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Les victimes du 13 novembre face aux ratés et aux silences de l’administration

Lors de la commission d’enquête de l’Assemblée sur les « moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 », les victimes s’en sont pris à la réponse politique apportée par le gouvernement.

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Publié le 15 février 2016 à 18h33, modifié le 16 février 2016 à 08h18

Temps de Lecture 4 min.

Une rose nichée dans un impact de balles, dans la vitrine d'un restaurant japonais près de La Belle Equipe.

Grégory Reibenberg « voulai[t] profiter d’être ici pour dire tout cela ». Qu’importe si ce n’est pas exactement le sujet de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux « moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 » qui l’auditionnait lundi 15 février, avec d’autres victimes ou proches de victimes du 13 novembre, le dirigeant de La Belle Equipe avait des choses sur le cœur qu’il voulait sortir.

Comment, par exemple, « quarante-huit heures après », un reportage a-t-il pu être diffusé à la télévision, où on pouvait le reconnaître à l’intérieur de son établissement, aux côtés de son ex-femme, mortellement blessée ? « Extrêmement choqué », M. Reibenberg ne craint qu’une chose : que sa fille, encore très jeune, tombe un jour sur ces images. Pourquoi également, « quand on tape Bataclandans Google image, ce sont encore les photos de l’intérieur que l’on voit », comme l’a rappelé Caroline Langlade, qui se trouvait dans la salle de concert ce soir-là ?

Dès le début de ces toutes premières auditions de la commission d’enquête, Georges Salines, président de l’association 13 novembre : fraternité et vérité, a donné le ton : « Nous avons mille questions, et nous attendons des réponses, notamment de cette commission. »

Une « administration pesante, procédurière et déshumanisée »

Pourquoi encore, après les attentats, « des familles ont attendu trois jours, d’autres ont veillé le corps d’un enfant qui n’était pas le leur » ? Pourquoi a-t-il fallu attendre le remaniement du jeudi 11 février pour avoir une secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes, et donc peut-être enfin un guichet unique ?

« De nos jours, gérer un fichier Excel avec 130 personnes ne me paraît pas insurmontable », a estimé Sophie Dias, qui a rencontré le plus grand mal pour avoir des nouvelles de son père, tué à côté du Stade de France. Devant les députés, elle a souligné que, le soir des attentats, « le numéro vert n’était pas accessible depuis l’étranger où [elle se] trouvai[t] ». « Quand ma mère, qui était en France, appelait, on lui disait que si elle n’avait pas de nouvelles c’était plutôt bon signe… Ce n’était pas le cas. Ce n’est qu’au bout de quarante-huit heures que j’ai eu un appel du Quai d’Orsay pour savoir si j’avais eu des nouvelles de mon papa », poursuit-elle. Une « administration pesante, procédurière et déshumanisée » dénoncée également par Caroline Langlade, vice-présidente de l’association Life for Paris.

Quant aux moyens de protection, « comment se fait-il que le plan Vigipirate ne prévoyait pas de mettre quelques personnes à l’entrée des salles de concert ? », a également questionné Alexis Lebrun, qui a réussi à échapper au massacre. « Comment était déployé le dispositif ce soir-là ? Pourquoi certains lieux sont tout le temps protégés, même quand ils sont vides, et d’autres non alors qu’ils sont pleins ? »

Comment se fait-il, encore, que Caroline Langlade ait eu tant de problèmes de communication avec les secours quand elle se trouvait à l’intérieur du Bataclan, prise en otage par les terroristes ? Obligée de chuchoter, elle n’arrivait pas à se faire entendre de son interlocutrice : « Je lui ai dit Je ne peux pas parler plus fort, je suis prise en otage” et tous les autres me disaient de faire moins de bruit. Elle m’a répondu “Ok, mais vous bloquez la ligne pour des vraies urgences” », a-t-elle rapporté devant les députés, encore sidérée de cet échange.

« Comment un terroriste interdit de territoire français se retrouve à diriger une attaque de cette ampleur ? », a, à son tour, demandé Mohammed Zenak, dont la fille a survécu à l’attaque du comptoir Voltaire.

« Il faut comprendre ce mécanisme pour pouvoir lutter contre »

Et, surtout, pourquoi « quand j’allume la télé ou la radio, la seule chose dont j’entends parler, c’est de la déchéance de nationalité ? C’est donc ça la réponse ? », s’est énervé Grégory Reibenberg, déplorant que « face à un problème de moteur, on parle de la couleur de la banquette. »

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En d’autres termes, tous ou presque s’en sont pris à la réponse politique apportée par le gouvernement. Après avoir perdu des proches, ou avoir eux-mêmes vu la mort passer de très près, les personnes auditionnées au Palais-Bourbon ont presque tous exprimé leur besoin de « comprendre » le comportement des terroristes, quand Manuel Valls estime, lui, qu’« expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ».

« Je serais le dernier à vouloir excuser celui qui a tué ma fille, mais il faut comprendre ce mécanisme pour pouvoir lutter contre. Il est absolument essentiel d’expliquer ce qui conduit des jeunes Français à prendre les armes contre d’autres jeunes Français », a plaidé Georges Saline, dont la fille a été tuée au Bataclan. « Ce sont des enfants de la République qui ont tué des enfants de la République. J’aimerais comprendre à quel moment on, la société française, les a perdus », a abondé Aurélia Gilbert, elle aussi rescapée de la salle de concert.

S’il a rappelé que cette commission d’enquête devra se concentrer sur les moyens de l’Etat et non sur le processus de radicalisation, le président Georges Fenech (Les Républicains, Rhône) n’a pu que reconnaître que, sur le reste, « les questions sont légitimes » et que les députés « vont devoir y répondre ». A raison de trois réunions par semaine, ceux-ci devraient rendre la conclusion de leurs travaux d’ici le mois de juillet.

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