît Peeters.

« Le profil des auteurs risque de changer »

Jeanne Puchol, 58 ans, appartient à cette tranche de créateurs, « ni hyperconnus ni marginaux, qui souffre en ce moment ». Alternant les parutions chez les grands et les petits éditeurs, cette ancienne story-boardeuse publicitaire publie depuis 1983, mais ne s’est exclusivement consacrée à la BD qu’il y a neuf ans. Elle a connu l’âge d’or des magazines comme (A suivre), qui payaient une première fois les planches à l’unité avant qu’un éditeur ne les achète une deuxième fois sous la forme d’à-valoir. Ses ventes dépassaient alors 10 000 exemplaires par ouvrage. Elles sont moitié moindres désormais. En ajoutant ses cours d’illustration pour la Ville de Paris, Jeanne Puchol touche aujourd’hui le smic. La vente d’originaux lui permet d’empocher « un 13e mois ».

« Il faudra avoir ses parents derrière soi. Le milieu va s’embourgeoiser »

Les choses ont changé, selon elle, le jour où les maisons d’édition traditionnelles sont entrées dans le giron de grands groupes. « Les coûts de fabrication ont été tirés vers le bas pour faire baisser le prix de revient des livres. La dernière variable d’ajustement était l’auteur », dénonce-t-elle. L’avènement du roman graphique – un format plus petit avec davantage de pages et un dessin moins élaboré – aurait également contribué à appauvrir la profession, poursuit Jeanne Puchol : « Le paiement à la page a été remplacé par le forfait. Tout dépend bien sûr de l’investissement que chacun met dans son travail, mais ramené au taux horaire, un roman graphique est payé au lance-pierre. »

Dans ce climat, un certain pessimisme pèse sur le secteur. 66 % des auteurs interrogés dans l’enquête pensent que leur situation va se dégrader lors des prochaines années. « Le profil des auteurs risque de changer également, redoute Mme Puchol. La bande dessinée est un mode d’expression populaire auxquels ont toujours eu accès des gens d’extraction modeste, comme Gir ou Mézières. Ce ne sera plus possible demain. Il faudra avoir ses parents derrière soi. Le milieu va s’embourgeoiser, et les thématiques traitées ne seront plus les mêmes. »

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