Conservapedia, l’Internet parallèle et inquiétant des ultra-conservateurs américains

Réécrire l'histoire selon la vision des conservateurs, voilà l'objectif des créateurs de ce site, qui veulent contrer le Wikipedia “gauchiste”.

Par Gaétan Mathieu

Publié le 27 juillet 2016 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h53

Malgré tous ses défauts, Wikipédia se révèle être une encyclopédie en ligne utile pour peu que l’on veuille savoir où est né Barack Obama, et comprendre de manière sommaire la théorie de la relativité. Sauf que Wikipédia est de gauche. En tout cas selon les utilisateurs de Conservapedia, l’alter-ego xénophobe, complotiste et créationniste du septième site le plus visité du web. 

Récemment, Facebook était accusé de faire le jeu des progressistes dans son algorithme en « censurant » les articles provenant de sites conservateurs dans son filtre d’actualités. Une polémique qui avait fait dire au commentateur politique proche du parti républicain, Steve Malzberg, qu’il serait nécessaire d’avoir un Google conservateur, un Facebook conservateur, et un Twitter conservateur. Pas de mention d’un Wikipédia conservateur... car celui-ci existe déjà. Conservapedia est une copie conforme de Wikipédia, créée en 2006, mais avec une perspective ultra-conservatrice, créationniste et fondamentaliste chrétien. En vrac, Barack Obama s’appelle bien sûr Barack Hussein Obama, est musulman, et n’est pas né aux Etats-Unis mais à Mombasa au Kenya, les homosexuels sont responsables de la propagation de la plupart des maladies, l’athéisme engendre le suicide, E n’est pas égal à mc2 et la théorie de la relativité ne s’appuie sur aucune preuve, tout comme celle du big bang, qui, selon les auteurs de la page, servirait surtout d’argument aux athéistes et autres progressistes pour nier l’existence d’un Dieu créateur. Bienvenue dans le monde inquiétant de Conservapedia.

Une lutte contre le gauchisme d’internet

Derrière ce site qui réécrit l’histoire, un homme Andrew Schlafly, avocat new-yorkais et fils de l’influente activiste conservatrice et antiféministe Phyllis Schlafly. Andrew Schlafly commence à trouver que Wikipédia est « gauchiste » lorsqu’il essaie de corriger un paragraphe de sa propre page sur une polémique autour de l’enseignement de la théorie de l’évolution et du créationnisme dans les écoles du Kansas. Professeur à domicile, il n’apprécie pas non plus que ses élèves, citant Wikipédia, écrivent BCE pour Before Common Era (avant notre ère), plutôt que BC (Before Christ). En novembre 2006, Schlafly décide alors de lancer le site et d’inviter ses étudiants à rédiger des pages pendant leurs cours d’histoire.

Conservapedia devient rapidement une référence dans la sphère ultra-conservatrice aux États-Unis et compte aujourd’hui plus de 100 000 notices et 581 millions de pages vues depuis sa création. Les plus lues étant, outre la page d’accueil, celle sur « l’agenda homosexuel », l’athéisme, Barack Obama, Adolf Hitler, et… Wikipedia. L’ascension de Donald Trump a remis en lumière le site, souvent cité dans l’émission de radio du conservateur Glenn Beck, et que l’on retrouve en référence sur de nombreux sites pro-républicains, convaincus que tous les médias mainstream et Internet en général sont ligués contre les idées conservatrices. Plus inquiétant, Conservapedia sert encore aujourd’hui d’outil de travail à la Eagle Forum University, un programme d’éducation en ligne créé par le lobby conservateur et créationniste de Phyllis Schlafly.

Un FN modéré et un Sarkozy martyrisé

Si le site est très américano-centré, on trouve bien évidemment de nombreuses pages, assez courtes, en rapport avec la France, à commencer par celle sur le pays, pas vraiment mise à jour. On y apprend que beaucoup d’Américains ont encore un avis négatif sur la France depuis le refus français d’aller en Irak et que nombre d’Américains adhèrent encore « au vieux cliché du Français impoli, sale, mangeur de cheval et lâche ». En plus d’être lâches, les Français sont « fiers du don de la Statue de la Liberté mais ils peuvent parfois apparaître peu reconnaissants de l’aide américaine et des alliés lors de la Seconde Guerre Mondiale ».

On notera également une propension étonnante à évoquer sur cette page les musulmans de France et l’Islam, appuyée par la présence – sur les dix-neuf photos qui illustrent l’article – d’un cliché de la mosquée de Paris, en-dessous de celui de Notre-Dame de Paris, et d’une carte de la population musulmane en Europe. Quelques hommes politiques français ont droit à leur page : les auteurs de Conservapedia soulignent les « attaques vicieuses de la gauche » à l'encontre de Nicolas Sarkozy durant son mandat, se référant à un article citant des propos de Jean-Marie Le Pen… Le parti que ce dernier a présidé, le FN, est lui considéré comme « modéré » sur les questions sociétales. Telle est la vision des ultra-conservateurs et fondamentalistes chrétiens américains, où même Donald Trump ne trouve pas complètement grâce à leurs yeux, après que ce dernier a succombé à « l’agenda homosexuel » pour des « raisons pratiques ».

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