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Politique

Ce que révèle l'hommage de Macron à Jeanne d'Arc

Emmanuel Macron est à Orléans ce dimanche pour y célébrer la figure de Jeanne d'Arc. Tout indique qu'à l'occasion, le ministre de l'Economie compte délivrer sa vision de l'identité de la France. Encore un défi lancé à Hollande et Valls.
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Emmanuel Macron
Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, en visite à l'usine Rexiaa, à Issoire, le 25 avril 2016.
THIERRY ZOCCOLAN/AFP

Le propos est signé Emmanuel Macron: "La République est un point de départ, je veux parler de Jeanne d’Arc pour en revenir à un récit national". Cette sentence a été prononcée ce mardi, devant ses proches, par le ministre de l’Economie, en marge de la visite d'une usine Areva du Creusot. Emmanuel Macron expliquait ainsi le but de son déplacement à Orléans, le 8 mai, afin d’y rendre une sorte d’hommage à Jeanne d’Arc. En clair, le dessein que nourrit le favori des sondages, s’il fait ce qu’il dit, n’a pas fini de faire jaser.

De fait, s’il se saisit de cet hommage à Jeanne d’Arc pour se livrer à un exercice de célébration du récit national, avec à la clé une mise en cause du fonctionnement d’une Europe qui a été "impensée" depuis la chute du mur de Berlin et l’écroulement du bloc soviétique, Emmanuel Macron sortira pour la première fois de son domaine de compétence. Evoquer Jeanne d’Arc, trianguler cette figure révérée par l’extrême-droite, pour la réinjecter dans un « récit national » transcendant tous les clivages, c’est s’aventurer sur un champ politique qui relève par nature, en Ve République, du Chef de l’Etat.

Hollande et Valls face au problème Macron 

Jusque-là, Macron était l’homme des transgressions du champ économique et social. Statut des fonctionnaires, 35 heures, travail du dimanche… Le ministre de l’Economie parlait économie, transgressif, mais attentif à ne piétiner d’autres plates-bandes que les siennes. On pressentait déjà, quand l’annonce avait été faite d’un déplacement à Orléans, que le ministre avait une petite idée derrière la tête, mais au fur et à mesure que le temps passe, il paraît de plus en plus patent que ce déplacement, avec évocation de la figure de Jeanne d’Arc sur fond de nécessité d’un récit national, s’inscrit dans une démarche politique qui dépasse, et de loin, le domaine de compétence d’un ministre de l’Economie.

François Hollande et Manuel Valls vont de nouveau être confrontés au problème Macron.

On sait que François Hollande n’est pas très à l’aise avec tout ce qui a trait au "récit national", à l’identité de la France, au combat culturel. Dès que le sujet est évoqué devant lui, et que ses interlocuteurs l’interpellent sur son envie d’incarner une certaine idée de la France, il s’en tient au service minimum en la matière : "Mais je le fais déjà, je fais toutes les commémorations". C’est que le président ne veut pas définir une vision de la France qui l’enfermerait, "Si je nomme les choses, je les fige", et l’empêcherait éventuellement, de rassembler autour de sa personne, le moment électoral venu.

« Parlons France »

Or, voilà qu’Emmanuel Macron s’apprête à franchir ce pas que le président répugne à accomplir. Le "Parlons France" de Macron, plus ambitieux que celui de Laurent Fabius interrogé tous les mois à la télévision par Jean Lanzi en 1984, risque de générer, à gauche, un nouveau débat sur l’incarnation politique de la gauche au pouvoir. Et ce débat impactera encore la présidentialité de François Hollande.

Idem pour Manuel Valls. Avec la promesse de son futur propos fondateur d’Orléans, Emmanuel Macron entend dépasser le discours obligé célébrant la République et ses vertus. Or, voilà deux ans que Manuel Valls tente de préempter la République et ses "valeurs" sur fond de synthèse entre Clemenceau et le couple Rocard-Jospin. Avec Valls, la République s’est au fil du temps réduite à l’incarnation quotidienne d’une martialité raide et inflexible qui, à force de prétendre au marbre de l’histoire, a fini par figer le Premier ministre. Valls est républicain comme on l’était en 1905. Mais depuis la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, il y a eu 1936, 1945 et 1981. Le récit national s’est renouvelé, et la gauche avec.  

C’est que le concept de "récit national" dépasse la République, celle-ci n’étant qu’une incarnation, protéiforme au plan historique, de différents temps du "récit national", constitutif d’une certaine idée de la France, communément partagée par-delà les clivages. Macron ose des questions, et des réponses, bien souvent taboues à gauche. Qu’est-ce que "l’insécurité culturelle"? Qu’est-ce que l’identité de la France, quand on décide, comme lui, que "l'identité nationale" est une absurdité? La République suffit-elle à faire une démocratie satisfaisante? Comment la figure du pouvoir peut-elle combler l’espace nécessairement déceptif, entre les attentes d’un peuple divers et l’incomplétude de la démocratie? Mais en vérité, il n’a jamais attendu son intervention du 8 mai prochain pour les poser. Pour qui fait attention à ce que pense et dit Macron, cette réflexion sur le devenir de la démocratie française, et son actuelle forme de gouvernement, était déjà présente dans l’entretien que le ministre avait accordé au journal "Le 1", l’été dernier.

Macron reconnaissait que la République porte un imaginaire qui crée une "adhésion collective", mais que ce phénomène est inabouti en démocratie. "On peut adhérer à la République, mais personne n’adhère à la démocratie" constatait-il, ajoutant que : "le concept est vide et laisse la place à des prurits identitaires toujours plus forts, les Bonnets rouges de Bretagne, les Zadistes de Notre Dame des Landes". Et de diagnostiquer : "Il y a dans le processus démocratique et son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi". Et de préciser qu’hormis les épisodes bonapartiste ou gaullien, "la démocratie française ne remplit pas l’espace, on le voit bien avec l’interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle", départ qui aurait laissé "un siège vide au cœur de la vie politique".

Ce que prépare Macron le 8 mai, dans la droite ligne de ce qu’il avait développé dans "le 1" il y a moins d’un an, autour de la figure de Jeanne d’Arc, personnage incontournable du "récit national", c’est une leçon de rapport au pouvoir, dans une France plus clivée que jamais, adressée à François Hollande et Manuel Valls. En clair, il entend invoquer un récit national constitutif d'une identité démocratique permettant de transcender les identités particulières, Jeanne d'Arc étant l'une des figures de cette construction.

Une ambition présidentielle

Au président, il rappellera qu’il lui revient d’incarner la figure du roi, dépositaire d’une certaine idée de la France, et que l’on peut nommer les choses de l’identité de la France, tel Braudel, sans les figer.

Au Premier ministre, il apprendra que la République seule, ne peut garantir la plénitude démocratique, surtout au regard des complexités contemporaines hétérogènes, sauf à se transformer en un régime autoritaire dépourvu de légitimité populaire.

A n’en pas douter, cette vision de la France, et du rôle de celui qui n’est pas seulement en charge de l’exercice du pouvoir, mais aussi de son incarnation inscrite dans le récit national, risque de susciter de nouveaux commentaires sur l’ambition présidentielle de son auteur. Comment pourrait-il en être autrement?

Auprès de ses interlocuteurs, Emmanuel Macron continue pourtant de protester de sa loyauté envers François Hollande. Il a beau jeu de le faire, puisque désormais le rapport des forces en présence dans le trio Hollande-Valls-Macron aboutit à ce que le président ne soit pas en mesure de se séparer de Macron, nécessaire contrepoids à la capacité de dévoration politique sans limite du Premier ministre.  

Dans ce contexte, que peut donc faire d’autre François Hollande, sinon contempler sans broncher le serviteur qui se comporte en maître? Méditer, peut-être, cette maxime attribuée à Louis XIV, "Quand je donne une place, je fais cent mécontents. Et un ingrat".

 

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