Face au pessimisme ambiant, ils agissent, font bouger la société à petite ou grande échelle.
Le Monde est allé à leur rencontre.

  • Simon Laisney et Paul Citron,

    Où il y a du vide, il y a de la vie

Les deux urbanistes Simon Laisney et Paul Citron, consternés par le nombre d’immeubles vacants en Ile-de-France, mettent leurs propriétaires en lien avec des artistes, associations ou jeunes entreprises, pour des locations à bas prix.

Il arrive au rendez-vous tout empêtré dans ses béquilles. Un talon fracturé, l’autre fêlé, stigmates d’un saut un peu trop audacieux d’un mur un peu trop haut. « Pas si haut, corrige-t-il, mais j’avais des chaussures de ville, c’était pas du tout adapté. » Il est comme ça, Simon Laisney. A 29 ans, il escalade des murs en chaussures raffinées. Lunettes élégantes, langage soutenu et raie sur le côté, il a des airs de premier de la classe, mais fréquente les lieux underground. Et il est toujours très précis. Un peu trop même, pour son camarade Paul Citron, 29 ans également, veste en jean et cheveux en bataille, qui prend soin d’interpréter quand il se fait trop technique, et ne cesse de le presser, « sinon on n’aura jamais le temps de tout raconter ».

Les deux amis se sont connus pendant leurs études d’urbanisme et d’aménagement du territoire à la Sorbonne (Paris). Après leur master 2, Paul poursuit en doctorat, Simon part quelques mois à l’étranger. A son retour, les trois ans qu’il va passer comme chargé d’études au sein d’un grand groupe d’immobilier de bureaux lui permettent d’intégrer la logique financière qui guide les investisseurs et de brasser des montagnes de données sur la situation immobilière en Ile-de-France.

Il réalise alors, en 2012, que la région compte pas moins de 4 millions de mètres carrés de bureaux vacants, dont 800 000 mètres carrés inoccupés depuis plus de cinq ans. « L’équivalent de 44 tours Montparnasse ! », précisent Simon et Paul, soucieux de trouver une image évocatrice.

« Occupation éphémère »

« C’est là que m’est venue l’idée, se souvient Simon Laisney. D’autant qu’à la même période, je sortais pas mal le soir dans des squats subventionnés. » L’occupation, à Londres, à la fin de 2011, d’un bâtiment vide de la banque UBS par les militants du mouvement Occupy l’a aussi profondément marqué. D’un côté, des promoteurs disposent d’espaces vacants à ne plus savoir qu’en faire, de l’autre, des artistes et des associations recherchent des lieux. Une énorme offre et une énorme demande. Mais deux mondes qui s’ignorent, voire se méprisent. Simon, qui fréquente l’un le jour et l’autre la nuit, a l’intuition qu’il y a peut-être là un dialogue à inventer.

Au même moment, l’entreprise où il travaille est rachetée par un concurrent. La sanction finit par tomber : licenciement économique. « J’étais totalement écœuré par ce monde-là. J’ai pensé partir à l’étranger, raconte Simon. Puis je me suis dit : “Tu vas partir sans avoir essayé de faire un truc cool en France ? Fuir au lieu d’essayer de faire bouger les lignes ?” Alors, je suis resté pour tenter quelque chose. »

Il contacte son ami Paul qu’il sait riche d’un réseau aux compétences techniques fortes dans le milieu des architectes et urbanistes. Ensemble, ils organisent une réunion pour présenter leur projet, le 13 juillet 2013, dans le jardin de Paul, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Simon expose son idée : « Inventer une sorte d’Airbnb de la vacance immobilière. Qu’occuper des immeubles vides devienne légal, juste au prix des charges, en créant une boîte à outils pour l’occupation éphémère. » Une façon pour de petites structures, aux moyens limités – artistes, associations, entreprises de l’économie sociale et solidaire – de trouver des locaux bon marché en pleine ville.

« Subversion douce »

L’assemblée est emballée. « Ça répondait à un besoin pour nous tous d’être utiles. Une réponse aux questions A quoi je sers ? Comment agir quand on ne veut pas faire de la politique à la papa ?”,s’enthousiasme Paul Citron. On allait monter un truc à rebours des pratiques du marché, basé sur une analyse ultra fondée techniquement. Une sorte de subversion douce. »

Ainsi est né Plateau urbain. Qui contrairement à Airbnb, n’est pas une entreprise, mais une association, car « si ça marche, j’envisage ça comme un service public », précise Simon.

Il faut convaincre les promoteurs qu’ils ont tout à y gagner, parce que la vacance est coûteuse (frais d’entretien, charges de copropriété, taxe foncière, et, lorsque la surface est importante, porte antisquat ou maîtres-chiens). Mais aussi parce qu’un immeuble vide nuit à la dynamique d’un quartier. Simon évoque ce bailleur social qui, lors d’un événement artistique dans une friche des Hauts-de-Seine, s’était félicité de n’avoir qu’une infime partie de son parc HLM inoccupé.

« Ces 2,5 % n’étaient pour lui qu’un chiffre sur un papier ! Je lui ai demandé : “Imaginez-vous ce que ces locaux vides représentent pour les gens qui vivent là ?” » Cette première intervention en public lui donne définitivement confiance dans sa capacité à discuter avec les bailleurs, publics et privés. « On connaît les codes et les contraintes, complète Paul Citron. On sait leur parler avec nos mots et nos tableurs. » Les rassurer aussi sur le fait que la date prévue pour la fin du bail sera respectée, « un enjeu majeur sur lequel ils sont ultra flippés ».

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« Approche alternative »

Trois ans ont passé depuis la réunion de Bagnolet. Plateau urbain compte désormais treize personnes, et, très prochainement, une plate-forme numérique pour faciliter les candidatures sur les locaux disponibles en Ile-de-France. Paul préside l’association dont Simon, directeur général, est depuis peu salarié. Ils ont aidé à une quinzaine d’« occupations légales » par le biais de baux précaires, allant de quelques jours à quelques années.

La plus spectaculaire est sans doute le site des « Grands Voisins », installé sur 3,2 hectares désaffectés de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul (Paris), où 130 structures cohabitent, pour 17 euros par mois du mètre carré. Il y a même une liste d’attente pour s’y installer.(Voir le reportage vidéo)

Simon ne regrette pas d’être resté en France. « C’est un des rares pays où il est encore possible de proposer une approche alternative !,s’enflamme Paul, qui a un temps étudié à New York. Ici, même les promoteurs peuvent trouver valorisant de soutenir des artistes ou faire revivre leurs friches. C’est notre culture française ! »

Déjà récompensé du prix francilien Crearif-Entreprendre autrement en 2015, Plateau urbain figure parmi les huit lauréats du Palmarès national des jeunes urbanistes annoncé le 30 juin.

La troisième édition du Monde Festival se tient à Paris du 16 au 19 septembre 2016 sur le thème « Agir ». Retrouvez le programme du Monde Festival et envoyez-nous vos idées de portraits et d'initiatives à agir@lemonde.fr.

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