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TUNISIE

"Meurs, fils de p***, ça nous est égal !": scène de violences ordinaires de la police tunisienne

Capture d'écran de la vidéo publiée sur la page "Scandales du ministère de l'intérieur tunisien"
Capture d'écran de la vidéo publiée sur la page "Scandales du ministère de l'intérieur tunisien"
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Une vidéo, tournée lundi dans un commissariat à Carthage, est devenue virale. On y voit un policier empoignant violemment un jeune Tunisien qui suffoque, pendant qu’un autre policier lui lance : "Meurs, ça nous est égal !". Une scène révélatrice de la violence persistante et de l’impunité dont bénéficie la police en Tunisie.

La vidéo, publiée sur la page Facebook "Scandales du ministère de l’Intérieur", qui recense les abus de la police tunisienne est, durant les 30 première secondes, un peu brouillonne. Elle a visiblement été prise dans l’urgence et de façon dissimulée. On distingue finalement un homme en chemise blanche, policier, en train de serrer le cou d’un jeune tunisien. Il lui parle dans un langage très grossier. "Je vais niquer ta mère ", "Ce n’est pas ton problème s’il demande de l’argent !" dit-il notamment.

Le jeune homme l’implore : "Laissez-moi, vous allez me tuer, vous m’étranglez, je suffoque". Un autre homme, en uniforme cette fois, tenant un téléphone dans la main, se dirige vers lui. Il le gifle violemment à deux reprises. "Meurs fils de pute", lui lance-t-il, "meurs, ça nous est égal", répète-t-il avant de lui donner un coup de pied dans les jambes.

"Le jeune homme avait filmé le policier en train de racketter de l’argent à un conducteur"

Ali B. (pseudonyme) a été témoin de la scène.

Le jeune homme venait d’être arrêté avec un ami. Le policier en uniforme dans la vidéo était très en colère, car le jeune homme l’avait filmé en train de racketter de l’argent à un conducteur sur la route. Ce genre de scène de corruption est très courant en Tunisie, et lui a eu le courage de vouloir la dénoncer.

Mais ça n’a pas plu au policier qui les a arrêtés, lui et son ami. Tous deux ont été amenés au poste de police. Ça n’a pas l’air d’avoir plu au commissaire de police non plus, l’homme en chemise blanche, qui sert le cou du jeune homme au risque de l’étrangler. D’ailleurs il lui fait bien comprendre qu’il n’aurait pas dû filmer : "Qui t’a donné l’autorisation de filmer ?" "Ce n’est pas ton problème s’il demande de l’argent !"... Les policiers ne veulent pas que les pratiques de ce genre soient documentées.

J’ai suivi l’affaire par la suite : après trois jours d’incarcération au commissariat, ils sont passés devant un juge. Selon moi, il n’y a pas eu d’enquête indépendante. C’est le commissariat de police qui a mené l’enquête. La police a retourné les charges contre le jeune homme violenté.

Ils l’ont accusé d’avoir agressé verbalement le policier. Le jeune homme n’avait même pas d’avocat pour se défendre, et comme c’est un délit mineur, il n’y a pas d’avocat commis d’office. Et par ailleurs, il n’avait pas les moyens de s’en payer un. Sa parole ne vaut rien. Il aurait peut-être pu montrer la vidéo du policier rackettant le conducteur, mais bien sûr, celui-ci avait pris soin de supprimer ce fichier compromettant du portable. Il a écopé de trois mois de prison et d’une amende de 100 dinars tunisiens (un peu plus de 40 euros). Son ami, lui, a été libéré. Il détient une double-nationalité, tunisienne et hollandaise. Il ne réside pas en Tunisie, il était en vacances. C’est sans doute ça qui lui a permis d’échapper à l’arbitraire de la justice et à l’impunité de la police.

"Les enquêtes sur les abus de la police sont souvent menées par des collègues des policiers mis en cause"

Radhia Nasraoui, avocate spécialiste des droits de l’Homme et présidente de l’Association tunisienne de lutte contre la torture, confirme que la police tunisienne a fortement tendance à avoir recours à la violence, et bénéficie d’une grande impunité.

Les cas de torture et de mauvais traitements aux mains de la police étaient systématiques à l’ère de Ben Ali, mais ils risquent de le redevenir si l’impunité de la police continue.

Les victimes de violences policières ont peur de porter plainte car celles qui le font se retrouvent avec un procès sur le dos, fabriqué de toute pièce. Les chefs d’accusation sont souvent les mêmes : atteinte verbale ou physique envers la police, état d’ébriété sur la voie publique, atteinte aux biens d’autrui. Les enquêtes devraient être indépendantes, or il arrive encore trop souvent que ce soit un collègue du policier mis en cause qui mène l’enquête. Et bien sûr, il existe une solidarité entre collègues policiers. Très rares sont ceux qui vont dénoncer les abus d’un des leurs. Tant que ne sera pas mis fin à l’impunité de la police, ces cas continueront d’exister, et au mieux, d’être simplement rapportés.

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