LES PLUS LUS
Publicité
Publicité

"Comparé à Trump, Reagan, c’est Jean-Paul Sartre" - Guillaume Erner, sociologue et journaliste

Le sociologue et journaliste Guillaume Erner
Le sociologue et journaliste Guillaume Erner. © C. Hélie / Gallimard
Interview Elisabeth Chavelet , Mis à jour le

Pourquoi la soif actuelle de célébrité dans nos sociétés développe-t-elle un malaise inédit, une «pathologie du narcissisme», cette impression de ne pas être reconnu, de ne compter pour rien? C'est à cette question essentielle que répond Guillaume Erner, sociologue, universitaire et journaliste dans son livre à la fois érudit et croustillant d'exemples, «La souveraineté du people» (Ed. Gallimard- Le débat).

Paris Match. Vous distinguez deux types de people, ceux qui ne se travestissent pas, qui s'affichent tels qu'ils sont et tous les autres?
Guillaume Erner. Certains sont atypiques et cherchent à se singulariser par leurs excès : poser nu, prendre des substances prohibées, se quereller à tort et à travers. Ils s’appellent Lady Gaga, Justin Bieber ou Britney Spears. C'est la minorité. La majorité des people est constituée d’hommes et de femmes qui se présentent comme effroyablement normaux. Les nobles avaient du sang bleu, les héros étaient héroïques, la gloire de Jean Moulin découlait de son courage de résistant, les people d’aujourd’hui sont pour la plupart d’une grande banalité. Ou, s’agissant des princesses et des acteurs, ils veulent le faire croire. Aucune femme autrefois ne pouvait se prendre pour Marie-Antoinette. Toutes aujourd'hui veulent et peuvent ressembler à Charlène de Monaco ou Angelina Jolie qui font leurs courses et pour qui, elles y insistent, «seule la famille importe».

Publicité

A lire : «Mère, c’est le plus grand rôle de ma vie», confie Charlène de Monaco à Paris Match

La suite après cette publicité

Quelle est la conséquence de cette désinformation?
Dramatique, selon moi. Ce souci de se présenter comme des gens ordinaires est contre-productif car l’illusion de proximité affichée sonne faux. Elle accouche d’une société qui semble horizontale parce qu’elle refuse de montrer ses différences. Bref d’une société qui évolue dans l’apparence et la fausse transparence. Avec les frustrations qui s’en suivent.

La suite après cette publicité

Quelle différence entre un people acteur et un grand politique?
La différence s’appelle charisme. Pour Max Weber, le charisme est la qualité que les sociétés traditionnelles prêtaient à un individu doté d'un don originellement réservé à un dieu. De Gaulle est charismatique, et son charisme ne s’émousse pas. Les people, eux, ont un pouvoir magique. Loana est une magicienne. Mais la magie de la coqueluche de la presse people du premier Loft s’est muée en la chronique d’un délabrement.

"On peut avoir un comportement distinct dans la vie privée et dans le travail"

Les politiques ont-ils trop cédé à la tentation de la pipolisation?
Le président des Etats-Unis est devenu «celebrity in chief». Un ex-acteur, Ronald Reagan, est entré à la Maison blanche, Arnold Schwarzenegger est devenu gouverneur de Californie, et George Clooney pourrait se lancer en politique. Le phénomène s’étend en Europe avec Beppe Grillo, ex-comique ou Pablo Iglesias, leader de Podemos, animateur d’une émission de télévision. La France demeure un peu à l’écart de ce phénomène sauf exception de personnes recrutées pour leur célébrité, tels Bernard Tapie et Fréderic Mitterrand.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

François Hollande, qui voulait être «un président normal» est-il devenu un people normal?
Ni l’un ni l’autre. J'ai en revanche été surpris par les réactions suscitées en 2014 par un livre de la journaliste Cécile Amar «Jusqu'ici tout va mal». Elle y présentait François Hollande comme «un être sans affect», autrement dit faussement à l’écoute, en réalité dur, ne croyant qu’à lui même… Je rappelle que lorsqu'on demandait à François Mitterrand les qualités requises pour être un homme d'Etat, il répondait: «J’aimerais pouvoir dire le courage, mais je crains, hélas, que ce soit l’indifférence.» Des siècles de réflexions romanesques, philosophiques ou simplement humaines ont montré qu’on peut avoir un comportement distinct dans la vie privée et dans le travail.

A lire : Les confidences de François Hollande dans "Elle"

"Obama est un président anormal, l'inverse du people"

Couverture de La souveraineté du People Guillaume Erner

Quelle image avez-vous du président Barack Obama?
Je le qualifierais de «président anormal». Il est l’inverse du people car il a su garder beaucoup de distance. On ne sait rien de sa vie privée sinon qu’il est marié et a deux filles! Obama est l’un des dirigeants les plus intelligents dans le monde actuel. Sa popularité en témoigne. 

Et Donald Trump?
Il illustre le fait que notre époque connectée a complètement déconnecté mérite et notoriété. La célébrité, contrairement à la gloire, est devenue un statut indépendant des réalisations. Trump, n’est pas le businessman le plus «successful». Il est un héritier et il a fait plusieurs fois faillite. Mais il a compris que la célébrité pouvait lui ouvrir toutes les portes: faire de l’argent, passer à la télé et devenir président des Etats-Unis ou du moins le tenter. Il est la caricature du people inculte, ignorant même qui fut Mussolini. Comparé à lui, Reagan, c’est Jean-Paul Sartre.

A lire : Mitt Romney attaque "l'imposture" Trump

Internet et les réseaux sociaux ne sont-ils pas des accélérateurs de pipolisation?
L'idéologie de l'époque est parallèle à l'évolution technologique. Oui, les réseaux sociaux sont un accélérateur de pipolisation. Ils exercent une pression indirecte sur les medias traditionnels pour céder à cette mode. La preuve en est que quasi tous, même les plus sérieux, ont créé des sites Internet où le people s'est installé.

Contenus sponsorisés

Publicité