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Le Brexit de la nourriture

Le Royaume-Uni n’a jamais été un paradis de la cuisine. En 40 ans, il s’est enrichi de la gastronomie de voisins dont il veut maintenant s’éloigner.

Publié le 29 juin 2016 à 17h51, modifié le 30 juin 2016 à 16h04 Temps de Lecture 5 min.

Si vous avez traîné un peu sur Internet depuis que le Royaume-Uni a décidé de sortir de l’Union européenne (UE), vous êtes peut-être tombé sur cette photo. Elle résume l’éloignement acté entre Européens et Britanniques en une belle nature morte : les victuailles du continent d’un côté de la table, la marmite et les haricots de l’autre.

Cette belle et triste image rappelle que le « Brexit » aura, au-delà du symbole, des répercussions bien réelles sur tous les secteurs économiques, dont celui, un peu oubliée, des denrées alimentaires.

En attendant que l’article 50 du traité de Lisbonne ne soit actionné pour lancer la procédure formelle de sortie de l’UE, personne, y compris les tenants britanniques du « leave », ne sait ce qu’il va se passer. L’hypothèse d’une négociation « à la carte », dans laquelle les Britanniques pourraient garder les parties de la construction européenne qui les arrangent est définitivement écartée, ce qui n’augure pas une négociation apaisée dans les deux prochaines années.

« Les Britanniques ont voté pour augmenter le prix de leur nourriture »

En attendant, les premiers impacts se font sentir : la livre sterling s’est effondrée et l’une des conséquences a été un début des hausses des prix pour les denrées dans ce pays qui ne produit que 54 % des aliments qu’il consomme et en importe 27 % de l’UE (le chiffre atteint 40 % pour les fruits et les légumes).

Des associations professionnelles, comme l’Union nationale des agriculteurs ou la Food and drink federation (FDF), avaient prévenu, avant même le résultat, que les consommateurs britanniques devraient s’attendre à des aliments plus chers an cas de victoire du « leave ». Le président de la FDF avait même prévenu ses camarades lors d’une conférence : le pays va entrer dans une « période de chaos complet ».

Timothy Lang, professeur au Centre for Food Policy de la City university de Londres, tenait les mêmes arguments depuis un moment. Dès le mois de mars, il exposait les risques d’un Brexit pour l’industrie alimentaire et le public britannique et s’étonnait, lors de la campagne, « de l’étrange silence sur la question de la nourriture » et de « la dépendance du Royaume-Uni envers les producteurs et les fournisseurs européens ».

« Notre système alimentaire ne se résume pas à l’agriculture (…) c’est un système extrêmement complexe en lien avec des structures continentales et donc européennes. »

Une phrase de l’étude sonnait comme une mise en garde :

« Les Britanniques ne devraient pas se diriger comme des zombies vers quelque chose qui aurait potentiellement un effet énorme sur leurs vies quotidiennes. »

Après les résultats, le professeur Lang livrait la deuxième partie de sa sombre analyse :

« Les gens paieront leur nourriture plus cher. Les Britanniques ont voté pour augmenter le prix de leur nourriture. »

« Une sorte de jour de la marmotte de la politique alimentaire »

Un autre nature morte pour symboliser le « Brexit ».

La hausse des prix est peut-être temporaire, le temps que le secteur reprenne ses marques. Mais la santé globale d’une industrie alimentaire dépendante de l’UE risque de se détériorer, surtout si le futur gouvernement britannique traîne des pieds pour commencer à négocier son départ.

Car tout ce qui a été signé entre les Britanniques et l’UE en matière de réglementation doit être revu. Pour tout ce qui touche de près ou de loin la nourriture, il s’agit, au-delà d’éventuels tarifs douaniers ou de quotas à trouver, de « plus de 43 ans de traités, de réformes, de structures partagées, d’accords commerciaux et d’engagements économiques » sur lesquels devront se pencher les négociateurs, rappelle M. Lang. Il faudra repartir de zéro.

Pour le professeur Lang, l’Europe peut être qualifiée de dysfonctionnelle, éloignée des réalités et bureaucratique, mais on ne peut pas nier que la production et la sécurité alimentaire de ses membres a été une de ses réussites. Que vont devenir l’étiquetage nutritionnel ou les mesures de sûreté, ces « compilations et accumulation de législations et de décisions judiciaires qui représentent les lois de l’Union européenne » ? Timothy Lang n’est pas très optimiste :

« Cela voudrait dire revisiter tout ce qui a été fait depuis 43 ans, une sorte de jour de la marmotte de la politique alimentaire. Les négociations devront refaçonner ou confirmer les bases légales de toutes les structures internes, externes et d’échange. »

Une île qui n’est pas « gastronomique »

La gastronomie britannique, circa 2016.

Le pas en arrière des Britanniques vis-à-vis de l’Europe peut être considéré comme une défaite par le gastronome et l’épicurien. L’île n’a jamais eu la réputation d’être un haut-lieu gastronomique, mais depuis son entrée dans le marché commun, en 1973, les goûts alimentaires des Britanniques ont été incontestablement enrichis par ses voisins.

Dans le New Yorker, la journaliste Bee Wilson, spécialiste en la matière, se souvient de sa jeunesse et du chemin parcouru, de la façon dont « la nourriture sur les tables britanniques a changé au-delà de tout ce que l’on pouvait imaginer ». Impensable au début du XXe siècle, « nous avons développé un penchant pour le vin et les fromages français ».

« On ne peut pas dire que l’UE est la seule raison qui fait que les Britanniques savent aujourd’hui faire la différence entre le pesto et la salsa verde. Une révolution alimentaire similaire aurait probablement eu lieu de toute façon, comme cela a été le cas aux Etats-Unis et en Australie dans la même période.

Mais contempler le Brexit permet de comprendre à quel point la Grande-Bretagne n’est pas une île gastronomique. Nous mangeons de la nourriture cuisinée par des chefs français et italiens avec des ingrédients européens. »

Remonter aux origines de l’idée d’un référendum pour sortir de l’Europe et vous verrez que la nourriture y était déjà présente, même indirectement. L’anecdote, rapportée par le Financial Times et le Daily Mail, veut que David Cameron, son chef de cabinet, Ed Llewellyn, et l’ex-ministre des affaires étrangères William Hague se soient mis d’accord pour organiser la consultation lors d’un dîner rapide dans un fast-food de l’aéroport de Chicago en 2012.

Plus précisément, Slate pense que « le Brexit aurait selon toute vraisemblance vu le jour dans une pizzeria Uno ». Si vous avez déjà mangé dans un aéroport américain, vous saurez que la pizza en question était sûrement fade et à moitié froide. Et que ce n’était pas la nourriture qui a le mieux porté conseil au futur ex-premier ministre britannique.

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