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Décryptage

Côté belge, «amateurisme» et failles à répétition

Depuis mardi, les autorités sont accusées d’avoir failli dans la lutte contre le terrorisme et le suivi de jihadistes pourtant identifiés. Retour sur cinq dysfonctionnements qui font polémique.
par Isabelle Hanne, Envoyée spéciale à Bruxelles
publié le 25 mars 2016 à 20h01

Depuis les attentats de mardi à l’aéroport et dans le métro bruxellois, pas une journée ne passe sans qu’un dysfonctionnement des autorités belges ne soit révélé. Prenant acte de possibles manquements, les ministres de la Justice, Koen Geens, et de l’Intérieur, Jan Jambon, ont d’ailleurs remis leur démission mercredi soir, refusée par le Premier ministre, Charles Michel.

Lors d'une commission Justice, Intérieur et Affaires étrangères, qui s'est tenue ce vendredi au Parlement fédéral belge en vue de la création d'une commission d'enquête, les ministres ont dû faire face à un feu roulant de questions et de critiques des députés. «Quand il y a autant d'erreurs et d'amateurisme à répétition, on est face à un problème structurel», a étrillé le député PTB (Parti du travail de Belgique) Marco Van Hees.

Bruxelles a ignoré le signalement d’Ibrahim El Bakraoui par Ankara

Fin juin 2015, les autorités turques informent l’ambassade de Belgique à Ankara qu’un certain Ibrahim El Bakraoui a été arrêté à la frontière syrienne, et qu’il sera transféré vers les Pays-Bas. Le futur kamikaze de l’aéroport est déjà connu de la police belge : il a été condamné à neuf ans de prison pour avoir tiré à la kalachnikov sur un policier lors d’un braquage. Malgré l’avis défavorable de la prison dans laquelle il est écroué, le tribunal d’application des peines lui avait accordé une liberté conditionnelle en octobre 2014 - impliquant une rencontre mensuelle avec un «assistant de justice».

Ce qu'il fait jusqu'au 19 mai 2015. Après quoi, on perd sa trace. Pourquoi la Belgique n'a-t-elle pas demandé l'extradition vers son territoire ? Et pourquoi Ibrahim El Bakraoui n'a-t-il pas été arrêté, après son transfert le 14 juillet 2015 aux Pays-Bas ? Devant les commissions parlementaires réunies vendredi, le ministre de l'Intérieur, Jan Jambon, a mis la faute sur l'officier de liaison de la police fédérale belge à Istanbul. Informé de l'arrestation d'El Bakraoui, il aurait tardé à réagir. «Je ne peux que conclure qu'une personne a été pour le moins négligente, pas très proactive, ni très engagée», a assuré le ministre. Qui a trouvé son «bouc émissaire», critiquent plusieurs députés.

Khalid El Bakraoui avait violé son contrôle judiciaire

Le kamikaze du métro Maelbeek et frère d'Ibrahim, Khalid El Bakraoui, avait violé son contrôle judiciaire sans être inquiété, ont révélé jeudi des journaux flamands. Le Belge de 27 ans, qui s'est fait exploser mardi, avait été condamné à cinq années de prison en 2011 pour des vols de voitures avec violence. Le 13 mai 2015, il est contrôlé par la police pour une infraction routière (il roulait à contresens), en compagnie d'un ancien complice. Ce que les conditions de sa liberté conditionnelle, accordée en décembre 2013, lui interdisaient. La révocation de sa liberté conditionnelle est alors réclamée, mais le tribunal laisse El Bakraoui libre, estimant qu'il respecte les autres critères de son contrôle judiciaire. Jusqu'à octobre 2015, date à partir de laquelle il ne donne plus de nouvelles à son contrôleur judiciaire. Jeudi, le ministre de la Justice avait fait porter le chapeau de ces dysfonctionnements sur les «communautés linguistiques» (l'un des échelons du fédéralisme belge), responsables des «maisons de justice», chargées de l'application des peines. «Il ne faut pas se refiler la patate chaude», a dénoncé vendredi un parlementaire. Le ministre a d'ailleurs arrondi les angles, affirmant que les maisons de justice faisaient «bien leur travail».

Depuis son arrestation, Abdeslam a été interrogé moins de deux heures

La durée varie selon les sources, mais Salah Abdeslam n'aurait été entendu qu'une ou deux heures entre son arrestation, vendredi à Molenbeek, et les attentats de mardi à Bruxelles. Il n'a été interrogé qu'une fois, samedi, par la police puis par un juge d'instruction. Selon les PV d'audition, détaillés par le Monde, son interrogatoire n'aurait pas du tout été approfondi. Les enquêteurs ne l'ont questionné que sur ses responsabilités dans les attentats de Paris, et pas sur d'éventuels projets. «Je ne suis pas censé parler d'instructions en cours, a esquivé le ministre de la Justice. Le procureur fédéral m'a toutefois permis de vous dire que depuis les attentats de Zaventem et Maelbeek, Salah Abdeslam ne veut plus parler.»

La Belgique a tardé à passer en alerte de niveau 4

Autre critique récurrente : pourquoi, après l'opération policière de vendredi dernier et l'arrestation de Salah Abdeslam, les autorités n'ont-elles pas choisi de passer au niveau maximum (4) de la menace terroriste, alors qu'on pouvait craindre des représailles ? Le ministre de la Justice a insisté sur le fait que le niveau 3 n'était «pas un niveau banal». Quant à son homologue de l'Intérieur, il a rappelé que c'était l'Organe de coordination pour l'analyse de la menace (Ocam) qui fixait le niveau de l'alerte. «Il faut poser la question à l'Ocam, qui est indépendante», a souligné Jan Jambon. Les autorités ont abaissé jeudi soir à 3 le niveau de la menace terroriste en Belgique, soit un risque «possible et vraisemblable» d'attentats. Il avait été relevé à 4 dans l'heure ayant suivi les attentats mardi matin.

L’adresse de la planque d’Abdeslam était connue par la police

Le 79, rue des Quatre-Vents, à Molenbeek, où a été arrêté Salah Abdeslam, figurait depuis décembre dans un rapport de police. Mais l'information n'aurait pas été transmise à la cellule antiterrorisme de la police judiciaire fédérale de Bruxelles. Dès le 7 décembre, un policier de Malines, une commune néerlandophone entre Bruxelles et Anvers, aurait en effet signalé dans un rapport l'adresse de la future planque d'Abdeslam. Le document fait état de la radicalisation d'un occupant du domicile, Abid Aberkan, également arrêté vendredi dernier. «Une enquête a immédiatement démarré», a affirmé le ministre belge de l'Intérieur lors de son audition vendredi devant les commissions du parlement fédéral. Il a annoncé, d'ailleurs, qu'il allait «inviter le chef de corps de Malines pour [s]'entretenir avec lui».

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