TERRORISME - "Tu prends un couteau, tu vas dans une église, tu fais un carnage, bim. Tu tranches deux ou trois têtes et c'est bon c'est fini". Selon L'Express, ces phrases tristement prémonitoires ont été prononcées par Adel Kermiche, l'un des deux tueurs de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, dans un message vocal diffusé sur Telegram.
"Pendant des semaines, Adel Kermiche a tout raconté dans des enregistrements audio aux allures de journal intime de propagande" sur cette messagerie en ligne, selon l'hebdomadaire qui cite une source proche de l'enquête. Le jeune homme aurait communiqué à "un cercle restreint d'environ 200 personnes sur sa chaîne privée", toujours selon L'Express, et leur aurait fait part de ses intentions de passer à l'acte à plusieurs reprises.
"Je vous préviendrai à l'avance"
La Voix du Nord, qui a également pu consulter ces messages, souligne qu'Adel Kermiche a continué à utiliser Telegram jusqu'au dernier moment ou presque, réitérant ses menaces. "Télécharger (sic) ce qui va venir et partager le en masse!!!", a-t-il écrit à ses destinataires mardi 26 juillet à 8h30, une heure avant d'entrer dans l'église en compagnie d'Abdel Malik Nabil Petitjean puis d'assassiner le prêtre Jacques Hamel.
"Je vous préviendrai à l'avance, trois quatre minutes avant et quand le truc arrivera, il faudra le partager direct", prévenait-il ses destinataires la veille, promettant "une image ou une vidéo" de l'attentat. Dans les heures suivant le drame, sœur Danielle, une religieuse parvenue à s'enfuir, a confirmé à RMC que les deux assaillants s'était effectivement "enregistrés". Selon L'Express, ils n'auraient pas réussi à diffuser d'images.
Ces informations posent forcément une question: comment des propos aussi radicaux - et énonçant aussi explicitement une volonté imminente de passage à l'acte - ont-ils pu être diffusés sans attirer l'attention, et ce alors qu'ils émanaient d'un homme déjà bien connu des services de renseignement pour avoir tenté de se rendre par deux fois en Syrie? La réponse tient en partie à la nature de la plateforme utilisée par le jihadiste pour communiquer.
Une messagerie qui se veut indéchiffrable
Parfois qualifiée d'"appli préférée des jihadistes", Telegram est aussi prisée dans des pays comme l'Iran et bien sûr en Russie, dont est originaire celui qui l'a lancée en 2013, Pavel Dourov. Ce dernier n'est pas un inconnu puisque c'est aussi lui qui a créé Vkontakte, le "Facebook russe".
Telegram a dépassé la barre des 100 millions d'utilisateurs en début d'année. Rivale de WhatsApp ou Facebook Messenger, l'appli s'en distingue par le fait qu'elle se veut imperméable à la censure, ultra-sécurisée voire indéchiffrable. Et donc bien difficile à surveiller. "Les messages Telegram sont extrêmement chiffrés et peuvent s’autodétruire", se vante la plateforme, tout en soulignant qu'elle est "sûre" et "gratuite".
Des arguments qui inquiètent les autorités en Iran et en Russie, mais aussi en France, où le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve évoquait en mars dernier des terroristes utilisant "des messages chiffrés pour accéder à des armes qu’ils acquièrent en vue de nous frapper". Même constat aux Etats-Unis où le FBI et la police reconnaissent leur impuissance. "Les forces de l’ordre ne peuvent accéder, même munis de mandats de perquisition" à ces messages, expliquait le chef de la police de New York fin 2015.
De son côté, le fondateur de Telegram a fui son pays en 2014 et n'est pas vraiment en bons termes avec le Kremlin ni les services secrets russes, le FSB. Ce libertaire, qui dit avoir horreur "de la bureaucratie, des polices d’Etat, des gouvernements centralisés, des guerres, du socialisme et de l’excès de régulation", est décrit par Le Monde comme un "ami des hackers" et se veut "toujours du côté des utilisateurs" de sa messagerie.
"On n’aime pas les terroristes!"
Mais c'est surtout parce que les jihadistes utilisent Telegram que l'appli et son fondateur se sont retrouvés malgré eux sous le feu des projecteurs. Cela a notamment été le cas après les attentats du 13 novembre ou le crash de l'avion russe en Egypte, deux attaques revendiquées par le groupe Etat islamique... sur Telegram.
En février dernier, Rue89 a rencontré Pavel Dourov qui expliquait: "Ce qui rend Telegram unique est que nous n’avons jamais livré le moindre octet de données personnelles à quelque organisation que ce soit. Y compris à un gouvernement". Il assurait aussi: "On n'aime pas les terroristes!" et ajoutait: "On pourrait tout aussi bien dire que c’est l’appli préférée de Davos", en référence au fait que Telegram est aussi utilisée par de grands patrons.
Sous pression après le 13 novembre, Telegram a tout de même été contrainte de fermer près de 80 chaînes utilisées par des jihadistes pour relayer la propagande de Daech. En se basant sur les révélations de L'Express et de La Voix du Nord, on peut imaginer que de nouvelles critiques risquent de poindre, avec peut-être la fermeture d'autres chaînes pro-Etat islamique à la clé.