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Série noire pour l'ennemi public numéro 1

Honni des écologistes, Monsanto, le géant américain des OGM, accumule les déboires réglementaires, juridiques et stratégiques. Pragmatique, il tente de moins dépendre du Roundup, le désherbant le plus vendu au monde et le plus détesté par la planète verte. Sa nouvelle ligne: accompagner les agriculteurs dans les mutations de leur métier.

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Par Florence Bauchard

Publié le 22 avr. 2016 à 01:01

On a longtemps pensé qu'il parviendrait à conquérir le monde, au grand dam des écologistes de tous bords qui l'ont même surnommé Monsatan. Mais depuis un an, le géant mondial des semences OGM accumule les revers. Quand la morosité des marchés agricoles pénalise son secteur, le champion prend logiquement plus de coups que ses concurrents. Des menaces réglementaires pèsent sur le glyphosate, le principe actif de son herbicide vedette, le Roundup, par ailleurs confronté à la concurrence de produits génériques. Le système de royalties sur ses produits est contesté en Inde. Les opinions publiques se mobilisent régulièrement contre les OGM, et plus seulement en Europe: récemment, la vedette du rock Neil Young appelait à son boycott. Les tentatives répétées de rapprochement avec un concurrent, dans un secteur en pleine consolidation, échouent les unes après les autres. Du coup, Monsanto est sous pression pour repenser un modèle économique fondé largement sur les biotechs et le Roundup. Le 2 mars dernier, le groupe a d'ailleurs revu nettement à la baisse ses prévisions de bénéfice 2016 : le titre a chuté de 4% à Wall Street ce jour-là. Depuis février 2015, le groupe a perdu presque un tiers de sa valeur boursière. Retour sur les cinq dates noires de cette annus horribilis pour Monsanto.

20 mars 2015 Le spectre du cancer frappe son herbicide

La décision du CIRC, une des agences de l'Organisation mondiale de la santé, de classer le glyphosate comme potentiellement cancérigène, a soulevé un tollé de la part de l'industrie agrochimique au printemps 2015. Près de quarante ans après son lancement par Monsanto sous le nom commercial de Roundup, ce désherbant reste le plus utilisé dans l'agriculture. Pour le géant américain, c'est une véritable vache à lait, même si les recettes tendent à se tarir depuis l'expiration des brevets. En 2015, le produit représentait encore à lui seul un tiers des ventes totales du groupe. Il est à la base du développement des activités de Monsanto dans les semences génétiquement modifiées (OGM).

Sans être catégorique, l'avis du CIRC a rapidement fait boule de neige. En Europe, l'EFSA, le gendarme européen chargé de la sécurité des produits alimentaires, a certes refusé de modifier sa position favorable vis-à-vis du glyphosate. Mais la France a décidé dès juin 2015 d'interdire la vente libre aux particuliers de tout désherbant à base de ce produit. Les jardiniers amateurs pourront toujours en acheter dans les grandes surfaces spécialisées type Truffaut, mais seulement avec le conseil avisé du vendeur chargé de leur rappeler les précautions d'usage. Décalée d'un an au 1er janvier 2017, la mise en oeuvre de cette interdiction, décidée par la ministrede l'Environnement, Ségolène Royal, n'inquiète pas outre mesure le groupe, qui ne réalise qu'une faible partie de son activité auprès des jardiniers. D'ailleurs, «c'est déjà une pratique courante en Allemagne, en Pologne et au Danemark», reconnaît Yann Fichet, directeur des affaires institutionnelles de Monsanto France. En revanche, l'incertitude autour du renouvellement de l'homologation du Roundup dans l'Union européenne, prévu initialement ce printemps, est autrement plus préoccupante pour son fabricant. Face aux réserves de plusieurs pays membres, la France et les Pays-Bas en tête, Bruxelles a préféré temporiser de quelques mois. D'autant que les organisations non gouvernementales sont remontées contre l'ensemble de l'industrie des pesticides. Les députés européens aussi, qui ont voté le 13 avril dernier une résolution limitant à sept ans - au lieu de quinze - le renouvellement de l'homologation du Roundup. Et l'interdiction de son usage aux particuliers et aux collectivités.

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Leticia Gonçalves, l'énergique Brésilienne qui dirige les activités européennes de Monsanto depuis deux ans, déplore que «des décisions qui relèvent de la sphère scientifique se déplacent sur le terrain politique. Les verts et les activistes se font de plus en plus entendre sur la scène politique, pas seulement en Europe, mais aussi aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. Nous travaillons avec les autorités européennes pour obtenir le renouvellement de l'homologation, comme prévu, en juin 2016.» Aux Etats-Unis aussi, l'annonce du CIRC a fait mouche. En septembre, la Californie annonçait son intention d'inclure dans sa liste des produits chimiques potentiellement dangereux pour la santé humaine le glyphosate et trois autres pesticides à grande diffusion. Sans interdire formellement son usage, cette classification oblige le fabricant à modifier l'étiquetage pour avertir le consommateur des dangers encourus. Le produit ne peut être déversé dans des circuits d'eau potable. La décision de la Californie, qui devait initialement s'appliquer au 1er janvier 2016, n'a toutefois pas été arrêtée formellement. Monsanto s'est empressé de porter l'affaire devant les tribunaux, au motif que l'avis du CIRC ne repose pas sur de nouvelles études scientifiques, mais uniquement sur une réévaluation de la littérature déjà publiée.

27 août 2015 Syngenta rejette son offre de rachat à 45 milliards de dollars

Monsanto a beau multiplier les propositions de rachat, toutes plus juteuses les unes que les autres, depuis deux ans, il fait chou blanc. Syngenta, le numéro 3 mondial du secteur, n'a pas cédé, l'été dernier, préférant in fine se jeter dans les bras du conglomérat chinois ChemChina, encore peu présent dans le secteur. Il encourt ainsi moins de risques de dépeçage de ses actifs pour satisfaire aux probables exigences des autorités de concurrence.

Avec le numéro 1 européen, l'Américain aurait rééquilibré ses positions sur le Vieux Continent, serait revenu par la grande porte dans les pesticides, trente ans après en être sorti (sauf pour le Roundup), et aurait renforcé sa puissance de feu en R&D pour préparer les produits de demain, moins toxiques pour l'environnement. Un atout précieux au moment où la pression sur le Roundup et tous les produits de traitement chimique des plantes est forte. «Demain, l'industrie devra développer des alternatives aussi efficaces mais moins nocives et cela va coûter plus cher, d'où l'importance d'être plus gros pour pouvoir vendre quasiment au même prix en se rattrapant sur les volumes», souligne Francis Prêtre, analyste chez CM-CIC.

Après l'échec de l'offre sur Syngenta, le géant de Saint-Louis est isolé, d'autant que les autres ténors du secteur ont tous bougé. Un cash-flow abondant et des taux d'intérêt particulièrement faibles poussent les concurrents à faire des emplettes. Particulièrement ceux qui subissent la pression d'investisseurs activistes, comme Dow Chemical et DuPont, qui se sont rapprochés en décembre. D'autres initiatives de Monsanto ne sont pas exclues, même s'il assure pouvoir vivre seul. «Tout le monde parle à tout le monde», reconnaît Leticia Gonçalves, qui refuse toutefois de commenter les récentes rumeurs de partenariats avec l'allemand Bayer. Le secteur, déjà fortement concentré - six entreprises se partagent 80% du marché nord-américain - n'avait plus connu pareille consolidation depuis les années 90.

12 octobre 2015 Sa restructuration supprime des milliers d'emploiS

Pour la première fois en six ans, la société prend des mesures d'exception pour embellir ses finances, après un exercice 2014-15 mitigé, conclu sur un bénéfice en repli de 13,5%. étalée sur deux ans, la restructuration doit générer 275 à 300 millions de dollars d'économies annuelles. Toutes les fonctions sont touchées, y compris la recherche, le nerf de la guerre. Comme cela n'a pas empêché une nouvelle dégradation des performances, Monsanto en a même remis une couche, le 6 janvier, en décidant 1000 suppressions de postes supplémentaires. Au total, 12% de l'effectif sont concernés. Mais cela suffira-t-il? Le groupe vient de réviser à la baisse ses prévisions de bénéfice pour l'année. «Il est clair que 2016 est une année difficile pour l'industrie et le groupe», a reconnu le directeur scientifique Robb Fraley en début d'année.

Sur le long terme, l'état-major se veut serein. Plus que des mesures d'économie, «le plan annoncé fin 2015 vise surtout à faire évoluer le mode de fonctionnement», souligne Leticia Gonçalves. Il s'agit d'accompagner la montée en puissance dans l'agriculture du Big Data (exploitation de données massives), d'Internet et du mobile, grâce au recrutement de statisticiens, de spécialistes des réseaux sociaux, d'ingénieurs télécoms.

Mais la concurrence se durcit sur le marché des OGM. D'ici deux à trois ans, Syngenta comme Vilmorin, le challenger tricolore détenu par Limagrain, comptent bien lancer leurs propres maïs. Résultat: «la part de marché de l'américain sur ce segment très lucratif pourrait bien reculer à 50, voire 40%, contre 90% aujourd'hui», anticipe Francis Prêtre. Et, sur le marché du blé, la prochaine cible des OGM, Monsanto est loin d'être le seul à mener des travaux de recherche.

Rattrapé sur son terrain d'excellence, Monsanto a commencé discrètement mais sûrement à se diversifier. Par exemple dans le Big Data ou le «biocontrôle», qui utilise des microbes pour stimuler les défenses naturelles des semences. Acquisitions et partenariats sont au menu. En 2014, Monsanto a acheté Climate Corporation, un spécialiste américain du traitement de données. Quelques mois plus tard, le groupe s'est associé avec le danois Novozymes, le champion mondial des enzymes.

16-17 octobre 2015 La contestation marque des points contre ses OGM

La pression de l'opinion publique reste forte. Et pas seulement en Europe, où Monsanto a renoncé à développer toute nouvelle culture d'OGM. à l'automne dernier, un grand rassemblement populaire, organisé à Washington par les organisations March against Monsanto et la Food and Justice Coalition, a appuyé le projet de loi fédéral d'étiquetage des produits OGM. Pratiqué de longue date en Europe, celui-ci n'est pas encore obligatoire outre-Atlantique, «alors que 90% des consommateurs y sont favorables», rappellent les organisateurs. Le Vermont a été le premier Etat américain à voter une loi dans ce sens en 2014 - elle doit entrer en vigueur cet été. D'autres pourraient lui emboîter le pas. Soucieuse de minimiser les surcoûts liés au changement d'étiquette d'un Etat à l'autre, l'industrie alimentaire plaide pour une standardisation à l'échelon fédéral. En année électorale, le texte semble toutefois s'enliser au Congrès. Le 23 mai prochain, March against Monsanto remet le couvert. Près de 420 villes dans une quarantaine de pays devraient s'associer à la manifestation.

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9 mars 2016 L'Inde s'attaque à ses marges sur le coton transgénique

Le gouvernement de Narendra Modi a suivi l'avis de son comité d'experts et abaissé brutalementet simultanément le montant des royalties et le prix des semences de coton transgénique pour la prochaine saison. Une très mauvaise nouvelle pour l'américain, qui, après avoir accompagné l'essor du coton indien, comptait bien vendre d'autres cultures OGM
dans ce pays, à la fois densément peuplé et encore très rural. En réduisant de 74% le montant des royalties, New Delhi met à mal le modèle économique de Monsanto. Le groupe, qui met en avant le sacro-saint principe de protection des brevets, dit maintenant s'interroger sur la pertinence des efforts d'innovation centrés sur le marché indien, à l'origine si prometteur. Il se fait fort de réagir de manière très ferme, faute de quoi d'autres pays pourraient être tentés de prendre des mesures similaires, au nom de la viabilité économique de leur agriculture.

Le roi des OGM a donc perdu beaucoup de sa superbe, mais il est loin de baisser les bras. Rompu aux arcanes du droit, il contre-attaque systématiquement sur le terrain juridique, avec une armée d'avocats primée il y a quelques années par le Financial Times comme l'une des plus performantes au monde...

Le top 5 des semenciers-agrochimistes

Chiffre d'affaires 2014 en milliards de dollars1. Monsanto (E-U): 10,62. DuPontPioneer (E-U): 7,63. Syngenta (CH): 3,14. Vilmorin (F): 25. Dow (E-U): 1,6SOURCE: PMcD

Par Florence Bauchard

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