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MADAGASCAR

Des militaires déployés pour déloger des familles malgaches au profit d’un hôtel

Des militaires malgaches demandent à des habitants de Belinta, à Mahajanga, de quitter leur domicile. Toutes les images sont des captures d'écran d'une vidéo amateur.
Des militaires malgaches demandent à des habitants de Belinta, à Mahajanga, de quitter leur domicile. Toutes les images sont des captures d'écran d'une vidéo amateur.
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La semaine dernière, un huissier accompagné des forces de l’ordre malgaches a ordonné à plusieurs dizaines de familles d’abandonner leurs logements et leurs terrains situés dans une commune du nord-ouest de l’île. Motif : faire de la place pour la construction d’un hôtel. Mais les familles, installées pour certaines depuis des décennies avec l’aval tacite des autorités, refusent de quitter les lieux.

C’est une entreprise de BTP malgache, Madécasse, qui est en charge du chantier de l’hôtel. Le 15 février dernier, elle a mandaté un huissier qui s’est rendu à Belinta, la zone de la commune de Mahajanga concernée par l’opération immobilière, accompagné d’une cinquantaine de policiers, de gendarmes – dont des éléments de l’unité anti-émeute Emmoreg – et de militaires armés.

Selon Madécasse, 84 familles vivent sur le terrain en question. Mais selon un habitant, environ 1700 personnes - soit 300 familles - sont sommées d’évacuer les lieux.

Les habitants de Belinta manifestent contre un projet d'hôtel qui les oblige à quitter un terrain qu'ils occupent depuis de nombreuses années.

"La présence de ces habitants ne posait pas problème, la zone avait même été électrifiée"

Anne (pseudonyme) vit à proximité de Belinta, où elle connaît certains habitants.

Selon mes amis vivant à Belinta, l’huissier a simplement dit aux habitants qu’ils avaient deux heures pour quitter les lieux, et qu’ils savaient très bien qu’ils n’étaient pas chez eux. À vrai dire, c’est le cas : les habitants étaient au courant que le terrain ne leur appartenait pas, donc ils avaient une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Mais ils se sont installés sur place car il y avait des espaces disponibles où ils pouvaient construire des maisons, cultiver la terre… En raison du droit coutumier malgache, de nombreuses personnes vivent sur des terrains dont ils n’ont pas les documents légaux, mais qu’ils exploitent. D’ailleurs, la présence de ces habitants avait été institutionnalisée par les autorités, qui avaient fait construire des poteaux électriques et des arrivées d’eau dans ce quartier. Leur présence ne posait donc aucun problème jusqu’à aujourd’hui.

Après l'arrivée de l'huissier, les forces de l’ordre se sont mises en retrait. Mais les habitants – des pêcheurs et des petits vendeurs pour la plupart – n’ont pas bougé et ont même construit un petit barrage de pierres pour essayer d’empêcher l’accès au site. Du coup, les militaires sont revenus et ont tiré en l’air à deux reprises.

"Nous craignons que la situation ne dégénère"

Depuis, la situation est au point mort. Il y a toujours une trentaine d’éléments des forces de l’ordre sur place, qui se relaient 24 heures sur 24. Les habitants ne veulent pas partir car ils n’ont pas eu de proposition de relogement satisfaisante, sans compter que certains vivent sur place depuis très longtemps [un habitant joint par France 24 y vit depuis 1962, NDLR]. De nombreuses personnes âgées ont sorti leurs affaires de leur maison, mais elles sont restées sur place et dorment sur les terrains. Les militaires ont ensuite condamné les entrées de ces logements avec du bois. Désormais, les habitants sont dans l’expectative, mais ils ne veulent rien lâcher, donc ça risque de dégénérer.

La semaine dernière, une députée de l’opposition est venue soutenir les habitants. De son côté, le préfet de la région leur a proposé des tentes et leur a apporté du riz et des haricots. Mais les gens ont tout refusé, car ils ont eu l’impression que c’était uniquement pour les amadouer. Le problème, c’est que, comme souvent, les autorités ne s’expriment pas vraiment sur le fond du problème. Le tourisme local est assez important ici, en raison de la proximité des plages, donc un projet hôtelier serait économiquement viable.

Certains habitants ont sorti leurs meubles de leurs maisons qu'ils laissent sur les terrains.

La réponse de la société Madécasse

Contacté par France 24, le chef du service de la communication de la gendarmerie nationale a assuré que l’huissier était intervenu à la suite d’une décision de justice favorable à Madécasse, propriétaire de 19 hectares à Belinta. France 24 n’a pas pu avoir accès à cette décision de justice, malgré la sollicitation des avocats de l’entreprise. L’un d'eux précise toutefois :

Nous sommes propriétaires de ce terrain depuis 1970, après l’avoir acheté à un particulier. Mais des gens le squattent depuis des années. On a essayé de négocier avec eux à plusieurs reprises [une information confirmée par un habitant à France 24, NDLR], en leur proposant notamment de garder un petit bout de terrain, mais ils n’ont jamais accepté de se déplacer.

L’affaire est allée jusque devant la Cour suprême qui a confirmé que ces personnes devaient quitter les lieux. Nous avons le sentiment que les habitants sont instrumentalisés par des politiques locaux depuis le début d’année : le président malgache a expliqué dans un discours le 8 janvier dernier que les terrains inexploités par leurs ayants droit pourraient être rachetés par l’État et être distribués aux personnes qui les occupent et les valorisent. Ces habitants pensent peut être qu’ils pourraient devenir propriétaires des terrains et faire une plus-value en les revendant par la suite.

Les conflits fonciers sont fréquents à Madagascar, en raison du flou régnant autour du statut juridique de certains terrains. En janvier dernier, une proposition de loi adoptée par les députés le 18 mai 2015, portant sur la rétrocession des terres accaparées par des colons aux Malgaches – intitulée "Transfert à l’État des propriétés non exploitées et attribution des terres aux citoyens" – a été retoquée par le Conseil constitutionnel.

Les militaires malgaches encadrent une manifestation, et font face aux habitants qui campent sur leur position. 

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