Jeux olympiques, Coupe du monde de foot, Route du Rhum… ces événements sportifs qui vont occuper l’actualité 2018 voient, avec la médiatisation des différents sports et l’augmentation des revenus, l’apparition d’une véritable logique financière. Les conséquences de cette mutation économique vont au-delà de la mêlée des logos et des acronymes : c’est le sport lui-même, sa pratique, ses règles, ses compétitions et sa santé économique qui sont en jeu.
Associations sises en Suisse, entreprises florissantes, découvrez qui se cache dans les coulisses de ces grands-messes du sport : organisateurs, pays d’établissement, structures tierces… Retour sur l’organisation des grandes rencontres sportives et la naissance des mastodontes de l’événementiel qui se partagent ce marché.
Comment nous avons travaillé : nous avons recensé cent événements sportifs à dimension internationale et recherché qui en était l’organisateur. Il est extrêmement difficile d’obtenir des chiffres des revenus générés ou des sommes engagées pour chaque événement, et même pour chaque organisateur. Ceux-ci ont bien souvent un statut d’association, et permettent très rarement de consulter leurs états budgétaires en ligne. Les entreprises organisatrices d’événements sportifs ne sont pas cotées et n’ont donc aucune obligation de transparence vis-à-vis du grand public. Vous pouvez retrouver l’intégralité de nos données ici.
L’avantageux statut d’association suisse
Si l’organisation d’événements sportifs professionnels existe depuis le XIXe siècle, elle est devenue depuis une trentaine d’années un secteur économique lucratif notamment grâce à l’apparition des droits télévisés.
En termes de statut, dans la grande majorité des cas (64 sur 100 organisateurs étudiés), les organisateurs d’événements sont structurés en associations. Près de la moitié d’entre elles (25) sont installées en Suisse, comme la Fédération internationale de football (FIFA), l’Union européenne des associations de football (UEFA), le Comité international olympique (CIO)… Au total, Transparency International en recense environ soixante.
La raison : une particularité du droit helvétique qui, dans le cas d’une association, poursuivait la corruption publique mais pas la corruption privée. Celle-ci n’était un délit poursuivi d’office que dans des circonstances très précises (cela nécessitait notamment le dépôt d’une plainte par une des parties concernées par les faits de corruption). Cette particularité, qui n’est plus d’actualité désormais, a tout de même prévalu jusqu’en 2006.
En 2015, le scandale de la FIFA n’a ainsi vraiment éclaté qu’à la suite de l’arrestation de sept dirigeants de la fédération… à la demande de la justice américaine. Et les deux dirigeants Michel Platini et Sepp Blatter n’ont, pour l’heure, été « condamnés » qu’en interne.
Le financement de ces associations repose sur trois piliers : les cotisations des membres, les ventes de billetterie et les droits de diffusion. Dans le cas de géants comme le Comité international olympique ou la FIFA, ces droits représentent près de la moitié des revenus.
Les montants en jeu s’évaluent désormais à l’aune de la mondialisation des sports. Quand, en 1974, le chiffre d’affaires de la FIFA approchait l’équivalent de 5 millions d’euros, on parle désormais de 4 milliards d’euros, engrangés avec la Coupe du monde 2014, qui sont venus s’ajouter aux confortables réserves de plus d’un milliard d’euros sur lesquelles peut s’appuyer l’association à but non lucratif… Des chiffres dans la fourchette de ceux d’une « petite » entreprise du CAC 40.
35 milliards d’euros
C’est le montant total des recettes générées chaque année par les neuf plus grandes ligues professionnelles au monde (football, baseball, basket, hockey américains, ainsi que les ligues anglaise, espagnole, allemande, italienne et française de football). Soit la richesse créée dans le même laps de temps en Tunisie.
Le cas particulier américain
L’univers des événements sportifs américains est l’un des plus nébuleux ; difficile de s’y retrouver quand la communication des organisateurs est presque exclusivement focalisée sur les stars et leurs performances, et très peu diserte sur la gouvernance de la structure faîtière. En outre, certaines structures ne reprennent pas le terme d’« association » dans leur titre, comme les New York Road Runners (organisateurs du marathon du même nom), tandis que des entreprises privées ont gardé l’appellation d’associations alors qu’elles ne le sont pas – comme la NBA (« National Basketball Association », la principale ligue de basket nord-américaine) ou la Nascar (Association nationale des courses de voitures de série).
Cette dernière correspond d’ailleurs assez peu à l’image traditionnelle du monde associatif : elle appartient encore à une dynastie, les France. Le fils a succédé au père à la tête de l’association, créée dans les années 1940, quand les meilleurs coureurs étaient d’anciens contrebandiers d’alcool, habitués à semer les voitures de police qui leur faisaient la course pendant la Prohibition, dans les années 1930.
Impossible pour ces entreprises de prétendre au principal avantage du statut associatif : être une association de type 501 (c), en référence au paragraphe c de l’article 501 du code fédéral des impôts américain, qui confère le droit d’être exemptés d’impôts fédéraux sur le revenu.
Un statut qui a fait débat dans le cas des très lucratives NFL (football), NHL (hockey) et PGA Tour (golf). A la suite d’un tollé réunissant démocrates et républicains contre l’absence d’imposition de ces empires financiers, la NFL a abandonné le statut associatif en 2015. Ce qui lui permet de ne plus dévoiler le salaire pharaonique de ses cadres (il apparaissait dans la déclaration, obligatoire, de la NFL que son dirigeant était rémunéré 44 millions de dollars, six autres responsables avaient des salaires à sept chiffres et près de 300 employés dépassaient les 100 000 dollars annuels).
Prospérer loin de la transparence imposée aux associations semble être le choix effectué par de plus en plus d’organisations sportives : la « reine » de ce modèle de gestion privée est le très « select » Augusta National Golf Club, qui chapeaute les Masters de golf à Augusta, dans l’Etat de Géorgie. Malgré un sponsoring minimaliste, des billets peu dispendieux, et un accès au système d’adhésion réservé aux hommes jusqu’en 2012, c’est une entreprise lucrative : ses bénéfices sont estimés à plusieurs dizaines de millions de dollars par an.
Des mastodontes de l’événementiel
L’évolution de la planète sport du côté des organisateurs prend des allures de marché mondialisé et concurrentiel, répondant à la même logique économique que d’autres industries lourdement financiarisées. Premier ressort de cette logique : la concentration du secteur.
Certains de ces organismes sont déjà à la tête de plusieurs événements : l’UEFA organise à la fois le championnat d’Europe de football et la Ligue des champions, l’IAAF les championnats du monde d’athlétisme et la Ligue de diamant (à laquelle appartient le Meeting Areva en France)…
Mais, avec le temps, les associations se font tailler des croupières par les entreprises privées et ces dernières sont elles-mêmes vulnérables à des rachats, le tout donnant lieu à l’apparition de véritables mastodontes de l’événementiel.
Prenons l’exemple d’Amaury Sport Organisation (ASO, filiale du groupe de presse éditant le quotidien L’Equipe) : son chiffre d’affaires est inconnu, mais son emprise incontestablement grandissante. ASO est à la tête du Tour de France, du Paris-Roubaix, du Tour d’Espagne et, dans une autre discipline, du Tour de France à la voile. Le géant de l’événementiel sportif est aussi associé à la course automobile Paris-Dakar et au marathon de Paris.
Conséquences de la privatisation du sport
L’évolution vers une privatisation de l’organisation des événements sportifs n’est pas sans conséquences : fiscales, éthiques… Par exemple, la lutte contre le dopage n’est pas un combat facilement endossable pour un groupe privé qui cherche à promouvoir spectacles, stars et performances. Dans le cas des courses cyclistes, la rivalité entre l’association faîtière, l’Union cycliste internationale (UCI), et le français ASO, ne s’est pas traduite par une politique de contrôles accrue, mais par son abandon. Lors du Tour de France 2008, le groupe Amaury a pris un « virage industriel », explique Patrice Clerc, ancien président d’ASO :
« L’entreprise a choisi de changer de posture par rapport au dopage, en décidant de ne plus intervenir dans la politique de ce sport, pour endosser uniquement le rôle, plus confortable, de l’organisateur. »
De son côté, l’UCI, l’association historique du cyclisme, perd de plus en plus de terrain face au groupe français : ce dernier a réussi à faire retoquer la réforme du calendrier cycliste ProTour (de la responsabilité de l’UCI), en menaçant simplement d’en sortir.
Autre conséquence de la montée en puissance des intérêts financiers du sport : l’irrésistible attraction que semblent exercer sur les organisateurs les juridictions offrant une fiscalité « amicale ». Ainsi, un tiers des cent plus grands évènements sportifs sont basés dans un paradis fiscal : Suisse, Monaco, Bermudes...
Certains recourent même à des structures tierces : la Fédération internationale de cricket, d’abord installée à Londres, avait choisi pour éviter la double imposition (tous les pays membres n’ont pas forcément signé des accords avec le Royaume-Uni) de localiser la société recueillant ses gains, ICC Development Pty Ltd, à Monaco. Les autorités britanniques n’ayant pas accédé à la demande de la fédération d’exonérer les salaires de ses employés, cette dernière a définitivement déménagé aux Emirats arabes unis, tout en créant au passage une nouvelle société hébergeant ses actifs aux îles Vierges britanniques.
Même pour les événements organisés dans des pays à la fiscalité « normale », il est toujours possible d’échapper à l’impôt. L’UEFA a ainsi réussi à obtenir une exonération d’impôts pour l’organisation de l’Euro 2016 en France (six autres compétitions sont concernées par un tel régime de faveur dans l’Hexagone). Le manque à gagner pour l’Etat français pourrait s’élever jusqu’à 200 millions d’euros pour la dernière compétition en date.
Mise à jour du 9 février 2018 à 11 h : réactualisation de l’article à l’occasion de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de PyeongChang, en Corée du sud.
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