En Cisjordanie, une appli pour passer plus vite aux checkpoints

En Cisjordanie, une appli pour passer plus vite aux checkpoints

Quelques minutes ? Plusieurs heures ? L’attente aux checkpoints, c’est la loterie. Un jeune homme de 20 ans a confectionné une appli qui aide les Palestiniens à perdre moins de temps.

Par Elsa Mourgues
· Publié le · Mis à jour le
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(De Qalandiya) Entre les vrombissements de moteurs et les coups de klaxons aussi inutiles qu’irritants, la voiture de Murad Mansur avance. Mètre après mètre. Si lentement que son voisin d’embouteillage a le temps de griller trois ou quatre cigarettes. 

Murad, 22 ans, habite à Beit Hanina, un quartier de Jérusalem­-Est, et travaille comme coiffeur à Ramallah. Tous les jours ou presque, le jeune Palestinien doit traverser le checkpoint de Qalandiya

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Murad Mansour, 22 ans, utilisateur d'Azmeh
Murad Mansour, 22 ans, utilisateur d’Azmeh - Elsa Mourgues/Rue89

Trois heures d’attente au checkpoint

Selon Google Maps, il lui faut vingt minutes pour rentrer chez lui. En pratique, il n’est pas rare qu’il mette trois heures.

« Le problème, c’est que c’est imprévisible, ça dépend du bon vouloir de l’armée israélienne. C’est ça l’occupation. »

Alors dès qu’il a vu sur Facebook qu’une nouvelle appli – gratuite –, Azmeh, décrivait en temps réel la situation à chaque checkpoint, il l’a aussitôt téléchargée.

Le principe est simple : les automobilistes palestiniens indiquent par un code couleur le temps qui leur faut pour traverser tel ou tel checkpoint et préviennent ainsi les autres utilisateurs. Ces derniers peuvent alors prendre leurs dispositions :

  • vert : environ quinze minutes ;
  • orange : plutôt trente minutes ;
  • rouge : au moins une heure ,
  • noir : c’est même pas la peine d’essayer.
L'application sur smartphone
L’application sur smartphone - Elsa Mourgues/Rue89

Une sorte de système D version hi­gh-tech. Pas vraiment révolutionnaire, mais ça améliore pas mal le quotidien :

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« Il y a quelques semaines, je suis resté bloqué six heures au checkpoint. Six heures ! C’est pitoyable et en plus, tu ne peux rien faire. Rien. Donc tu attends. Si j’avais eu l’appli à ce moment-­là, j’aurais pu le savoir avant et passer par un autre checkpoint. »

Effectivement, les checkpoints, en Cisjordanie, ce n’est pas ce qui manque. L’ONG israélienne B’tselem en dénombrait 96 en 2015, auxquels il faut ajouter de nombreux checkpoints volants.

Une appli qui améliore le quotidien

Au volant de sa voiture, le coiffeur palestinien explique que désormais, il vérifie son smartphone « à chaque fois qu’il quitte son travail » quand un autre aspect des checkpoints vient piquer les yeux. Les brûler même. Le vent ramène des effluves de gaz lacrymogène en direction de la file de voitures. Les automobilistes pris au piège se contentent de remonter leurs fenêtres à la hâte, les yeux rougis. De quelques voitures s’échappent des pleurs d’enfants.

Murad soupire :

« C’est Qalandiya, tous les jours il y a des jeunes qui jettent des pierres sur le mur et les soldats leur tirent du gaz. Je ne les ai même pas vus cette fois. »

L’application a beau faire gagner du temps, il n’y a pas encore de bouton « alerte tir de lacrymo ».

Basel Sader, crateur de l'application Azmeh
Basel Sader, créateur de l’application Azmeh - Elsa Mourgues/Rue89

Cela dit, l’application créée fin octobre se renouvelle sans cesse : « Au début il y avait les quatre plus gros checkpoints, aujourd’hui il y en a 28 », explique Basel Sader, le créateur de cette appli nommée Azmeh (« bouchons »).

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Ce jeune homme de 20 ans ajoute :

« J’ai reçu plein de messages de Palestiniens qui me demandaient d’ajouter les checkpoints qu’ils utilisent, j’ai même découvert des checkpoints dont je n’avais jamais entendu parler ! »

« Tu ne peux pas gérer ta vie »

Son application est née d’un ras-­le-­bol :

« Quand je vais voir ma tante qui habite à 2 km, je passe des fois en 3 minutes et d’autres fois ça peut prendre 1h30 ou 2 heures. Ce n’est pas juste chiant, c’est que tu ne peux pas gérer ta vie, prendre un rendez-­vous chez le docteur, aller travailler… »

Le créateur d’application revendique 12 000 utilisateurs « pour l’instant » et prévoit d’étendre son application à tous les checkpoints de Cisjordanie. Il vient aussi d’en développer une version en anglais.

Il ne se voit « pas vraiment » comme un résistant à l’occupation (« Tu veux juste que tes enfants arrivent à l’heure à l’école »). Mais il est assez d’accord avec un message de remerciements qu’un utilisateur lui a envoyé récemment : 

« J’attends le jour où l’occupation sera finie et alors on n’aura plus besoin de ton application. »
Bouchon devant le checkpoint de Qalandiya entre Ramallah et Jrusalem-Est
Bouchon devant le checkpoint de Qalandiya entre Ramallah et Jérusalem-Est - Elsa Mourgues/Rue89
Elsa Mourgues
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