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Bahreïn

Au Bahreïn, la révolution assassinée

Capture d'écran d'une vidéo relayée la semaine dernière par des militants bahreïnis montrant les forces de l’ordre en train d’asséner des coups de pied à un militant à terre
Capture d'écran d'une vidéo relayée la semaine dernière par des militants bahreïnis montrant les forces de l’ordre en train d’asséner des coups de pied à un militant à terre
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Au Bahreïn, les jours se suivent et se ressemblent. Depuis plus de cinq ans, des Bahreïnis continuent de descendre régulièrement dans les rues pour réclamer des réformes politiques et une amélioration de leurs conditions sociales. Pourtant, depuis le début de ces manifestations déclenchées dans la foulée des révoltes arabes en février 2011, les manifestants n’ont pas obtenu la moindre avancée. Pire, en menant une politique répressive implacable, la monarchie est parvenue à réduire l’opposition à néant.

Les chiites composent près de 70 % de la population - alors que le pays est gouverné par une monarchie sunnite, la dynastie Al-Khalifa. La population chiite s’estime discriminée, notamment en matière d’accès à l’emploi, au logement et aux services sociaux, des revendications qui constituent la base de la révolte.

Depuis cinq ans et demi, des vidéos montrant des manifestants chiites réprimés dans le sang sont régulièrement relayées sur les réseaux sociaux. Des opposants sont parfois torturés ou même tués à bout portant par les forces de l’ordre.

La dernière en date, comme tant d’autres, montre un homme frappé et arrêté, et une femme qui tente de s’opposer à son arrestation être gazée en plein visage.

Vidéo relayée la semaine dernière par des militants bahreïnis montrant les forces de l’ordre en train d’asséner des coups de pied à un militant à terre. Vidéo : Freedom for Bahrein.

Lire sur les Observateurs nos articles sur le Bahreïn

 

Le mythe du complot iranien

Au début de la révolte, les manifestations regroupaient des citoyens de tous bords. Chiites, sunnites, hommes et femmes, réclamant des changements politiques et de meilleures conditions de vie. Mais au fil des mois, le régime a réussi à diviser la population, explique Marc Valeri, maître de conférences en science politique à l’université d’Exeter et spécialiste du Moyen-

Orient.

La propagande de la monarchie a martelé l'idée que ce mouvement était un complot de l’Iran, visant à faire tomber le régime et de nombreux sunnites s’en sont progressivement éloignés. Or, en réalité, l’Iran n’a aucune prise sur la situation au royaume. Techniquement, il est impossible pour l’Iran de faire entrer des armes ou d’envoyer des experts militaires au Bahreïn, comme l’ont prétendu les autorités de ce pays. Le Bahreïn est une véritable forteresse et les forces communes du Conseil de coopération du Golfe menées par l’armée saoudienne y sont déployées depuis le début des manifestations en mars 2011. La capitale Manama est aussi le port d'attache de la cinquième flotte américaine [1 500 soldats américains sont déployés en permanence dans le pays]."

"J’ai été emprisonné deux fois et ma femme a reçu des menaces"

Au cours des cinq dernières années, de nombreux opposants politiques et militants des droits de l’Homme ont été jetés en prison. Parmi eux, Nabil Rajab, le président du Centre bahreïni des droits de l’Homme, dont l’état de santé s’est sensiblement dégradé au cours des dernières semaines, selon des organisations de droits de l’Homme. Environ 1 000 autres activistes ont été contraints à l’exil.

Yousif Almuhafdah, membre du Centre bahreïni des droits de l’Homme, aujourd’hui installé en Allemagne, témoigne :

La première fois que j’ai été en prison, c’était début 2012. J’ai été arrêté alors que j’étais en train de filmer un blessé au cours d’une manifestation. J’ai été accusé de participation à un rassemblement non autorisé et emprisonné pendant trois semaines. J’en avais profité pour recueillir des témoignages de prisonniers victimes de tortures, puis j’ai dénoncé ces pratiques dès ma sortie au cours d’une conférence de presse.

J’ai été arrêté une deuxième fois en 2013 et j’ai été détenu en isolement pendant 40 jours.

En 2014, j’ai été renvoyé de la banque où je travaillais à cause de mon militantisme. Mon épouse, qui travaillait comme enseignante, a elle reçu des menaces. Ça a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. J’ai décidé de quitter le pays avec ma famille.

Aujourd’hui, en 2016, la situation s’est encore dégradée. Les activistes des droits de l’Homme restés au pays n’osent plus parler aux médias, même sous couvert de l’anonymat. Ils transfèrent toutes les sollicitations des journalistes vers les activistes installés à l’étranger.

La plus grande proportion de détenus politiques au monde

Au fil des mois, le régime bahreïni s’est méthodiquement attelé à étouffer toutes les voix discordantes, à tel point qu’il ne reste pratiquement aucun opposant en liberté aujourd’hui. Dans ce processus de décapitation de l’opposition, il y a un avant et un après les élections législatives de 2014, analyse Marc Valeri.

Jusqu’à 2012, les grandes puissances dont les États-Unis et la Grande-Bretagne exerçaient des pressions sur les autorités de Bahreïn afin qu’elles engagent des réformes. Mais à partir de 2012, ces pays ont considéré que le printemps bahreïni était terminé [notamment parce que les "printemps" tunisiens, égyptiens, libyens, avaient réussi à déloger les dictatures de ces pays, NDLR] et qu’il ne restait que des petites escarmouches dans certains villages. Le discours des diplomates a changé et les chancelleries ont commencé à dire que le pays allait connaître des réformes mais que le processus allait être lent.

Puis en 2014, les États-Unis et la Grande-Bretagne notamment ont exercé des pressions sur l’opposition bahreïnie menée par le parti al-Wefaq, le principal groupe chiite, afin qu’elle participe aux élections législatives. Al-Wefaq s'est retrouvé piégé : s’il participait au scrutin, il se couperait de sa base électorale qui réclamait des réformes plus radicales ; s’il refusait, il se verrait accuser de ne pas vouloir jouer la réconciliation.

L'opposition a finalement décidé de boycotter les élections, tandis que l'attitude des Occidentaux a été interprétée comme un feu vert donné au régime bahreïni afin qu’il pratique une répression plus large. Jusqu'en 2014, le régime considérait par exemple le fait de s’en prendre aux leaders religieux chiites comme une ligne rouge à ne pas franchir. Mais en juin dernier, les autorités n’ont pas hésité à déchoir de sa nationalité cheikh Issa Ahmed Qassim, le plus haut dignitaire chiite du Bahreïn et chef spirituel d’al-Wefaq. Le parti a été dissous dans la foulée. Quant à son président Ali Salmane, il croupit en prison depuis décembre 2015. Aujourd’hui, selon Freedom House [un organisme américain qui étudie la démocratie dans le monde], le pays compte 4 000 personnes en prison pour des raisons politiques, probablement la plus grosse proportion de détenus politiques au monde par rapport au nombre de nationaux [700 000].

Tutelle saoudienne

Cette impunité dont jouit le Bahreïn est aussi due au soutien indéfectible de l’Arabie saoudite qui exerce une quasi-tutelle sur l’archipel.

Riyad ne veut surtout pas qu’une monarchie constitutionnelle s’installe à sa frontière. Car ce serait une menace pour sa propre survie. En déployant ses troupes au Bahreïn dès mars 2011, l’Arabie saoudite voulait tuer cette idée dans l’œuf afin qu’elle ne se propage parmi sa population et dans d’autres pays du Golfe.

Le Bahreïn se trouve également en situation de forte dépendance économique vis-à-vis de l’Arabie saoudite, le seul champ pétrolier encore en activité de Bahreïn étant exploité par la compagnie saoudienne Aramco.

En cinq ans, la monarchie de Bahreïn a donc réussi à écraser le soulèvement de 2011 par petites touches et à réduire l’opposition à néant. Tout espoir de changement est-il pour autant mort dans le royaume ? Pour Marc Valeri :

Le seul point d’optimisme dans les événement de 2011 est que pour la première fois de leur vie, des milliers de jeunes ont pu respirer l’air de la liberté pendant quelques mois. Tout une génération est désormais éduquée à l’activisme politique et aspire à la démocratie.

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