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Santé

Nos médicaments polluent les rivières

Si les risques pour l’homme sont considérés comme négligeables, les atteintes à l’environnement pourraient être très importantes, expliquent plus de 250 chercheurs réunis à Paris pour discuter de la pollution des eaux par les médicaments.
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Les médicaments que nous ingérons finissent par polluer l'environnement.
© ISOPIX/SIPA

NANOGRAMMES. « Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, nous avons développé de nombreuses molécules merveilleuses qui soignent et nous permettent de vivre plus vieux. Mais le revers de la médaille, c’est que ces produits constituent désormais un risque grave pour l’environnement », prévient Yves Lévi, professeur agrégé de pharmacie et organisateur de cette première conférence internationale sur l’évaluation du risque des produits pharmaceutiques dans l’environnement qui vient de se tenir à Paris. C’est dans le courant des années 1970 que l’on a constaté pour la première fois aux Etats-Unis la présence de médicaments dans l’eau. La découverte est principalement due à la précision accrue des instruments de mesure. Les concentrations sont en effet à l’époque de l’ordre du microgramme par litre (µg/l). « Depuis, des progrès incroyables ont été accomplis et aujourd’hui on retrouve des molécules à des teneurs aussi basses que le nanogramme par litre dans tous les compartiments de l’environnement y compris dans les eaux usées les plus chargées en polluants », poursuit Yves Lévi.

Les chemins de la contamination sont désormais connus. Les médicaments sont renvoyés dans le système de traitement des eaux via la voie pulmonaire dans le cas des traitements par sprays. Par la voie digestive la molécule ou ses métabolites transitent par la matière fécale. Et enfin l’urine est le cas le plus fréquent, la plupart des médicaments faisant l’objet d’une métabolisation qui rend les molécules hydrophiles. En l’état actuel des connaissances, il est très difficile de déterminer la faculté que peut avoir un produit actif à se lier au milieu liquide.

Antibiotiques et anti-inflammatoires en tête

DOMICILE. L’état actuel des connaissances ne permet pas non plus de savoir lesquels des 4000 principes actifs administrés actuellement sont les plus fréquents dans le milieu naturel. «Ce que l’on voit, c’est que les antibiotiques et les anti-inflammatoires sont les produits les plus souvent retrouvés, note le professeur Damia Barcelo, directeur de l’Institut de Catalogne pour la recherche sur l’eau. On retrouve en revanche peu d’anti-cancéreux ». Les mesures effectuées montrent que les flux proviennent à moins de 20% des centres de soins, les 80% restant provenant des particuliers et des traitements vétérinaires. Doter les hôpitaux de stations d’épuration efficaces ne résoudra donc pas le problème. Les médicaments des patients à domicile constituent une source importante, mais les entreprises de production de principes actifs sont aussi pointées du doigt car souvent leurs stations d’épuration de leurs eaux sont défaillantes. Autres sources, les élevages industriels animaux et piscicoles rejettent antibiotiques, antiparasitaires et hormones. Enfin, les stations d’épuration laissent passer ces substances pour lesquelles elles ne sont pas équipées. «Les eaux usées sont traitées par des moyens biologiques, expose Klaus Kümmerer, directeur de l’institut de chimie environnementale à l’Université de Leuphana (Allemagne). Or, les bactéries ne sont souvent pas capables de dégrader ces éléments chimiques de synthèse qui passent ainsi à travers tous les bassins de traitement sans pouvoir être éliminés ».

Des effets mal connus sur l'environnement

DÉGRADATION. Les effets sur le milieu naturel sont également très mal connus. Quelles conséquences pour les poissons, les mollusques, les végétaux ? Des recherches actives se poursuivent. Une chose est sûre : les changements de sexe constatés chez des poissons notamment sont attribués aux perturbateurs endocriniens. «  Or, à part les résidus de pilules contraceptives, peu de médicaments sont des perturbateurs endocriniens, et cette pollution est plutôt à chercher du côté des déchets de plastiques, des résidus de cosmétiques, etc. », assure Yves Lévi. Cette dégradation de l’eau restituée en milieu naturel pose la question de sa réutilisation. Dans un contexte de raréfaction de la ressource, les gestionnaires d’eau envisagent de plus en plus sérieusement de réutiliser l’eau dépolluée pour l’irrigation des cultures. Or, une étude menée en Israël vient de déceler des traces d’anti-inflammatoires sur des légumes arrosés par ces eaux prélevées à la sortie d’une station d’épuration ! Les risques sur la santé humaine sont en revanche bien moindres. Les résidus sont à peine mesurables. A cela une explication : l’eau du robinet reçoit des traitements physico-chimiques très efficaces pour éviter tout problème de santé publique.

Comment résoudre le problème ? L’une des solutions serait d’augmenter l’efficacité de traitement des stations d’épuration. Les solutions existent. L’ozone est un oxydant qui casse les molécules indésirables et les charbons actifs fixent celles qui ont une appétence pour ce matériau. Mais il est très difficile de dire si ces techniques sont efficaces pour toutes les molécules. Les agents de contraste iodés qui servent à prendre des radiographies semblent ainsi totalement indifférents à tout traitement. L’autre difficulté, c’est que cela coûte horriblement cher. La Suisse vient ainsi de décider de consacrer près de deux milliards d’euros pour équiper les stations d’épuration du pays. « Par ailleurs, cette solution de pays riche consiste à rejeter une eau quasiment dénuée de matière organique, rappelle Klaus Kümmerer. Or, les poissons ont besoin de cette matière pour se nourrir!».

En dernier recours, la solution qui apparaît aujourd’hui la plus efficace, c’est l’usage raisonné des médicaments. N’utiliser que la juste dose, rapporter chez son pharmacien les pilules non utilisées, lutter contre la surconsommation, telles paraissent être les solutions les plus efficaces pour éviter que nos médicaments soient jetés à la rivière.

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