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Objectif Mars

Dans la zone qui imite le relief de Mars, devant un véhicule d'exploration spatiale, de g. à dr.: Jessica Meir, Anne McClain, Christina Koch et Nicole Mann.
Dans la zone qui imite le relief de Mars, devant un véhicule d'exploration spatiale, de g. à dr.: Jessica Meir, Anne McClain, Christina Koch et Nicole Mann. © Sebastien Micke/Paris Match
Olivier O'Mahony

A Houston, la Nasa entraîne quatre femmes pour savoir comment vivre trois ans sur la planète rouge.

On dirait une piscine olympique, sauf que sous ses eaux, à 10 mètres de profondeur, gît une station spatiale. Ou du moins une réplique en miniature, car la vraie, celle qui tourne autour de la Terre, est aussi grande qu’un terrain de foot. Un tuyau d’oxygène flotte sur la surface, relié à une plongeuse casquée vêtue d’une curieuse tenue blanche : Anne McClain, astronaute à la Nasa, s’entraîne sous l’eau en combinaison spatiale pour, demain, être prête à partir dans l’espace. Sa tâche du jour consiste à changer des caméras défectueuses et à réparer des câbles électriques, entre deux énormes modules cylindriques rattachés à l’armature centrale. Elle est suivie par deux scaphandriers qui la filment sous tous les angles. Quelques mètres plus haut, les images sont projetées sur les écrans géants de la salle de contrôle, scrutés par une dizaine de scientifiques dans le plus grand silence. L’exercice est « difficile et éreintant », nous explique Terry Virts, un des collègues d’Anne, passé par l’Ecole de l’air de Salon-de-Provence, qui revient tout juste d’une mission dans l’espace. « Beaucoup d’astronautes doivent se faire opérer des épaules à cause des efforts fournis dans ces moments-là. » Au bout de six heures, Anne remonte à la surface, debout, aidée par un treuil. Un assistant lui retire délicatement son casque ; un autre, ses gants. Elle s’extrait de la combinaison de 200 kilos, frictionne ses mains engourdies, effectue quelques mouvements pour détendre les muscles de ses bras. On lui demande si elle est épuisée. « Oh ! Ce n’était rien d’extraordinaire, nous répond-elle avec le sourire. Juste une nouvelle séance d’entraînement… »

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Sa passion était d'être astronaute, ça la travaille depuis l'âge de trois ans

Anne fait partie des dernières recrues de la Nasa. Tous les trois ou quatre ans, l’agence enrôle de nouveaux astronautes. En 2013, elle en a sélectionné huit (sur 6 300 candidats) dont, pour la première fois, quatre femmes, que Paris Match a pu rencontrer et suivre dans leur préparation. Ces trentenaires ont un point commun : ce sont des têtes bien faites dans un corps parfait. Beaucoup de sport et peu d’excès dans leur vie : ça se voit à leur teint frais. Elles sont aussi surdiplômées. Nicole Mann est passée par la prestigieuse université Stanford avant de devenir marine et de partir en Irak. Jessica Meir est chercheuse à Harvard, titulaire d’un doctorat en biologie marine. Christina Koch a accumulé les maîtrises et masters dans diverses disciplines (mécanique électrique, sciences physiques, maths) à la fac de Raleigh, en Caroline du Nord. Anne McClain est une ancienne de West Point, le Saint-Cyr américain… « Quand j’ai postulé, témoigne cette dernière, le conseil qu’on m’a donné, c’est d’être moi-même. Si j’avais tenté de passer pour quelqu’un d’autre, ça se serait vu et je n’aurais jamais été prise. » Le concours d’entrée pour devenir astronaute ne se prépare pas : il faut avoir un bagage technique, certes, mais tout se joue pendant la semaine d’entretien où les candidats admissibles sont priés de raconter leur parcours, leurs échecs, les leçons qu’ils en ont tirées.

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Anne McClain sur la plateforme qui l'a remontée du bassin. Pour rezspirer sous l'eau, un tuyau est relié à son caisson d'air comprimé et à son casque, qu'on vient de lui enlever.
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Les heureux élus sont choisis pour leur aptitude à vivre en équipe, coupés de leurs familles et de leurs amis, dans des contrées lointaines et hostiles. Anne a ainsi raconté les quinze mois qu’elle a passés en Irak. Ancienne major de la U.S. Army, elle a dirigé deux unités. Lors d’une attaque, elle a cru mourir quand, depuis l’hélicoptère qu’elle pilotait, elle a vu, à 10 mètres au sol, un lance-roquettes pointé sur elle. L’arme s’est enrayée par miracle, et elle s’en est sortie avec une solide conviction : « La vie peut s’arrêter demain, il faut vivre ses ­passions. » La sienne était d’être astronaute. Ça la travaille depuis l’âge de 3 ans. « J’ai toujours su que c’était mon destin », nous confie-t-elle.
On ne choisit pas par hasard de partir dans l’espace. « On m’appelait “space girl” quand j’étais petite », rigole Jessica. Née à Caribou, un village du Maine, dans le nord de l’Amérique, elle passait des heures en rase campagne à regarder le ciel, particulièrement clair la nuit dans cette région reculée. Son père, un médecin plutôt conservateur, la prenait pour une rêveuse… Avant d’avoir la tête dans les étoiles, Jessica a passé un an dans l’Antarctique à observer les manchots empereurs, à leur planter des électrodes sur le dos et à « admirer leur capacité à retenir leur respiration pendant une demi-heure ». Gamine, Christina avait punaisé sur le mur de sa chambre des posters de vaisseaux spatiaux aux côtés de son groupe de rock préféré, New Kids on the Block. Elle n’a pas oublié ce jour d’août 2013 où son téléphone a sonné à 6 h 15 du matin. Elle a entendu une voix féminine se réclamant de la Nasa. A l’époque, Christina habitait sur les îles Samoa, en plein Pacifique, où elle dirigeait un observatoire de l’agence américaine des océans. Elle était candidate pour un poste d’astronaute, sans y croire. Persuadée que la dame au bout du fil allait lui annoncer qu’elle était retoquée, elle l’a remerciée de s’être donné la peine de l’appeler, mais la voix l’a interrompue : « Attendez, vous êtes invitée à nous rejoindre ! » Quand Christina a raccroché, elle pensait avoir rêvé. « Ça m’a pris une heure avant de réaliser et de pleurer de joie », raconte-t-elle.

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"Au moindre contact avec une paroi, on rebondit comme une balle de ping-pong et on perd totalement le contrôle."

Aujourd’hui, les quatre amazones de l’espace habitent tout près de l’immense centre spatial Johnson, à une heure de Houston, avec leurs conjoints et leurs enfants. Elles travaillent ensemble et se voient aussi souvent le week-end, chez les unes et les autres, ou au Boondoggle’s, un pub voisin, repaire d’astronautes. Leurs familles sont proches. Bosser au centre spatial Johnson, c’est déjà vivre sur une autre planète, d’une superficie de plus de 600 hectares, dans des hangars aux dimensions écrasantes au milieu des fusées, des navettes spatiales et d’objets futuristes comme cet engin tout-terrain à douze roues baptisé Space Exploration Vehicle (véhicule d’exploration spatiale), à cabine pressurisée, capable d’emmener deux cosmonautes à son bord et de franchir n’importe quel obstacle.
L’entraînement est rude. Dès qu’elles ont intégré leur corps d’élite, les nouvelles recrues ont découvert les joies de la vie en apesanteur, à l’occasion de « vols paraboliques ». Ça se passe à bord d’un gros avion qui monte très haut dans les airs puis coupe les gaz. Dans la cabine vide, la gravité disparaît pendant la chute, comme dans l’espace. « La première fois qu’on en fait l’expérience, c’est inoubliable et déstabilisant, témoigne Nicole. Au moindre contact avec une paroi, on rebondit comme une balle de ping-pong et on perd totalement le contrôle. » Au bout de trente secondes, l’avion remet le moteur en marche ; à l’intérieur, ça secoue fort. L’expérience se renouvelle une vingtaine de fois. Epuisant !

La capsule habitable du vaisseau spatial Orion, de 5 mètres de diamètre et 3 mètres de hauteur. Quatre astronautes y logeraient durant le trajet pour Mars.
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Bientôt, Christina, Anne, Jessica et Nicole seront prêtes à partir pour de bon. L’an prochain, l’une d’elles sera désignée pour monter à bord de la Station spatiale internationale lancée par la Nasa conjointement avec l’agence fédérale russe, pour prendre la relève d’un des deux astronautes américains qui y séjournent actuellement. « On vit déjà à leur rythme, explique Christina, chargée de s’assurer que tout va bien pour eux. Un logiciel leur fixe des objectifs toutes les dix minutes. Ma mission est de ­m’assurer qu’ils ont un bon équilibre de vie, avec huit heures de sommeil et deux heures de gym par jour. Sinon, ils perdent leur masse musculaire à cause de l’apesanteur, ce qui risque de leur poser des problèmes à leur retour sur Terre. »

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La Nasa prévoit le premier voyage dans quinze ans

Mais le rêve des jeunes recrues, leur Graal, est de partir sur Mars. C’est le grand projet actuel de la Nasa. Les robots envoyés sur place ont détecté de l’eau : la vie y est donc possible. Charles Bolden, le patron de l’agence, les a prévenues : « Vous serez peut-être les premières à y aller. » Il prévoit le premier voyage dans quinze ans. Autant dire demain, à l’échelle spatiale, où le moindre programme coûte des dizaines de milliards de dollars et prend des décennies à se concrétiser. Comme elles sont encore jeunes, elles ont toutes les chances d’être de la première mission. Pour l’instant, elles contribuent aux développements scientifiques qui aideront ce projet à voir le jour. « Tout le travail que nous effectuons sur la Station spatiale internationale consiste à recueillir des informations qui, demain, permettront de construire des équipements plus robustes, adaptés à des missions de très longue durée », explique Jessica. Mars est à 55 millions de kilomètres de la Terre. Le trajet pour y aller prend de six à neuf mois, le séjour durera de deux à trois ans. Il y fait très froid, jusqu’à – 60 °C. La conquête de la planète rouge est une aventure sans commune mesure avec tout ce qui a été tenté jusqu’à présent dans l’espace. « Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité », a dit Neil Armstrong en posant le pied sur la Lune. En sortant de son entraînement dans le grand bassin du centre spatial Johnson, Anne se veut philosophe. « Depuis ­l’espace, les frontières disparaissent. La seule chose que vous voyez, c’est cette Terre si solitaire, sans différence de races, de couleurs de peau, de religions. J’espère que l’aventure humaine sur Mars contribuera à faire comprendre aux Terriens qu’ils sont beaucoup plus proches qu’ils ne le croient… »

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