Le marché de dupes que Recep Tayyip Erdogan vient de remporter contre l’Union européenne à travers l’accord migratoire conclu à Bruxelles le 18 mars, conforte plus que jamais la position du chef de l’État turc. Face à une Europe faible, divisée et incapable de s’entendre sur la question des réfugiés, il a obtenu un chèque de 6 milliards d’euros (sans qu’aucune mesure de contrôle ne soit prévue sur l’utilisation de cette somme), contre la promesse d’une surveillance des flux migratoires, la levée des procédures de visa pour les ressortissants turcs dans toute l’Europe et… la réouverture du processus d’adhésion à l’Europe.
Cette soumission peu glorieuse de l’Union européenne aura-t-elle comme contrepartie de freiner la dérive autoritariste et mégalomaniaque du Pacha d’Ankara qui rêve de refonder un califat ottoman dont il serait le commandeur, rassembleur des musulmans de la région ? Pas du tout. L’hubris est à son comble et le sentiment d’impunité total. Trente-deux journalistes sont actuellement incarcérés, des centaines d’universitaires sont harcelés pour avoir signé une pétition, 1 845 plaintes sont en cours d’instruction pour « insulte au chef de l’État ».
La marque de la Turquie
Mais surtout, la Turquie, via l’Azerbaïdjan voisin, vient de rallumer les braises d’un conflit armé dans le Caucase. Les sanglants affrontements entre la république du Haut Karabakh et l’armée azérie entre le 2 et le 5 avril portent indéniablement sa marque. Ankara souffle sur les braises de ce conflit gelé depuis 1994, excite le gouvernement azéri d’Ilham Aliyev, le pousse à l’affrontement et souhaite clairement par ses déclarations bellicistes et provocatrices, l’ouverture d’un nouveau front dans la région.
“La Turquie vient de donner à l’Azerbaïdjan un permis de tuer en poussant la république azérie à relancer les hostilités.”
Le Karabakh, région peuplée à 94 % d’Arméniens chrétiens, a été rattaché par Staline en 1921 et de façon totalement arbitraire, à l’Azerbaïdjan turcophone et musulman. Après la dissolution de l’Union soviétique, les Arméniens demandent leur retour dans le giron de l’Arménie, ce qui déclenche la colère de l’Azerbaïdjan : des exactions et des pogroms ont lieu dans les quartiers arméniens de Bakou. S’en suivront des années d’un conflit sanglant qui fera environ 30 000 victimes. Les Arméniens en sortiront vainqueurs, sécuriseront la zone et depuis 1994, un Groupe de Minsk, issu de l’OSCE, composé de Russes, d’Américains et de Français, cherche une issue diplomatique et politique au conflit.
Mais l’Azerbaïdjan rêve de revanche. Et la Turquie vient de lui donner un permis de tuer en poussant la république azérie à relancer les hostilités qui viennent de faire une soixantaine de victimes. Il suffit d’entendre les messages de soutien incendiaires d’Erdogan à Bakou : « Le Karabakh retournera un jour, sans aucun doute, à son propriétaire originel ; il appartiendra à l’Azerbaïdjan ».
Une tentative de déstabilisation de la Russie
L’objectif de ces propos va-t-en guerre ? Nourrir le nationalisme turc-azéri à la fois anti-arménien et anti-chrétien, et mettre une pierre dans le jardin de Vladimir Poutine que la relance de ce conflit met dans l’embarras. Poutine est certes l’allié traditionnel de l’Arménie et il assure vouloir être le défenseur des Chrétiens d’Orient dans la région. Mais il existe une importante population musulmane en Russie et surtout dans les anciennes républiques soviétiques limitrophes, qui plus est, toutes turcophones et ralliées aux Azéris.
Le chef de l’État russe est prudent. Il a exprimé sa vive préoccupation mais n’a pas réagi aux provocations turques. Ce qui se joue ici, pour nombre d’observateurs, est un nouvel épisode de la lutte que se livrent Erdogan et Poutine sur fond de guerre en Syrie. Car Erdogan ne supporte pas le soutien de Poutine aux forces combattantes kurdes syriennes du PYG, proches du PKK kurde de Turquie, dont la Turquie a juré la destruction. Relancer le conflit au Karabakh serait une tentative de déstabilisation de la Russie sur le mode : « je te rends la monnaie de ta pièce ».
“Les méthodes utilisées lors des affrontements début avril évoquent tristement les actes barbares de l’État islamique.”
Pour l’instant le cessez-le feu, obtenu le 5 avril, semble à peu près tenir. Mais la question du Karabakh met de nouveau l’Europe, l’Occident et la Russie face à leurs responsabilités, dans ce qui pourrait bien devenir un nouvel épisode tragique de la persécution des Chrétiens d’Orient.
Il y a vingt ans, lors du conflit, les Azéris avaient engagé près de 2000 mercenaires islamistes venus d’Afghanistan et de Tchétchénie pour combattre les forces arméniennes. Qu’en est-il des troupes actuellement engagées à la frontière, suréquipées militairement, instruites et encadrées par des officiers turcs ? Enfants et vieillards exécutés, têtes tranchées, corps suppliciés… Les méthodes utilisées lors des affrontements début avril évoquent tristement les actes barbares de l’État islamique.
Aujourd’hui, clairement, ni la Russie ni l’Arménie n’ont intérêt à miser sur une escalade du conflit. D’autant que l’embrasement pourrait obliger l’Iran à se positionner car les azéris… sont chiites ! En revanche, Ilham Aliyev, président autocrate d’Azerbaïdjan, a tout à y gagner : la baisse du prix du pétrole a provoqué une crise économique sans précédent, le président est en bonne place, ainsi que plusieurs membres de sa famille, dans la liste des chefs d’État corrompus des « panama papers »… Une bonne surenchère militaire nationaliste serait un dérivatif opportun à la situation.
“La communauté internationale doit prendre de façon urgente toute la mesure des conséquences que pourrait avoir la folie belliciste d’Erdogan.”
Les Arméniens du Karabakh, eux, ont tout à perdre en cas de nouvelle guerre et de victoire azérie. Cela signifierait non pas un retour « administratif » dans le giron azéri mais la disparition physique pure et simple de toute la population arménienne, dans le cadre d’une épuration ethnique. Il y a fort à craindre en effet que des années de haine raciale et religieuse distillée depuis le sommet de l’État n’aboutissent de nouveau aux pires exactions. Les Arméniens ont encore en mémoire le génocide dont ils ont été les victimes en 1915 et que l’État turc continue de nier impunément.
Salaheddine Demirtas, leader turc du HDP, parti d’opposition à Erdogan démocrate et pro-kurde, s’est exprimé, samedi 9 avril, lors d’une réunion de son parti sur les récents combats au Karabakh. Il a accusé Erdogan de jeter de l’huile sur le feu et a demandé le retrait des forces azéries du Karabakh1. Mais les démocrates sont bien seuls aujourd’hui en Turquie.
La communauté internationale doit prendre de façon urgente toute la mesure des conséquences que pourrait avoir la folie belliciste d’Erdogan. À moins de vouloir laisser Poutine encore une fois seul maître du jeu, l’Europe sortirait grandie à montrer plus de fermeté, plutôt que d’abdiquer ses principes et d’abandonner, encore une fois, des Chrétiens d’Orient. Cette fois-ci, les Arméniens du Karabakh.
(Photo : Valdimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan / Flickr, Wikimedia)
1 Source Nor Marmara, Istanbul (Turquie)
Merci pour cet exposé clair sur les enjeux de ce conflit. L’Europe va-t-elle enfin réagir ?
Face à la lâcheté de l’Europe à l’égard de ce fascho-islamiste, il n’y a que Poutine qui peut arrêter sa folie de grandeur
Poutine a tuer des milliers de civils mais on n en parle meme pas.
Parce que les victimes sont des musulmans.
Mais on prefere changer de sujet en faisant d erdoğan la bete noir du moment parce qu ils defend les interets des Turcs.
Vous etes tous des hypocrites
Poutine a bien fait de les tuer car ces derniers sont des criminels islamo-fascistes ! Peu importe s’ils sont musulmans.
Et toi, Atatürk, quand vas-tu admettre que la Turquie a commis les génocides arménien, grec pontique, assyrien et chaldéen ? Tu es hypocrite !
Atatürk , le père de la Turquie, était aussi un sultan sanguinaire comme les trois Pashas de l’empire ottoman, Abdülhamid II, etc.. Comme tous les criminels turcs !
Qui gouverne l’Europe ?
C’est pas facile à répondre.
Qui desire l’élimination des chrétiens du Moyen Orient ?
Facile à deviner, mais dangereux à declarer, quand ils organisent à détruire l’Europe AUSSI.
Avec des personnes comme VOUS de chaque côté, la Turquie et l’Arménie ne sont pas prêtes de se réconcilier…la haine n’est pas que d’un seul côté…et j’en suis désolé…je me rends compte que beaucoup d’arméniens grandissent avec la haine du turc…