Denis Salas, magistrat : « Le piège de Daech entraîne une surenchère pénale »

FAIT DU JOUR. Denis Salas, 62 ans, magistrat et essayiste.

Denis Salas, magistrat et essayiste.  
Denis Salas, magistrat et essayiste.   (DR.)

    Ce juriste est notamment l'auteur de « Erreurs judiciaires » (Dalloz, 2015).

    Hooligans et casseurs dans les manifs, policiers assassinés... Est-ce l'anarchie ?
    DENIS SALAS. S'il s'agissait d'« anarchie », il suffirait de rétablir « l'ordre ». Non, la crise que nous traversons est plus profonde. Elle tient notamment à l'inadéquation grave entre l'action politique actuelle et l'état anxiogène du pays — ce qu'illustre la loi Travail. Elle est liée à une peur sociale. L'irruption de « loups solitaires » capables d'une violence extrême crée une panique morale. Leurs actes sont conçus pour cela : sidérer les gens et obliger les gouvernements à surréagir. Le terrorisme de Daech impose une stratégie du chaos. Et l'on y répond par une fuite en avant de mesures portées par l'émotion collective : lois pénales, prolongation de l'état d'urgence, interdictions de manifester... Jusqu'où va-t-on aller ?

    La société n'est-elle pas moins sûre ?
    Non, la réalité sociologique et statistique atteste, à long terme, d'un déclin de la violence. Mais la peur nous assaille. Notre société démocratique est plus pacifique que par le passé, mais les éclats du terrorisme entraînent une surenchère pénale sans fin. Une réponse policière qui nous éloigne de l'état de droit. Le juge, garant des libertés, en est absent. Cela me fait penser au climat de la guerre d'Algérie. Et cet écho à l'histoire m'inquiète.

    Pourquoi ce parallèle ?
    A l'époque, chacun avait ses martyrs — comme Daech ou l'Etat aujourd'hui. Comme à l'époque, la surenchère victimaire crée un surcroît de répression et de violence ; un engrenage néfaste aux libertés publiques. On voit, par exemple, réapparaître l'internement administratif des suspects, alors en vigueur : c'est ce que la droite et l'extrême droite proposent avec la création de centres de rétention pour les personnes les plus radicalisées. Interner sur une supposée dangerosité revient à punir l'intention : on pourra enfermer des gens sur ce qu'ils ont voulu ou supposé voulu faire.

    Sécurité et libertés : où penche le curseur ?
    Du côté sécurité, incontestablement. Les magistrats sont écartés du contrôle de l'état d'urgence, les lois en préparation pour en prendre le relais fin juillet renforceront les pouvoirs de la police et du parquet. Cette volonté répressive accrue rompt l'équilibre démocratique.

    Comment en sortir ?
    Le piège de Daech fonctionne comme un étau sur notre société. Il faut le desserrer, essayer de dominer l'anxiété et non l'accroître par des réactions immédiates et mimétiques. Faire un pas de côté. Chacun peut y contribuer.