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Peut-on créer (et utiliser) du cuir à partir de la peau d’Alexander McQueen ?

Une styliste projette de reconstituer un tissu humain avec l’ADN du créateur de mode mort en 2010. Pour provoquer, et pour alerter sur l’insuffisante protection de notre « information biologique ».

Publié le 20 juillet 2016 à 16h34, modifié le 20 juillet 2016 à 18h24 Temps de Lecture 3 min.

Les cheveux du créateur de mode Alexander McQueen sont un objet de convoitise artistique pour la styliste Tina Gorjanc.

Pour son projet de fin d’études à l’école britannique de mode Central Saint Martins, Tina Gorjanc a présenté des vêtements et des accessoires en cuir faits à partir de peau de cochon. Rien d’extraordinaire, jusqu’à ce qu’on apprenne que ce n’était qu’une première étape. Elle voulait une texture la plus ressemblante possible à la peau humaine (taches de rousseur, coups de soleil, tatouages), car l’objectif final est de réaliser des sacs et des vestes à partir de la peau (recréée grâce à l’ADN), du créateur de mode Alexander McQueen, mort en 2010.

Le projet est à l’état de théorie, mais il est techniquement possible et, apparemment, légal. En 1992, McQueen lui-même avait incorporé ses propres cheveux dans sa première collection de fin d’études. Tina Gorjanc veut récupérer ces mèches, en extraire le matériel génétique nécessaire et, grâce à une culture cellulaire en laboratoire, en faire de la peau qui serait « tannée et transformée en cuir humain, dans le but de l’utiliser pour des sacs, des vestes et des sacs à dos ». Elle a déposé une demande de brevet pour les « échantillons d’information génétiques [de McQueen] comme base pour une procédure qui aboutirait à créer du cuir fait de tissu humain dans un laboratoire ». Ce qui veut dire qu’elle « deviendrait propriétaire de ce matériel, qui inclut l’information génétique d’Alexander McQueen ».

Sauf que personne ne va s’habiller demain avec la peau d’un des plus grands créateurs de mode du XXe siècle. Derrière la provocation (que McQueen aurait sûrement appréciée), les sacs humains sont une façon « de pointer les manquements dans la protection de notre information biologique », dit Tina Gorjanc.

« Une étudiante comme moi a pu déposer une demande de brevet pour du matériel extrait de l’information biologique d’Alexander McQueen et il n’y avait aucune législation pour m’en empêcher. Imaginons ce que de grandes entreprises, avec de grands budgets, vont pouvoir faire dans le futur. »

« McQueen n’était pas, techniquement, propriétaire de ses propres cheveux »

En matière de bioéthique, la loi varie de pays en pays, mais semble, comme le suggère Tina Gorjanc, un peu dépassée par la technologie. Par ailleurs, la déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’Unesco de 2005 affirme que tout acte médical doit être fait « avec le consentement préalable, libre et éclairé de la personne concernée ». Mais ne fait pas mention des actes artistiques ou commerciaux.

  • En France, le Comité consultatif national d’éthique a prononcé dès 1990 le principe de non patrimonialité du corps humain, qui interdit tout commerce ou négoce du corps ou de ses produits. Mais qu’en est-il des choses que l’on pourrait recréer avec vos organes ou vos cellules, comme avec le cheveu de McQueen ?
  • En Grande-Bretagne, le Human Tissue Act de 2004 encadre l’utilisation du matériel génétique humain dans la recherche médicale, mais ne dit rien de leur éventuelle utilisation commerciale. Interrogé par Quartz, Jeff Skopek, spécialiste de loi et d’éthique médicale à l’université de Cambridge, ajoute ceci, pour rendre la situation un peu plus anxiogène :

« La règle de base en Grande-Bretagne est qu’il n’y a aucun droit de possession en ce qui concerne le tissu humain. Donc, McQueen n’était pas, techniquement, propriétaire de ses propres cheveux. »

  • Même chose aux Etats-Unis. Les cheveux que vous laissez derrière vous chez le coiffeur ne vous appartiennent plus, même si, légalement, personne ne peut les ramasser et déposer un brevet pour les posséder. Une histoire illustre d’ailleurs le flou de la loi. Dans les années 1970, un certain John Moore subit une ablation de la rate après une leucémie. Il ignore que les docteurs garderont des cellules de sa rate pour les étudier. Ils créent une lignée cellulaire, efficace dans le traitement contre les cancers, qui leur rapportera beaucoup d’argent après avoir été breveté. Lorsqu’il apprend, une décennie plus tard, que ces médecins se sont fait de l’argent sur ses cellules, Moore intente un procès. La justice américaine le déboute : il n’a aucun droit sur un brevet qu’il n’a pas inventé, même si ce qui a été breveté contient des parties de son ADN.
Lors d’un défilé McQueen aux débuts des années 2000.

Les sacs en peau de McQueen, s’ils existent un jour, ne seront pas commercialisés, assure leur créatrice. Ils auront leur place dans un musée ou une galerie, peut-être dans une exposition sur le thème « La mode déborde les frontières de la science-fiction ».

Elle peut être critiquée ou ridiculisée, mais, pour Tina Gorjanc, cette approche « Frankenstein » de la mode est utile pour comprendre un milieu qui a besoin d’aller toujours plus loin pour se réinventer :

« La demande de produits personnalisés, uniques et raréfiés ne cesse de grandir. Tout comme l’obsession de la célébrité, sans même parler des avances biotechnologiques, qui pourraient changer la façon dont on fabrique les vêtements et leurs tissus. »

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