Vingt-deux mois après son accession au pouvoir, la gauche gouvernementale passera, lors des élections municipales des 23 et 30 mars, son premier test électoral majeur. Peut-elle encore éviter un sévère revers ? La forte implantation locale du Parti socialiste le prémunit certes d'une débâcle à la mesure de l'impopularité de M. Hollande et du gouvernement. Mais cela ne suffira pas à empêcher la casse, comparable aux scrutins de 2001, voire à celui de 1983, resté dans l'histoire comme une claque magistrale pour la gauche.
- Une décrue inévitable pour le PS
Notre étude porte sur les villes de plus de 10 000 habitants. Elle s'appuie sur les scores obtenus aux dernières élections municipales de 2008 et aux élections présidentielles et législatives de 2012 dans ces communes, en intégrant les données dont nous disposons sur les forces en présence.
A minima, 130 villes peuvent au total être considérées comme susceptibles de basculer lors des prochaines municipales. La gauche, dans ses diverses composantes, est menacée dans 85 villes sur les 500 qu'elle dirige actuellement. Strasbourg, Reims, Metz, Pau, Chambéry, Saint-Etienne, Quimper, pour les plus importantes mais aussi Auxerre, Angers, Amiens, Valence, Tourcoing, Clamart, Saint-Dié constituent des cibles atteignables pour la droite.
Ce qui n'empêche pas le PS, au vu des gains électoraux qu'il a enregistrés depuis le précédent scrutin municipal, d'envisager de nouvelles conquêtes. Au total, 45 villes aujourd'hui tenues par la droite sont en situation fragile et peuvent basculer. Notre étude montre que ce n'est pas seulement dans les villes de plus de 30 000 habitants – celles sur lesquelles sont habituellement braqués les projecteurs – que va se jouer le scrutin. Les mouvements les plus significatifs pourraient concerner les communes comptant entre 10 000 et 30 000 habitants, révélateurs de l'état du pays et de l'ampleur de la défiance vis-à-vis de la majorité présidentielle.
- Les comparaisons avec 1983 et 2001
La gauche risque-t-elle de subir une défaite comparable à celle des élections municipales de 1983 ou à celle de 2001 – deux scrutins qui avaient donné un coup de semonce préfigurant une alternance lors de l'échéance électorale nationale suivante ?
En 1983, deux ans après l'élection de François Mitterrand et l'accession de la gauche au pouvoir – pour la première fois depuis le début de la Ve République – la gauche avait enduré une cuisante débâcle : entre 1977 et 1983, elle avait reculé de 52,6 % des suffrages au premier tour à 45,3 %. Alors qu'elle dirigeait 161 villes de plus de 30 000 habitants, elle n'en détenait plus, à l'issue du scrutin, que 125 (– 36).
Au total, sur les villes de plus de 9 000 habitants, elle avait perdu 97 mairies. Les élections municipales de 1983 avaient également marqué, d'une part, le déclin du communisme municipal et, d'autre part, le reclassement de l'électorat centriste à droite. la gauche avait surtout subi un fort abstentionnisme avec une bonne mobilisation de l'électorat dans les zones de force de la droite et une rétraction dans les terres traditionnelles de la gauche.
En 2001, la gauche avait connu un recul marqué en perdant 42 villes de plus de 15 000 habitants mais ce reflux avait été en partie éclipsé par les gains, historiques, de Paris et de Lyon. En 2008, un an après l'élection de Nicolas Sarkozy, la droite avait perdu 82 villes de plus de 10 000 habitants.
- La démobilisation à gauche
L'abstention et la démobilisation de l'électorat de gauche sont les principaux dangers qui guettent l'actuelle majorité. Une abstention que les instituts de sondage ont le plus grand mal à anticiper. Depuis 1983, elle n'a cessé de s'amplifier aux élections municipales, passant de 21,6 % à 33,5 % en 2008 au premier tour, de 20,7 % à 34,8 % au second tour. Pour la première fois, en 2008, la participation au second tour avait été inférieure à celle du premier.
Signe précurseur d'une érosion des deux principales forces politiques, qui désormais ne parviennent plus à agréger l'électorat ? Jusqu'à quel point l'électorat peut-il encore s'éloigner des deux partis qui dominent le paysage politique et institutionnel ? Ce sera une des autres clés de ce scrutin. La droite – et l'UMP en l'occurrence – n'est elle-même pas à l'abri de quelques déconvenues dans les villes qu'elle dirige. Soit parce qu'elle subit l'usure de la longévité, comme à Marseille, soit parce que la sociologie de l'électorat a évolué, notamment dans les villes moyennes, soit, enfin, à cause de la poussée du Front national.
- L'ambition du Front national
Le FN présentera des listes dans quelque 500 villes, soit plus de la moitié des communes de plus de 10 000 habitants. « C'est là que le scrutin municipal revêt un véritable enjeu politique », explique Nicolas Bay, secrétaire général adjoint du parti d'extrême droite. Parmi ces villes, le FN vise surtout celles où Marine Le Pen a réalisé plus de 12 % à la présidentielle et où il a obtenu plus de 10 % des voix aux législatives. « C'est alors une quasi-certitude de nous maintenir au second tour et d'envoyer des élus au conseil municipal », estime M. Bay.
Si le nombre de communes que le FN peut espérer gagner reste limité – une dizaine, essentiellement situées dans le Var, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, sans oublier Hénin-Beaumont dans le Pas-de-Calais –, sa capacité à se maintenir au second tour va considérablement rebattre les cartes. La gauche voit dans la multiplication de triangulaires une chance d'éviter une déroute. Il n'est pas sûr, cependant, aux niveaux d'impopularité qu'elle a atteints et de désillusion qu'elle a propagée, que cela suffise.
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