Il y a des générations qui ont connu le Bloc des gauches, d'autres le Cartel des gauches. La nôtre connaîtra peut-être la gauche des cartels voire la gauche écartelée. Ne soyons pas trop sévères. La gauche a toujours été fractionnée. Beaucoup des fractures de notre temps font penser à celles qui existaient déjà sous la Troisième République. On se souvient des affrontements entre républicains modérés, radicaux, radicaux-socialistes et blanquistes. À propos des terroristes anarchistes, qui posaient eux aussi des bombes aux terrasses de café. Une certaine gauche leur trouvait des excuses et chantaient leurs louanges. Des Républicains modérés votaient des lois au nom de la sécurité. Et une large partie la gauche socialiste combattait ces lois dite "scélérates". C'est au fond un peu ce qui se joue depuis le 7 janvier et depuis le 13 novembre, mais pas seulement.
Deux gauche irréconciliables ?
Manuel Valls, qui ne cache pas s'inspirer de Clémenceau, a parlé de deux gauches irréconciliables. Il a raison sur le terrorisme et l'islamisme. Le divorce est consommé entre la gauche qui voudrait faire taire Kamel Daoud et la gauche qui souhaite parler de tout. Entre la gauche relativiste qui continue, non pas d'expliquer mais de trouver des excuses, sociales ou post-coloniales, à l'intégrisme et au terrorisme. Et la gauche républicaine et laïque pour qui défendre les droits des femmes et la laïcité permet de désamorcer à la fois la propagande raciste et jihadiste. Non pas qu'on ne puisse pas lire Charlie et Mediapart à la fois. Ni être à la fois contre l'intégrisme et contre la déchéance de nationalité. On peut. Mais pour l'essentiel, ces deux gauches là sont désormais, pour de bonnes raisons, irréconciliables. Mais ce n'est qu'une des lignes de fracture, majeure, en train d'alimenter la guerre des gauches...
Au moins cinq blocs
La gauche est morcelée non pas en deux camps mais au moins en cinq si l'on tient compte de la question économique et du positionnement international. Ne parlons pas de la guerre des ego, juste du fond. On ne voit pas comment concilier la gauche plutôt flexibilité-d'abord et la gauche sécurité-de-l'emploi-d'abord. Comment réconcilier la gauche Poutine-d'abord et la gauche Qatar-d'abord. Ni ces gauches avec la gauche qui, dans l'ensemble, refuse de s'aligner sur l'un de ces axes.
Plus au centre gauche, il existe même de vraies nuances entre la gauche Valls (républicaine, laïque et flexi-sécurité) et la gauche Macron (libérale à tous points de vue).
Faut-il rapiécer tout ce petit monde ? Est-ce possible, comment et surtout qui le souhaite ? Peu de politiques y ont pas intérêt. Car ils n'ont pas le même intérêt. A commencer par le Premier ministre et le président de la République.
François Hollande a intérêt plutôt à l'union de la gauche derrière ce qui reste de sa candidature. Manuel Valls, lui, a plutôt intérêt à l'implosion-clarification pour tenter de constituer une autre gauche en vue de l'échéance d'après. C'est aussi ce qui empoisonne cette fin de mandat.
La fragmentation de la loi travail
Tout devient nucléaire avec la loi travail. Voilà une réforme qui menée par deux têtes de l'exécutif qui n'ont pas le même intérêt, en fin de mandat, par un président qui n'a pas été élu sur un programme aussi social-libéral. Autant dire que la loi travail avait tout pour dynamiter, façon puzzle, les forces de gauche.
On pourrait imaginer une sortie de crise. Un compromis. Ceux qui veulent sacraliser le code du travail pour en faire un marqueur idéologique doivent accepter une dose de flexibilité pour favoriser l'embauche en CDI. Ceux qui veulent la flexibilité à tout prix ne doivent pas livrer les salariés au rapport de force permanent et inégal dans leur entreprise, dans un pays où il n'existe pas de contre-pouvoir syndical aussi fort qu'en Allemagne.
Ce compromis demande une certaine maturité. Le Premier ministre a voulu jouer la fermeté, il doit maintenant reculer. Ceux qui diront toujours rouge s'il dit jaune, vert ou rose, vont-ils faire un pas à leur tour ? Rien n'est moins sûr. Pourtant, sans ce compromis, le gauche sortira en miettes de ce débat. Avec peu de perspectives. Car sur quelles bases recomposer ?
Pour une gauche laïque et sociale
Tout se passe comme si l'on nous demandait de choisir entre une gauche laïque qui a renoncé au social et une gauche sociale qui a renoncé à la laïcité. S'il faut vraiment choisir, surtout après un attentat, c'est bien sûr la gauche laïque et anti-totalitaire qui l'emportera. Mais comment s'assurer qu'elle ne profite pas de son avantage moral pour malmener les libertés et le code du travail ?
Entre la gauche sociale libéral et la gauche archaïque, il nous manque une génération de radicaux-socialistes et sans doute un Clémenceau mâtiné de Jaurès. Une gauche laïque et sociale, sans qui de nombreux progressistes risquent de se sentir orphelins.