Plaidoyer pour des cours d’histoire des religions

« Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée ». Et si, en écrivant cette phrase il y a plus de 50 ans, Albert Camus nous donnait une piste pour aborder la crise identitaire que nous vivons actuellement en France ? Bloqué entre les réactionnaires et les tenants d’un angélisme béat, le débat public français n’avance pas. La France est en pleine crise identitaire, il ne s’agit plus de le nier mais d’aborder le débat de manière sereine et apaisée sans tomber dans les faux-semblants ou l’opprobre à l’encontre de telle ou telle communauté.

Attentats sanglants, polémique sur le voile, discours belliqueux de nos dirigeants soit autant d’éléments qui concourent à tendre la société française et à la faire parvenir à ébullition. Loin de tout argument rationnel et réfléchi, on entend que l’Islam ne serait pas compatible avec la République ou qu’il y aurait une différence fondamentale entre musulmans et non-musulmans – et ce, de la part de musulmans et de non-musulmans. Entre une laïcité dénaturée et une xénophobie de plus en plus assumée, la France se perd et perd un temps précieux dans le débat sur son identité. Non il n’est pas pestilentiel de parler d’identité mais les manières dont le débat est abordé sont, elles, propices à la fracturation de la société. Plutôt que de penser contre, réapprenons à penser ensemble.

Le savoir comme arme

Manuel Valls affirme que nous sommes en guerre. Dans sa bouche cela revient à dire qu’il faut bombarder tous azimuts et instiller la peur dans l’esprit des Français. Et si, au lieu d’adopter des postures belliqueuses et porteuses de divisions, nous déclarions la guerre à l’ignorance ? De quoi naît, en effet, la peur – et par extension la haine – sinon de la rencontre d’une altérité à laquelle on ne comprend rien ou presque ? La religion fait peur ? Mettons en place des cours d’histoire religieuse plus poussée que ce qui est aujourd’hui proposé aux élèves. Evoquons les grands monothéismes, leur histoire mais aussi l’histoire de la laïcité et du rapport entre le religieux et l’Etat en France. En plus de déconstruire des préjugés, une telle démarche permettra à chacun d’avoir les armes pour mieux comprendre le monde qui nous entoure.

« Ouvrez des écoles vous fermerez des prisons » écrivait déjà en son temps Victor Hugo. Il nous faut mettre en pratique ces mots lourds de sens et nous rappeler la prééminence de la question éducative sur toutes les autres – n’en déplaise à notre Premier ministre qui préfère ergoter sur la question identitaire. Il me semble qu’au lycée, nous sommes assez murs pour évoquer ces questions. J’ai pu en faire l’expérience lors d’ateliers de tutorat et d’ouverture culturelles au cours desquels les lycéens étaient à la fois ouverts et enthousiastes à l’idée d’en connaître un peu plus sur l’histoire des religions. Il ne s’agit en aucun cas de faire du prosélytisme, là n’est pas le but de l’école, mais fournir à chacun les clés pour pouvoir interpréter le monde complexe dans lequel nous vivons, marqué par la résurgence du fait religieux en Occident est, à mon sens, la condition sine qua non à l’établissement d’un débat serein et apaisé.

L’argument éculé de la laïcité

 

J’entends déjà les cris d’orfraie à propos du non-respect de la laïcité et de la séparation entre la religion et l’Etat, preuve que des cours d’histoire de la laïcité sont plus que nécessaires. Que postule, en effet, la laïcité française ? La séparation entre les Eglises et l’Etat. Il s’agit donc, pour l’Etat, d’avoir une position neutre vis-à-vis des religions. La laïcité, telle que l’ont voulu ses penseurs (Jaurès et Briand), n’a pas pour but d’expulser le fait religieux de l’espace public comme on l’entend bien trop souvent. Cette proposition de cours d’histoire religieuse plus approfondis ne va donc pas à l’encontre de la laïcité mais vient, à mon sens, la compléter.

N’existe-t-il pas, en effet, déjà des cours d’histoire religieuse ? Je me souviens qu’au collège j’avais des cours, succincts certes mais bel et bien existants, d’histoire religieuse. Judaïsme, Christianisme et Islam étaient tous trois au programme d’histoire, preuve que ce genre de cours ne va pas à l’encontre de la laïcité. Plus tard, en classe préparatoire, j’ai même eu des cours plus poussés sur le fait religieux. Pourquoi, alors que la France est étouffée par les approximations de tous bords, ne pas élargir ces cours approfondis à l’ensemble des élèves ? Comprendre, ce n’est pas commencer à excuse, n’en déplaise à Manuel Valls. Il nous faut urgemment reprendre le chemin des idées et de l’esprit avant de sombrer définitivement dans celui de l’épée. La peur est mauvaise conseillère et, malheureusement, notre gouvernement semble jouer sur les peurs.

Nous l’avons vu, dans ce grand débat qui s’engage il est nécessaire de pouvoir s’appuyer sur du savoir. Dans le cas contraire, notre pays pourrait bien connaître une fracture irrémédiable entre plusieurs parties de sa population. « La crise c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître » écrivait Gramsci. Nous voilà bel et bien en pleine crise identitaire. Il nous faut faire un choix – comme le suggère l’étymologie du mot crise. Un choix entre la fracturation de la société française comme ce que nous voyons se mettre en place et la mise en place d’un débat serein et apaisé qui permettra à chacun d’en saisir les enjeux. Il nous faudra évidemment sortir du manichéisme et de la caricature afin de rallumer les étoiles de l’idéal républicain.

5 commentaires sur “Plaidoyer pour des cours d’histoire des religions

  1.  » Le savoir comme arme
    … Et si, au lieu d’adopter des postures belliqueuses et porteuses de divisions, nous déclarions la guerre à l’ignorance ? De quoi naît, en effet, la peur – et par extension la haine – sinon de la rencontre d’une altérité à laquelle on ne comprend rien ou presque ? « …

    Bonjour Marwen !

    Tel le phénix… votre ´entrain’ dont l’extrait ci-dessus est tirée est une belle démonstration de pleine maturité et de sagesse. Vous êtes formidable !

    Toutefois, et puisqu’il me faut tirer ma révérence, je vous propose l’écoute du texte en lien ci-dessous… Je continuerai à vous lire (insc. Newsletter) dans les temps à venir… suivre vos ‘humeurs’ fut/demeure un RÉEL plaisir !

    « Tous les esprits fonctionnent entre démence et imbécilité; et chacun, dans les 24 heures, frôle ces extrêmes. » Paul Valéry

    Toutefois, SI…

    A +…

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      • Cher M.arwen B.

        … Prendre du recul, m’est nécessaire. Mais… je PEUX vous lire hahaha !!!!
        Et puis vous avez mon adresse courriel…

        Suis inscrite : ´A la recherche du temps…’ gagné (M.arcelo P.roust); oui, oui, là tout en bas de l’écran dans le coin droit, vous voyez ? l’onglet « suivre » ; j’ai inséré les chiffres et les lettres magiques, recevoir la newsletter, et lire en temps réel…

        Dans « Une journée particulière » d’ Ettore Scola, Gabrielle (interprété par UN M.arcelo, Mastroiani en l’occurrence) en réponse à une accusation sur ses positions politiques, répond : « ma, ce n’est pas le locataire du sixième qui est anti fasciste, c’est les fascistes qui sont anti locataire du sixième »…
        À dire le vrai, je n’étais sorti de ma retraite qu’ après le « triste Charlie » ; bien que je sois plus sereine aujourd’hui, je demeure vigilante. Cela m’est très agréable de constater que la jeunesse est consciente des enjeux futurs, qu’elle pratique le dialogue apaisé, l’écoute et le partage.

        Vous devez pouvoir déployer vos ailes en douceur, ma génération doit songer à transmettre le témoin.

        Je n’abandonne jamais les gens que j’ M. Bie.n.lsa… vous aussi savez ‘cultiver l’authentique’ ! 😉

        Allé Kdo, en suivant le lien ci-dessous ? C’est un autre Marcel.o (Pagnol cette fois !), du vernaculaire pur jus, un régal !!!
        Le Transbordeur de Marseille – Le site de l’Association des Marseillais du Monde :

        http://web.archive.org/web/20120411075945/http://www.marseillais-du-monde.org/dictionnaire.php3

        Adessias (Prov.) : Au revoir.

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  2. Moi aussi j’ai eu l’instruction de l’histoire de quelques grandes religions à l’école (je me rappelle en tout cas de la religion musulmane). C’est de l’histoire, e c’est utile à ce titre, point (même si j’étais un cancre dans cette matière).
    Cela dit, si j’y vois une réelle utilité, je doute que cela suffise à régler des problèmes que l’on se pose. Car il faudrait vraiment aller dans le détail, ce que ne permet pas l’école. Il serait par exemple vital que les politiques soient eux-même laïques et cultivés (et pas « religiophobes »). Car ils pourront toujours agiter des chiffons en trouvant des méchants.

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  3. Je n’avais jamais vraiment pensé à cela, mais je dois avouer que je te rejoins complètement.
    Je ne suis pas certain que le gouvernement soit seul responsable, pour moi la faute repose plus sur les médias qui ne cherchent qu’à faire sensation, et n’approfondissent jamais.
    Je me dis, que peut-être, ils sont responsables de nous instruire finalement. N’est-ce pas le but d’un article bien construit que de permettre à tout lecteur d’en comprendre les tenants et aboutissements? Quelle que soit son instruction?

    Aujourd’hui, certes le gouvernement ne met pas en place ce qu’il faudrait pour qu’on soit tous capable de discerner le vrai du faux, mais le véritable malheur, à mon sens, c’est que personne ne le dénonce.
    Personne n’essaye de prendre la relève. Personne ne partage le savoir.
    Je veux dire, tu peux passer 3 jours sur BFMtv un lendemain d’attentat, et tu n’apprends rien d’autre que le fait qu’un passeport ait été retrouvé.
    On ne t’explique pas pourquoi. On ne te dit pas ce qui les motive. Parce que je te rejoins aussi la dessus, comprendre, ce n’est pas pardonner, mais ça permet déjà de lutter.
    On nous fait croire qu’il faut bombarder, alors que ce sont les bombardements qui ont causés les attentats…

    Bref, tout ça pour dire que l’état à sa part de responsabilité, mais que les médias sont faibles, et qu’ils n’assurent pas la mission qui leur est confiée.

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