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Billet de blog 1 août 2016

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Chair France: lettre à ma plus vieille copine

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© AuPTitBonheurVEVO

      Pas mal de temps que tu trinques. Vraiment très mal en point. Rien de plus normal avec tout ce que tu as pris dans la gueule ces dernières années. Jamais je ne t’ai vue dans un tel état. Un genou à terre, le regard triste et anxieux. Toi, si joviale, tu as du mal à rire de tout. Comme perdu ton sens de l’autodérision. L'espoir et le vivre ensemble effacés de ta liste de courses. Je ne suis pas le seul à te sentir aussi vulnérable. Prête par désespoir, usure, à basculer dans le pire. Baisser les bras et finir par céder ta beauté et ton ouverture d’esprit aux plus persuasifs. Nombre de charognards, te sentant particulièrement faible et manipulable, te font les yeux doux. De brillants dealers de faux lendemains meilleurs. Obscurantistes en tailleurs ou cravates. Pourquoi tu mérites mieux que ces impasses ? Parce que, tout au long de ton histoire, tu as prouvé ta valeur. Toujours remonté la pente. Et banni l’obscurité pour retrouver tes lumières.

Indéniable que depuis plusieurs années, tu subis les attaques répétées de décérébrés sanguinaires. Mohamed Mehra, Charlie, l’Hyper Casher, le Bataclan, le grand Stade de France, le 14 juillet à Nice, l’église de St-Etienne-du-Rouvray… La liste est longue de l’atrocité de ces barbares se réclamant de l’Islam. Chaque matin, tu te réveilles en te demandant s’il n’y a pas une nouvelle atrocité. Un œil sur tweeter, l’autre sur les dépêches AFP et toute la presse. Certains des commanditaires -plus ou moins directement -de ces assassins sont reçus en grande pompes à l’Elysée.  L’un d’entre eux planta sa tente au cœur de Paris. Aujourd’hui, un autre peut même arborer sa légion d’honneur entre deux lapidations. Honorés par nos gouvernants d’aujourd’hui et d’hier (élus avec nos voix) et ceux d’autres démocraties, politiques renifleurs de pétrole et de contrats d’armement. Des cyniques venant pleurnicher après sur les morts du terrorisme ; meurtres dont ils portent une part de responsabilité. Compréhensible que ce soit très dur pour toi, chair France. Coincée entre les apprentis sorciers à cocarde et les bourreaux venus te massacrer. Comme leurs clones sanguinaires le font partout sur le globe. Tout a déjà été dit sur les assassins d’en haut et d’en bas. Les mots ne ressuscitent pas les morts. Mais ils peuvent en empêcher d’autres.

Voila pourquoi je me permets de t’écrire ce courrier. Après tout, tu es un peu comme ma plus ancienne copine. Je te connais depuis ma naissance. Nous avons été ensemble à la maternité, au square, à la maternelle, à l’école primaire, au collège, au lycée, dans les bars, les librairies, les squares, les médiathèques, sur les plages, en boîte… Tous les deux comme cul et chemise. Parfois, tu m’agaces. Comme moi je dois aussi te gonfler. Normal pour deux vieux amis de 54 ans. Mais tu ne m’as jamais contraint à croire en un quelconque Dieu ou à  honorer ton drapeau. Une belle amitié, pas du tout exclusive. D’ailleurs, tu es aussi la vieille copine de millions de gens dans ce pays. Tous ceux nés en France ou venus d’ailleurs. Sans oublier les autres, passagers de l'hexagone, qui aiment venir te rendre visite. Faut dire que tu es plutôt agréable. Très accueillante. Ton nom est synonyme de lumière. Et des droits de l’homme. L’un des plus beaux visages de la planète.

Même si tu es critiquable sur de nombreux points. Toujours trop du côté de la finance et de ceux qui ont toujours plus. Sans oublier les promesses que tu ne tiens jamais depuis des décennies. Une tendance récurrente à ne t'intéresser à ceux qui souffrent - le plus- que lors des élections. Ton attention trop centrée sur quelques quartiers où il fait bon vivre, s'instruire et se cultiver, que tu en oublies les périphéries et campagnes loin des centres-villes. Faut que tu sortes plus des cantines comme le dîner du Siècle. Pour te frotter à la réalité du terrain, à des années lumière des cocktails parisiens. Paris est une très belle ville, pas pour autant plus importante que tout le reste du pays. Bref, je ne vais pas baratiner en affirmant que  tu es parfaite. Qui aime bien châtie bien. A ce propos; penses-tu que si Adama Traoré s'était prénommé  François ou Nicolas, vivant dans un quartier huppé de France, aurait été traité de la même manière ? Je te laisse le soin de me répondre.Ne t’inquiète pas, on va continuer de se prendre la tête sur pas mal de sujets. Je n'ai pas fini de te critiquer, ma très chair France. Et pareil pour toi quand tu vois que je déconne. Un échange de bons procédés. Et la franchise stimule l'amitié.

Aujourd’hui, tu as besoin d'aide pour te relever. Pas besoin de sortir de la cuisse de Sciences Po pour constater que tu es meurtrie au plus profond de ta chair, attaquée par plusieurs ennemis. Les plus visibles, comme les islamistes (fake meurtrier de l’islam) voulant imposer leur folie religieuse. Obliger notamment les femmes à se couvrir des pieds à la tête. Alors que c’est leur regard, puant de haine et libido mal maîtrisée, qu’il faudrait verrouiller. Pas à eux de décider si une femme doit porter une minijupe ou un décolleté. Personne ne les oblige à mater. De l’autre côté, il y a ceux qui, pour parfois des raisons que l’athée que je suis partage, veulent contraindre les femmes à ne pas se voiler. Ils ont raison de se battre pour celles voilées de force. Mais pourquoi refuser d’admettre que certaines, adultes consentantes, propriétaires d’un cerveau, le font librement, en toute conscience. Qui suis-je pour vouloir imposer ma vision athée ? Les femmes sont assez grandes pour choisir de montrer ou cacher leur corps. Qu’on les laisse s’occuper de leurs corps et âmes. Tant qu'elles respectent la laïcité. En tout cas, ces bornés de Dieu, haineux et sans foi ni loi, te font beaucoup de mal. Ils te forcent à devenir suspiscieuse. Parfois jusqu' à mettre tous les musulmans dans le même panier. Les obliger à montrer patte laïque ou décliner des gages de non radicalisation. Donner finalement raison à tes autres ennemis de l’intérieur.

Visibles eux aussi, mais des barbares cathodiques. Notamment un grand-père, sa fille, et sa petite-fille, qui dénoncent les tous pourris mafieux qui gangrènent nos institutions. Prêts à combattre ces familles qui se partagent le gâteau. Avec eux, finie la reproduction endogamique des élites, la magouille des ors de la République. Quand ils  seront au pouvoir, nous ne verrons plus les mêmes noms de père, en fils, en fille, en petite-fille, sur les bancs de l’Assemblée nationale et dans les autres sphères dirigeantes. Pathétique cette famille de milliardaires, jouant à cache-cache avec des lingots d’or, se permettant de donner des leçons de démocratie et de morale à tout va. Désolant que nombre de nos concitoyens tombent dans le miroir aux alouettes identitaire. Leurs manipulateurs jouent sur du velours électoral,  se nourrissant du sang versé par les barbares sur le territoire français.  Après chaque attentat, c’est le jackpot pour eux trois et les autres diviseurs pour mieux régner. Notamment un cheval de retour qui veut remettre sa Rolex à l’heure élyséenne. Pour prouver qu’il s’est amélioré et peut faire pire ?

Depuis quelque temps, de nombreux intellectuels, des politiques, des quidams, ne cessent de proclamer que seule la culture française, pure et dure, a le droit de cité dans ce pays. Que de la gauloiserie tradition en rayon. Donc la fin de tweeter, de facebook, de windows, de 0,1,2,3,4, etc. Parfois même, oubliant la séparation de l’église et l’Etat, leur  religion chrétienne  prend le pas sur l’esprit républicain et laïc. La mort horrible de Jacques Hamel, le curé, leur profitant peut-être plus que d’autres attentats. Alors, qu’au vu de ses prises de positions, cet homme ne leur aurait pas apporté le moindre soutien dans leur entreprise de division entre bons et mauvais français. Ils prônent tout le contraire de ce que ce curé professait dans son église. Un chrétien sûrement plus proche du maire communiste (qui lui a rendu un vibrant hommage) que des opportunistes prêchant pour leurs urnes. Pas mal aussi de faux chrétiens ?

Chair France, tu vis une période très confuse. Pour ne pas dire extrêmement dangereuse. Tes ennemis sont partout. La plupart parlant en ton nom, que pour leurs intérêts partisans. Oubliant que tu es la chair de millions d’êtres, de toutes confessions. Sans oublier les plus nombreux athées et agnostiques. Tu n’appartiens à personne. Encore moins aux fous de Dieu ou de l’identité. Droite dans tes bottes républicaines, ouverte à toutes les cultures du monde que tu alimentes et dont tu te nourris. Capable de faire cohabiter 65 millions d’individus différents. Avec leurs défauts et qualités. Intransigeante sur la laïcité et quelques autres principes pour vivre ensemble. Sans nécessairement s’embrasser sur la bouche et s’apprécier. On peut se détester sans haine. Cohabiter sous le même ciel républicain. Le bon voisinage d’individus équipés d’un cerveau en état de marche. L’intelligence permet beaucoup de choses. Mais elle s'use plus vite si on ne s'en sert pas. Se méfier aussi de l'obsolescence sous le crâne?

Comment achever cette lettre à  ma plus vieille copine ? Une nouvelle fois l’impression de radoter,  enfoncer les mêmes portes ouvertes qui nous re-claqueront dans la gueule. Une spirale de boue et de sang. La connerie humaine a tous les étages. De plus en plus, je lis des témoignages de gens, heureux de t’avoir quittée. D’autres, très inquiets, s’exilent ou pensent à te fuir. Fuite que je ne juge pas ; chacun fait comme il peut avec ses trouilles. Pour ma part, même si ça commence à beaucoup puer entre les bas de plafond islamistes et les bas du front de souche, je ne vais pas plaquer ma plus vieille copine. Nous avons encore des éclats de rire et des engueulades à partager. Et comme dirait l’autre, j’ai la reconnaissance du ventre républicain. La mémoire de ce que tu as donné et continue d’offrir à tes habitants. Grâce à toi que chacune et chacun peut boire un demi à une terrasse de café, manger ce qui bon lui semble, regarder de belles jambes d’homme ou de femme sur un trottoir, mettre un foulard ou pas, lire le dernier Goncourt ou une plaquette de poésie tirée à 12 exemplaires, prier, penser que le ciel n’est habité que par les regards humains, baiser sans flics sous sa couette, rêver, se tromper, chialer, mentir, changer de sexe, critiquer, avorter, blasphémer, draguer, se contredire… Pour toutes ces possibilités, et tout le reste, je tiens à remercier  ma plus vieille copine. Celle qui me supporte depuis plus d'un demi-siècle. Un immense merci pour tes cadeaux au quotidien !

Aucune fierté d’être né sur ce territoire. Ce genre de propos ne sont plus très appréciés en ce moment. De quoi pourrais-je être fier ? Je n'y suis pour rien. Qui décide réellement de son lieu de naissance ? De plus, ce n’est pas moi qui ai fait le gros du boulot en salle de travail. Mais chacun niche la fierté où il le désire. Pour ma part, ce pays n’est pas un drapeau ou une religion. C’est juste un territoire sous ma peau. Une multitude de bons et de mauvais moments ; certains ayant laissé des traces, d’autres éphémères. Parfois un type intéressant, d’autres fois très con et buté. Un individu, né ici sans en avoir décidé, se dépatouillant avec son présent. Et depuis quelques années subissant ce putain de début de siècle prometteur - pour l’instant - que d’impasses. D’autres  femmes et hommes, partout sur la planète, sont dans le même cas. A essayer de vivre pleinement l’instant. Profiter du soleil et de toutes les autres beautés du monde. Jouir de l'instant.

Ce présent qu’il faut défendre bec et ongles contre les tueurs en turban ou costard. Ils cherchent à nous empêcher de profiter de notre bref passage planétaire. Les uns au nom de Dieu et les autres pour les intérêts de la finance. La seule valeur essentielle  ici-bas c’est le présent, individuel et commun. Le reste c’est uniquement de l’au-delà, pour celles et ceux  qu’y croient à une vie après le trépas. Chacun libre évidemment de croire aux fictions de son choix.  Mais à part les romans, les films, le royaume de l’imaginaire ne peut se partager réellement sur la planète. Cela dit, le paradis et l’enfer sur terre se conjuguent au présent. A nous de choisir. En sachant que le temps perdu ne se rattrape pas. L'horloge sous la poitrine a toujours le dernier mot.

Chair France, au retour de ta joie de vivre !

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