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« Théorie du genre » : des militants d'extrême droite intimident des bibliothèques

Le mouvement semble cependant plus limité que ne le laisse entendre le ministère de la culture.

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Publié le 12 février 2014 à 12h51, modifié le 12 février 2014 à 16h44

Temps de Lecture 4 min.

Le blog des catholiques radicaux, proches de l’extrême droite et du Printemps français, ne cache pas sa satisfaction : celle d’avoir déclenché un communiqué musclé de la ministre de la culture et de la communication. Lundi 10 février, Aurélie Filippetti dénonçait l’action de « groupuscules » contre les ouvrages de littérature jeunesse abordant l’égalité filles-garçons, l’homoparentalité et le changement de sexe. Depuis une semaine, une trentaine de bibliothèques, selon le ministère de la culture, ont été ciblées par des activistes traditionnalistes, demandant le retrait de certains ouvrages dans les rayons jeunesse : dans la ligne de mire, Jean a deux Mamans, Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi, La nouvelle robe de Bill, etc.

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Mercredi 12 février, sur RMC, Aurélie Filippetti a dénoncé des « attaques scandaleuses » contre les bibliothèques, qui sont des « espaces de liberté ». La ministre ajoute que Jean-François Copé s’est « totalement ridiculisé » en pointant du doigt l’ouvrage Tous à poil !, utilisé à l’école pour démonter les stéréotypes, dans le dispositif expérimental de « l’ABCD de l’égalité », mis en place par le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon.

Tout a commencé, le 4 février, par une « alerte » publiée sur le Salon beige. Un membre de ce réseau signale qu’un certain nombre d’ouvrages « recommandés dans l’ABCD de l’égalité »  se trouvent dans les rayons des bibliothèques  de Versailles. Sur sa page d’accueil, le Salon beige cible à nouveau Versailles : un auteur « jeune public » serait intervenu dans une classe de CM1 pour discuter de la construction du genre, et du changement de sexe.

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Le lendemain, le 5 février, le Salon beige épingle un certain nombre de villes où sont repérés les «  ouvrages idéologiques » : Nantes, Toulon, Saint-Etienne, Le Chesnay, Neuilly-sur-Seine, Castelnaudary, Tours et, au terme d’une malencontreuse faute de frappe, Saint-Germaine-en-Laye (sic). Une ville transgenre était née. Le blog invitait ses membres à vérifier  « le contenu » des bibliothèques.

Il est difficile de mesurer l’ampleur du mouvement. Le communiqué d’Aurélie Filippetti déplorait l’attitude des militants, « qui exercent des pressions sur les personnels, les somment de se justifier sur leur politique d’acquisition, fouillent dans les rayonnages »… Mais nous n’avons pu obtenir la confirmation de ces faits.

Sollicitées par Le Monde, les bibliothèques visées par les activistes n’ont pas donné suite. Les fonctionnaires ont un devoir de réserve, et l’approche des élections municipales rend les maires nerveux. La ministre s’est-elle avancée un peu vite, ou alors une consigne de silence a-t-elle été donnée, dans l’espoir que l’incendie ne se propage plus encore ? La directrice de la bibliothèque de Nancy, et présidente de l’Association des directeurs des bibliothèques des grandes villes (ADBGV), Juliette Lenoir, tient à rappeler les grands principes régissant les bibliothèques : « Ils sont inscrits dans une Charte de 1991, ainsi que dans un Manifeste de l’Unesco. Les collections doivent refléter la diversité des opinions, l’évolution de la société, et être exemptes de toute forme de censure », précise-t-elle.

Le maire de Versailles n’a pas souhaité s’exprimer. Dans son entourage, on estime qu’une trentaine de mails au total ont été reçus, « une quinzaine demandant le retrait des livres, et une quinzaine en soutien,  appelant à résister à cette offensive ». A Rennes, on assure n’avoir reçu qu’un seul message, reproduisant les éléments de langage du Salon beige. A Castelnaudary, aucune demande de retrait d’ouvrages n’aurait été formulée.

« ON A AUSSI DES PRINCESSES QUI ÉPOUSENT DES PRINCES »

A Metz, où Aurélie Filippetti se trouve en deuxième position sur la liste du maire sortant Dominique Gros (PS), les responsables de la bibliothèque ont mis en place un argumentaire préventif sur Facebook.  « On a aussi, dans nos rayons, des princesses qui épousent des princes », grince un bibliothécaire. Philippe Brillaut, maire (CNIP) du Chesnay, dans les Yvelines, est l’un des rares, sinon le seul, à avoir pris la parole sur le sujet, dans un exercice de contorsion délicat à quelques semaines du scrutin municipal. Mobilisé contre le « mariage pour tous », il s’oppose toutefois au retrait des livres, mais a finalement décidé de les déplacer sur des étagères accessibles aux adultes…

Mettre à l’écart des enfants ces ouvrages, c’est ce que demande, justement, Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps français. « Ces livres-là n’ont absolument rien à faire dans les bibliothèques. Au minimum, il faudrait les mettre dans des rayons à part. Les enfants doivent être éduqués par leurs parents. On est en train de fabriquer des enfants d’Etat », déclare-t-elle au Monde.

Raphaëlle Bats, de l’Association des Bibliothèques de France, réplique : « Certes, les parents sont les premiers éducateurs des enfants. Mais les bibliothèques sont là pour former des citoyens ». En 2012, l’ABF a créé une « légothèque », groupe de travail sur les stéréotypes de genre et la lutte contre les discriminations, lequel « épaule et conseille » les bibliothécaires dans les acquisitions d’ouvrages.

Des leader de l’UMP prennent leurs distances avec le Salon beige, tout en critiquant « le militantisme » du gouvernement. « Chaque lecteur a le droit de donner son point de vue sur un ouvrage, mais ce n’est pas à un groupe de définir une politique d’acquisition », résume le député de la Drôme Hervé Mariton.

De même, Philippe Gosselin, député de la Manche, prend ses distances. «  Il appartient à chacun d’emprunter les livres de leur choix. Je suis absolument opposé à l’idée de dresser une liste ». Il ajoute : « Il est évident qu’il faut démonter les stéréotypes. Moi-même, à l’école maternelle, je jouais avec l’élastique avec des copines, et non au football. Mais je sens dans le gouvernement une volonté de déconstruire les repères, ou de rééduquer les enfants. Et je comprends que ça heurte les parents. »

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