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Enquête

France: comment le nucléaire se protège de la menace terroriste

800 gendarmes sont répartis sur les 19 centrales. Mais leur efficacité reste limitée, estime Greenpeace.
par Isabelle Hanne
publié le 25 mars 2016 à 12h17

Alors qu'on s'interroge sur les éventuelles failles du nucléaire belge, en France, pays le plus nucléarisé du monde, l'élément de langage est clair: «On a pris en compte la menace terroriste», clame-t-on chez Areva, qui gère des sites classés «Installations nucléaires de base». Comme chez EDF, qui exploite les 19 centrales françaises. Son PDG, Jean-Bernard Lévy, parlait en novembre sur France 2 d'«alerte maximale» depuis les attentats de janvier 2015, accrue après ceux de Paris, avec une «vigilance extrême» dans toutes ses installations.

Lire notre enquêteBelgique : menace sur le nucléaire

Pierre angulaire de la sécurité des centrales, le Peloton spécialisé de protection de la gendarmerie (PSPG) est né en 2009 d’une convention signée entre EDF et la gendarmerie nationale. Financé par l’exploitant, formé aux risques toxiques et nucléaires, le PSPG compte 800 gendarmes instruits par le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et répartis dans les 19 centrales. Les PSPG constituent le premier niveau dans la sécurité, suivis par le groupement de gendarmerie du département, puis par le GIGN.

Depuis 2010, les PSPG ont le rang d'unités de contre-terrorisme. «Ils doivent être en mesure de faire face à un commando lourdement armé et déterminé à mettre le site en péril, lit-on sur le site du ministère de l'Intérieur. Outre la prévention des actes terroristes et des tentatives de sabotage, ils luttent contre les actes malveillants, comme les intrusions ou les vols de matière nucléaire.» La sécurité du parc nucléaire coûte 200 millions d'euros par an à EDF, selon l'énergéticien.

Bunkerisation

«L'image est convaincante: entre 30 et 40 gendarmes par centrale selon le nombre de réacteurs, très affûtés, formés par le GIGN…, remarque Yannick Rousselet, l'expert nucléaire de Greenpeace. Mais quand on y regarde mieux, c'est limité en termes d'efficacité: avec les 3x8, les vacances, etc., il n'y a que 4 ou 5 gendarmes sur site en permanence. Et puis ça leur arrive de devoir renforcer les effectifs à l'extérieur.» Lors de l'intrusion de Greenpeace en juillet 2013 sur la centrale du Tricastin par exemple, «il n'y avait personne du PSPG sur le site!, s'exclame Yannick Rousselet. Les gendarmes étaient déployés en renfort au Mont Ventoux, pour le Tour de France…»

PSPG, vidéosurveillance, clôture, portiques, gardiennage assuré par 750 agents issus des personnels d'EDF, «bunkerisation» du site en cas d'intrusion - tous les accès aux salles de commande et aux bâtiments réacteurs se bloquent… Voilà pour la menace extérieure. Pour l'intérieur, près de 100 000 enquêtes administratives sont menées chaque année sur les salariés d'EDF (22 000 personnes) et les intervenants extérieurs (23 000) qui travaillent sur le parc nucléaire. «Les enquêtes sont refaites tous les ans pour les sous-traitants, et tous les trois ans pour les salariés EDF», garantit-on chez l'énergéticien français. Avec «environ 700 demandes qui reçoivent chaque année un avis défavorable», sans que les préfectures, qui pilotent ces enquêtes, n'aient à motiver leur refus.

Dix jours après les attentats de novembre, le JDD relatait des propos prêtés à Christophe Quintin, haut-commissaire de défense à la sécurité nucléaire: chaque semaine, aurait-il affirmé lors d'un dîner, un employé se verrait refuser l'accès aux sites nucléaires, notamment pour cause de radicalisation religieuse. Le haut fonctionnaire n'a pas été autorisé à faire des commentaires. Et chez EDF, on l'assure: «Nous ne sommes pas témoins de phénomènes de radicalisation particuliers dans nos équipes. Les travailleurs du nucléaire sont comparables au reste de la population du pays. Et l'environnement du nucléaire est extrêmement surveillé: on est sur un maillage efficace.»

Là aussi, «les moyens des préfets sont limités», regrette Yannick Rousselet. Les préfectures procèdent à une enquête de criblage pour des centaines de noms. «Si la personne n'a ni fiche S ni casier judiciaire, on lui donne son habilitation», affirme l'expert de Greenpeace. D'autant que les révisions des centrales, les arrêts de tranche, font venir des dizaines de sous-traitants étrangers. «On a bien vu avec les attentats qu'il n'y avait pas d'échange d'informations entre les services de renseignement français et étrangers. On a un vrai problème de menace interne vis-à-vis du personnel dans les centrales».

Spécificité franco-française

Chez Areva, 40 000 enquêtes administratives sont menées par an. Le géant de l'atome dit n'avoir «pas constaté de phénomène préoccupant de radicalisation au sein de [ses] équipes». Areva emploie depuis 2010 comme directeur de la protection Jean-Michel Chereau, un général à la retraite et ancien numéro 2 du renseignement militaire. Ses sites de traitement et recyclage des déchets à La Hague, et d'enrichissement de l'uranium au Tricastin, disposent, comme le Commissariat à l'énergie atomique, de services de sécurité internes. Appelés Formations locales de sécurité (FLS), ces services, armés, sont salariés de l'opérateur. Les FLS doivent à la fois assurer la sécurité des installations et des matières nucléaires, mais également le traitement des risques et accidents (incendies, inondations). Les agents des FLS sont souvent d'anciens sapeurs-pompiers de Paris ou des marins-pompiers de Marseille, de la police nationale ou de la gendarmerie. En bout de chaîne, c'est le RAID qui intervient sur ces sites.

Pour Yannick Rousselet, la question de la sécurité est «un des points de fragilité de notre système». En cause, une spécificité franco-française: notre gendarme de l'atome, l'Autorité de sûreté du nucléaire (ASN), n'a pas les compétences en matière de sécurité. C'est le Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité (HFDS), dépendant du ministère de l'Environnement, qui mène les activités de renseignement et donc, la prévention d'attentats et d'actes malveillants. Entre les deux instances, un «vrai problème de tuilage», qualifie Rousselet. L'ASN n'a, par exemple, pas eu connaissance des résultats des stress-tests de sécurité menés après Fukushima. Alors qu'elle doit pouvoir, entre autres, dimensionner les installations selon les risques.

«Si on veut entrer dans une centrale, on y entre», garantit Yannick Rousselet. Pour preuve, les intrusions spectaculaires de Greenpeace sur les sites du Tricastin, de Fessenheim, Bugey ou encore de Nogent-sur-Seine ces dernières années. Sans parler des nombreux survols de drones jamais élucidés – le dernier en date a survolé la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne) mercredi vers 21 h 15. Mais pour Yannick Rousselet, la pire menace vient du transport de combustible et de déchets nucléaires. «Un camion plein de déchets nucléaire, détourné, en plein Paris…, cauchemarde-t-il. Avec la question de la bombe sale, c'est sur le transport qu'il y a un talon d'Achille».

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