Instagram, instrument de terreur contre l’opposition russe

Instagram, instrument de terreur contre l’opposition russe

Le président tchétchène Ramzan Kadyrov multiplie les intimidations sur le réseau social, où il est hyperactif.

Par Emmanuel Grynszpan, journaliste
· Publié le · Mis à jour le
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(De Moscou) La vidéo a été postée sur Instagram lundi par le dirigeant tchétchène (pro-Kremlin) Ramzan Kadyrov. On y voit deux dirigeants de l’opposition russe, filmés de telle sorte qu’on a l’impression de les observer depuis le viseur d’un fusil. Commentaire sous la vidéo :

« Kasyanov à Strasbourg cherche de l’argent pour l’opposition russe. Comprenne qui pourra ! »
Capture d'cran du post de Kadyrov sur Instagram
Capture d’écran du post de Kadyrov sur Instagram

Sans le contexte, on pourrait penser à une farce macabre. Mais Ramzan Kadyrov, qui joue de plus en plus souvent au porte-flingue du président russe, n’en est pas à son coup d’essai.

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Les « ennemis du peuple »

Hyperactif sur Instagram, il accumule les diatribes violentes à l’encontre de l’opposition russe, qu’il accuse de traîtrise contre la Russie et de comploter avec les services secrets occidentaux.

Reprenant une phraséologie stalinienne, il définit les opposants comme la « cinquième colonne », « des ennemis du peuple » « sans patrie » qui doivent être « châtiés » ou placés dans des hôpitaux psychiatriques, en référence au traitement infligé aux dissidents vers la fin de l’URSS.

Mais les menaces de Kadyrov ne sont pas simplement virtuelles. L’enquête sur le meurtre, il y a bientôt un an, d’une figure historique de l’opposition (Boris Nemtsov), a abouti sur des assassins tchétchènes liés à l’entourage de Ramzan Kadyrov.

Ramzan Kadyrov au Kremlin,  Moscou, le 18 septembre 2014
Ramzan Kadyrov au Kremlin, à Moscou, le 18 septembre 2014 - MAXIM SHEMETOV/POOL/AFP

Une partie de l’opposition le croit aussi commanditaire du meurtre de plusieurs journalistes et défenseurs des droits de l’homme, dont Anna Politkovskaïa. Bref : les deux opposants figurant dans la vidéo ont toutes les raisons de se sentir menacés.

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L’ancien premier ministre Mikhaïl Kassianov a réagi vivement mardi sur Facebook, exigeant de Vladimir Poutine qu’il sanctionne un homme qu’il « a personnellement nommé » au poste de dirigeant de la Tchétchénie. « C’est une menace de meurtre claire et sans détour », note Kassianov, qui rappelle que Kadyrov a qualifié de « vrais patriotes » les assassins de Boris Nemtsov.

Vidéo retirée par Instagram

L’autre opposant figurant dans la vidéo, Vladimir Kara-Mouza, a de justesse réchappé d’un mystérieux empoisonnement cet été.

Instagram a supprimé la vidéo au bout de quelques heures mardi, arguant qu’elle enfreignait son règlement (menaces et incitations à la violence).

Ramzan Kadyrov a aussitôt réagit par un post :

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« Il a suffi de quelques mots sur les chiens de garde des USA pour qu’ils suppriment le post d’Instagram. La voilà, la liberté d’expression à l’américaine tant vantée ! »

Du côté du Kremlin, la réaction a été d’ignorer le scandale. Le Kremlin « ne suit pas le compte Instagram de Ramzan Kadyrov », a affirmé son porte-parole Dmitri Peskov. Une cécité très sélective, car de simples citoyens russes sont de plus en plus fréquemment poursuivis en justice pour des posts hostiles au pouvoir.

D’ailleurs, le Kremlin suit de très près tout ce qui touche à la politique sur la Toile. Un article paru lundi sur la fille aînée du président russe sur le site russe du New Times a immédiatement fait l’objet d’un avertissement du régulateur des médias (le CSA russe) et son site a subi une attaque DDoS qui l’a rendu inaccessible toute la journée.

Vladimir Poutine, qui est réfractaire à Internet et absent des réseaux sociaux, confirme fréquemment son soutien à Ramzan Kadyrov. La semaine dernière encore, le président russe l’a remercié pour son « travail efficace ».

Emmanuel Grynszpan, journaliste
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