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Jeb Bush, l’élite qui se délite

Elections américaines de 2016dossier
L’ancien gouverneur de Floride a jeté l’éponge samedi. Favori il y a un an, cet héritier d’une grande dynastie n’a jamais réussi à enflammer sa campagne.
par Frédéric Autran, Correspondant à New York
publié le 21 février 2016 à 19h31

Il n'y aura pas de troisième Bush à la Maison Blanche, en tout cas pas en 2017. Après une campagne aux allures de chemin de croix, passée à squatter les bas-fonds des sondages, le cadet de la dynastie Bush a préféré jeter l'éponge. Piteux cinquième dans l'Iowa puis quatrième dans le New Hampshire, l'ancien gouverneur de Floride connaissait l'enjeu de la primaire de Caroline du Sud, samedi : le podium ou la porte. Il n'y a pas eu de miracle, pas de percée surprise. Au contraire : avec 7,8 % des voix, Jeb Bush a achevé de creuser sa tombe, terminant quatrième derrière Donald Trump (32,5 %), Marco Rubio (22,5 %) et Ted Cruz (22,3 %). Premier candidat républicain à prendre la parole, alors que la moitié des bulletins restait à dépouiller, Bush a tiré les leçons de cette nouvelle défaite cinglante. «Ce soir, je suspends ma campagne», a-t-il déclaré, ému aux larmes.

Punching-ball. Il y a un an pourtant, Jeb Bush était présenté comme le favori pour l'investiture républicaine. Chouchou de l'establishment du parti et des riches donateurs, il semblait promis à un affrontement final avec Hillary Clinton. La presse américaine, à l'époque, remplissait des colonnes sur ce probable face-à-face entre les héritiers des deux dynasties politiques les plus puissantes du pays. Problème : à force d'être présenté comme le favori, Jeb Bush a fini par se convaincre qu'il l'était. Et quand les obstacles ont commencé à se dresser sur sa route, ni lui ni son équipe de campagne n'ont eu la lucidité suffisante pour changer de cap.

Le 15 juin à Miami, Jeb Bush annonçait officiellement sa candidature à l'investiture républicaine. Le lendemain, Donald Trump en faisait autant depuis sa luxueuse tour de la Ve Avenue à Manhattan. Un mois plus tard, le 20 juillet, le magnat de l'immobilier dépassait pour la première fois l'ancien gouverneur de Floride dans les sondages. Comme beaucoup, le cadet des Bush n'a pas pris Donald Trump au sérieux, persuadé que le milliardaire ne passerait pas l'été. Une erreur stratégique qu'il a payée au prix fort : leurs courbes de sondages ne se sont plus jamais recroisées.

A l'inverse, Trump a rapidement enfilé les gants. Et fait de Jeb Bush son punching-ball préféré, se moquant de son manque d'énergie et l'accusant de faiblesse sur le dossier de l'immigration. Lorsque le milliardaire critique vivement des propos de Bush qui, en 2014, estimait que l'immigration illégale était avant tout «un acte d'amour», plusieurs conseillers de l'ancien gouverneur plaident pour une riposte ferme. Ils suggèrent même un débat télévisé en tête-à-tête entre les deux hommes. Mais le directeur de campagne de Jeb Bush et sa plus proche conseillère, toujours convaincus que Donald Trump n'est pas une menace à long terme, en décident autrement.

Au lieu de s'en prendre à Trump, Jeb Bush et ses alliés ont préféré concentrer leurs attaques sur Marco Rubio, considéré comme la principale menace. Entre le maître et l'élève, le mentor et son protégé, la lune de miel a pris fin brutalement lors du troisième débat télévisé républicain. Ce soir d'octobre, beaucoup estiment que Jeb Bush a fait la plus grosse erreur de sa campagne, en reprochant à Marco Rubio son absentéisme au Sénat. «Marco, tu as été élu pour un mandat de six ans. Tu devrais te pointer ou bien démissionner pour faire campagne», avait sermonné Bush. Cinglante, la réponse de Rubio avait été chaudement applaudie : «La seule raison pour laquelle tu m'attaques, c'est parce que nous sommes candidats pour le même poste, et que quelqu'un t'a convaincu que m'attaquer allait t'aider.» Les attaques ont d'ailleurs continué. D'après l'équipe de Marco Rubio, sur les 35 millions de dollars (31 millions d'euros) dépensés en publicités négatives contre lui, 78 % l'ont été par Bush.

Colère. Au-delà de ces erreurs stratégiques, la candidature de Bush était, avec le recul, vouée à l'échec. Dans une atmosphère politique marquée par la colère de l'électorat et le rejet des élites, il a traîné comme un boulet ses positions modérées et son héritage familial. «Il n'a pas pu vendre son expérience à des électeurs qui voulaient de l'émotion. Il n'a pas pu échapper à son nom de famille. Ses millions n'ont pas pu lui acheter le soutien populaire», analyse Eli Stokols sur le site Politico. En un an, Bush et ses appuis ont dépensé en vain 150 millions de dollars, un record dans le camp républicain. Eli Stokols conclut, sans appel : «Le réel mystère de la campagne de Jeb Bush, ce n'est pas pourquoi il a échoué, mais comment quelqu'un a pu imaginer qu'il pourrait gagner.»

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