Par Riad Sattouf
« Jimmy Corrigan », de Chris Ware, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Capuron, Delcourt, 2002.
L’une de mes bandes dessinées préférées disponible sur Terre est Jimmy Corrigan, de l’Américain Chris Ware (qui est aussi mon auteur vivant préféré sur Terre). Je relis ce livre au moins une fois par an, et j’en ressors à chaque fois ébloui.
Il est très difficile de décrire Jimmy Corrigan ! C’est une longue bande dessinée de 380 pages, très dense et colorée. Avant Thanksgiving, à Chicago, Jimmy, une sorte de grand dadais introverti, célibataire, mal dans sa peau et puceau, reçoit une lettre de son père qu’il n’a jamais connu et qui l’a abandonné avant sa naissance. Il lui propose de se rencontrer enfin.
Jimmy dissimule cette information à sa mère, une femme possessive et étouffante, et part à la rencontre de ce père plein de culpabilité et d’amour refoulé, en même temps que de l’histoire de sa famille. Chris Ware retrace en parallèle l’histoire du grand-père de Jimmy et de l’enfance de celui-ci au début du XXe siècle à Chicago, et met en perspective les destins des différents membres de la famille, raconte la souffrance qui se transmet de parents à enfants, malgré eux, et la culpabilité qui poursuit les individus de génération en génération…
Plein d’éblouissement pour la vie
Il y a aussi l’histoire des lieux, très importante, avec les maisons, qui vivent et meurent, les immeubles, les rues de Chicago, le développement du pays, des infrastructures… C’est un livre vertigineux, total, plein d’humour, de peine, de sensations, et d’éblouissement pour la vie, la nature, le travail des hommes. Chris Ware est sans conteste l’auteur qui a poussé le plus loin le médium de la bande dessinée, en exploitant toutes ses possibilités. Il est unique, incroyablement hors concours, incroyablement supérieur à tout ce qui se fait ou a pu se faire (j’ose presque dire et qui « se fera »…). Ses livres sont des expériences de lecture dont on sort transformé.
J’aime aussi Chris Ware car c’est un perfectionniste obsédé : il réalise ses propres maquettes, écrit ses histoires, les dessine, les met en couleur, va jusqu’en Chine pour faire refaire ses tirages aux imprimeurs dont il n’est pas satisfait… Ses livres sont des objets complets qu’il a chéris et fabriqués comme si c’étaient des pièces uniques, des œuvres d’art destinées à être lues et relues encore et encore. Tiens, je vais me le relire.
Riad Sattouf est auteur de bande dessinée et réalisateur. Il a signé, dernièrement, L’Arabe du futur (Allary, depuis 2014, Fauve d’or 2015). Au cinéma, on lui doit notamment Jacky au royaume des filles (2014).
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