La nouvelle géopolitique de l'innovation sociale

C'est en donnant à leurs habitants les moyens de construire des réseaux dans un immeuble, une rue ou un quartier, en mettant à leur disposition des outils pour faire communauté que les villes gagneront sur le terrain de la citoyenneté. Par Christian Vanizette, fondateur de MakeSense, Amira Yahyaoui, militante tunisienne des droits de l'homme et Amandine Lepoutre, présidente de Thinkers&Doers

L'innovation politique que constitue Nuit Debout continue d'intriguer les observateurs, qui peinent à en trouver un sens, au-delà d'envies d'agir. Or, face à l'envie d'agir, les pouvoirs publics sont pour l'instant incapables de réagir : pour formuler une réponse, il faut passer par un changement de perspective en remettant la ville au centre de la question.

Comme en témoigne le succès des mobilisations citoyennes, du printemps arabe à Podemos ou actuellement Nuit Debout, en passant par les manifestations internationales déclenchées par un simple appel sur Internet, les citoyens sont gagnés par une effervescence jusqu'alors inconnue. Partout, grâce aux outils numériques, certes, mais aussi face à l'urgence économique ou climatique, émergent des initiatives spontanées, horizontales, collaboratives, pour proposer des réponses collectives aux problèmes que les institutions ou les pouvoirs publics leur paraissent mal ou ne pas prendre en compte.

Le monde entier traversé par des milliers d'envies de changement

En dehors du politique, l'éducation, l'énergie ou l'alimentation se renouvellent aussi, portés par des entrepreneurs innovants qui voient dans leurs projets une façon de transformer un environnement plutôt qu'un marché. Cette prise de conscience ne doit pas être réduite à une simple assimilation des logiques sous-jacentes à la révolution digitale : c'est le monde entier qui est traversé par des milliers d'envies de changement, par des actions innovantes s'inscrivant volontairement dans l'espace et dans le temps de l'humain, et non plus des grandes machines étatiques ou économiques.

Il est difficile de donner un sens à l'effervescence. De façon frappante, et de prime abord déconcertante, ces mobilisations ont en effet abandonné le traditionnel schéma de la masse faisant pression en vue de satisfaire une revendication unique. Au contraire, ces mouvements souhaitent s'implanter, se pérenniser et s'élargir : il ne s'agit plus de lutter contre une décision, une loi ou même un régime, ils aspirent à un nouveau modèle de société, de relations. Ils créent des dynamiques nouvelles, tissent des liens entre eux, dans les villes et entre les villes. Leur mouvement et leurs actions dépassent les territoires et les frontières.

En somme la réflexion et l'action innovantes, celles qui veulent changer le cours des choses et la décision publique se diffusent à l'ensemble des individus. Elles ne sont pas pour eux de simples revendications. Les acteurs de l'innovation préemptent le territoire de l'action. Et c'est bien là tout l'enjeu de ces acteurs. De ces mouvements qui prennent vie. Transformer en action concrète, mesurable, efficace leurs revendications. Le militant, l'artiste ou l'entrepreneur social ne sont plus les hérauts d'une seule cause : chacun souhaite que son œuvre s'étende au-delà des limites que l'on voudrait lui tracer.

Prendre en compte cette force innovante

Il est important pour les pouvoirs publics de prendre en compte cette force innovante, sans quoi le décalage entre gouvernants et gouvernés risque de créer des individus qui agissent en dehors de la collectivité au profit de leur communauté propre, nécessairement plus réduite, c'est-à-dire, pour paraphraser Hannah Arendt, « des citoyens sans cité ». Pour les Etats, l'équation est compliquée tant cette demande, qui transcende leurs compétences et leurs territoires, peut paraître difficile à satisfaire, voire contradictoire avec leur raison d'être. C'est alors à la ville, aux villes et grandes métropoles, le premier bassin de vie, de se saisir de ce bouillonnement pour dessiner la nouvelle architecture des sociétés.

Comment les villes peuvent gagner sur le terrain de la citoyenneté

C'est en donnant à leurs habitants les moyens de construire des réseaux dans un immeuble, une rue ou un quartier, en mettant à leur disposition des outils pour faire communauté - compteurs intelligents, jardins partagés, budgets participatifs, etc. - ou tout simplement en offrant de la visibilité aux idées socialement bénéfiques, économiquement responsables, créativement différentes, que les villes, premier échelon efficace à pouvoir donner une structure aux nombreux acteurs qui se mobilisent, gagneront sur le terrain de la citoyenneté. Les plus actives sont déjà passées au mode collaboratif : elles facilitent et relient leurs initiatives encore disparates et multiformes, et accélèrent la prochaine étape de l'interaction qui existe entre elles.

Les villes ont amorcé cette transformation : c'est maintenant aux Etats et surtout aux citoyens, aux associations et aux entreprises de les aider à être en mesure de connecter les forces de l'innovation pour tirer parti de cette formidable énergie.

Christian Vanizette, fondateur de MakeSense

Amira Yahyaoui, militante tunisienne des droits de l'homme

Amandine Lepoutre, présidente de Thinkers&Doers

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