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Libération
Billet

Complotiste, la rédaction de «Libération» ? Non, monsieur le ministre

Procès de l'attentat du 14 juillet de Nicedossier
Réponse aux propos de Bernard Cazeneuve qui a mis en cause les journalistes de «Libé» après notre enquête portant sur le dispositif de sécurité lors de attentat de Nice.
par Johan Hufnagel
publié le 21 juillet 2016 à 13h11

Bernard Cazeneuve, votre réponse à l'enquête de Libération n'a pas tardé. Hors de propos. Vous mettez en cause «la déontologie des journalistes qui ont signé ces articles» et dénoncez des «procédés qui empruntent aux ressorts du complotisme, [et] sont graves, car ils laissent penser que le préfet des Alpes-Maritimes, le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre auraient cherché à travestir la vérité». Non, monsieur le Ministre, les journalistes de Libération n'ont pas versé dans le complotisme.

Ils n'ont fait que leur travail, dans le plus grand respect de la déontologie : enquêter sur des faits ; débusquer les contradictions dans le flot des déclarations ; recouper les informations ; poser des questions ; donner la parole à tous, y compris ceux qui ont été mis en cause. Ce travail, vous savez que nous l'avons fait puisque nous avons été en contact toute la journée de mercredi avec vos services.

Derrière l'injure, qui nous blesse, mais que nous mettrons sur le compte de la publication tardive de ce communiqué et qui ne correspond pas à celle d'un homme d'Etat de votre stature, vous avez validé une partie de notre enquête tout en nous accusant de publier des «contre-vérités». Etrange schizophrénie.

Vous avez en effet pointé, dans ce communiqué, ce que nous nous sommes dit mercredi lors de nos échanges téléphoniques, et notamment que les premières voitures de la police nationale se trouvaient environ 400 mètres après le début de la zone piétonne. Il y avait donc deux zones piétonnes : une qui commençait au point d’entrée, gardée par deux policiers municipaux, et une autre, couverte par la police nationale, qui débutait devant les grands hôtels niçois…

Nous nous félicitons d'ailleurs que notre enquête, une semaine après le terrible attentat, ait modestement aidé à ce que vous consentiez à une «évaluation technique du dispositif de sécurité». Il aura fallu une semaine, tout de même.

Mais le principal problème n'est pas là, et vous le savez. Nous n'accusons personne de manquements à la protection des Niçois, validée par les élus locaux et les services de l'Etat. Nous ne critiquons pas le dispositif. Nous espérons simplement que l'enquête de vos services ira jusqu'au bout et qu'elle nous permettra de comprendre les différentes explications, contradictoires, que les services de l'Etat ont fournies. Je vous rappelle vos propos du 16 juillet : «Des véhicules de police rendaient impossible le franchissement de la promenade des Anglais.»

Ce n'est plus ce que vous dites dans votre communiqué. Nous n'imaginons pas un mensonge délibéré de votre part, bien sûr. Mais un dysfonctionnement dans les transmissions d'informations qu'il convient de pointer et de régler, pour justement éviter la tentation du complotisme et les accusations infondées. Le retour d'expérience est nécessaire à tous. C'est valable pour les services de police et de renseignement, mais aussi pour Libération, qui en permanence s'interroge sur ses pratiques et reste ouvert à la critique de son travail.

Libération ne mène aucune campagne contre «les préfets, les forces de l'ordre et les services de renseignement qui, dans un contexte très difficile, luttent contre la menace terroriste», comme vous nous en accusez, sous le coup d'une colère peu républicaine. Libération ne mène pas «de campagnes politiques ou de presse qui visent à atteindre le ministère de l'Intérieur dans sa réputation, faisant fi du travail considérable accompli par ces femmes et ces hommes de devoir», comme vous nous en accusez sous le coup d'une poussée de complotisme.

Le complotisme, monsieur le Ministre, propose de «donner une vision de l'histoire et du monde perçue comme le produit de l'action d'un groupe occulte agissant dans l'ombre». Libération n'agit pas dans l'ombre. Nous posons les questions et demandons de simples réponses sur les circonstances de l'attentat de Nice, en toute honnêteté et transparence. Sans injure et sans arrogance, avec humilité et une seule demande : comprendre.

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