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« Le Brexit a réveillé les réticences à l’égard des étrangers »

A Harlow, ville nouvelle au nord de Londres, trois agressions en une semaine, dont une mortelle, ont visé des Polonais.

Par  (Harlow (Essex), envoyé spécial)

Publié le 10 septembre 2016 à 14h59, modifié le 12 septembre 2016 à 09h46

Temps de Lecture 4 min.

Rassemblement de la communauté polonaise après la mort de leur compatriote  Arek Jozwik à Harlow (Essex), le 3 septembre.

Un policier en gilet fluo fait les cent pas dans la galerie marchande d’Harlow, une rue piétonne bordée de cubes de briques de deux étages. Cette ville nouvelle de l’est de l’Angleterre, conçue par le gouvernement travailliste d’après-guerre, a longtemps symbolisé le paradis urbain du prolétaire. A 50 km au nord de la capitale, elle a accueilli les Londoniens chassés par les destructions du blitz. Aujourd’hui, le quartier figure la montée de la xénophobie dans l’Angleterre du Brexit. Sur l’un des bancs posés sur la dalle, un amoncellement de bouquets de fleurs marque le lieu du drame qui terrifie les 800 000 Polonais du Royaume-Uni et sonne l’alarme sur l’une des conséquences du vote pro-Brexit du 23 juin : la flambée de l’hostilité à l’encontre des ressortissants d’Europe de l’Est.

C’est là, devant la boutique TGF Pizza qui offre toutes les garnitures possibles à emporter à partir de 2,99 livres (3,50 euros), que s’est effondré, samedi 27 août peu avant minuit, Arkadiusz (dit Arek) Jozwik, ouvrier polonais de 40 ans, lors d’une bagarre avec une bande d’adolescents. Les caméras de surveillance montrent qu’en sortant de la pizzeria, Arek Jozwik et les deux amis qui l’accompagnaient ont commencé à discuter avec un groupe de jeunes, et que l’ambiance s’est dégradée.

Arek a reçu un coup de poing qui l’a fait tomber à la renverse. Sa tête a heurté le sol. Il est mort le surlendemain à l’hôpital. La police enquête sur une agression « potentiellement xénophobe » et a interpellé six adolescents, qui ont été remis en liberté sous caution. Selon Radek, frère de la victime, les agresseurs seraient passés à l’acte en l’entendant parler polonais. Une semaine plus tard, juste après la marche silencieuse organisée à la mémoire d’Arek Jozwik, une autre agression, qualifiée de « brutale et horrible » par la police, a visé deux Polonais dans le même quartier. L’un souffre de blessures à la tête, l’autre a eu le nez cassé.

De lourds préjugés

« A bas le racisme. Les Polonais sont les bienvenus dans cette ville et ce pays », proclame une pancarte posée au milieu des gerbes et des drapeaux polonais, sur le mausolée improvisé devant la pizzeria. Des photos rappellent la vieille amitié anglo-polonaise, scellée par l’héroïsme des pilotes polonais engagés dans la Royal Air Force pendant la bataille d’Angleterre.

« Bienvenus ? Au début, c’était vrai. Les Anglais reconnaissaient que nous sommes durs à la tâche et loyaux. Ils savent surtout que nous acceptons les emplois pénibles qu’ils refusent, témoigne Antoni, un vendeur de journaux de 37 ans arrivé en Angleterre en 2005. Mais tout a changé à partir de 2015 à cause de la préparation du référendum sur le Brexit. On a expliqué aux gens que pour stopper les migrants, il fallait sortir de l’Union européenne. Alors, nous avons été visés. Aujourd’hui, personne ne nous assure de notre droit à rester dans ce pays pour lequel nous travaillons depuis des années. Avant le référendum, je pensais être bien accepté. Aujourd’hui, j’ai peur pour mon avenir. Je ne sais pas ce que les Anglais veulent faire de moi. »

Le mémorial dédié à Arek Jozwik, à Harlow.

Les statistiques en témoignent : les agressions visant les étrangers ou les personnes perçues comme telles ont explosé depuis le référendum : + 30 % à + 60 % selon les semaines depuis la fin juin. La police elle-même reconnaît que le vote du Brexit est considéré par certaines personnes comme un feu vert aux comportements racistes ou xénophobes. Trois sites spécialisés dans la vigilance antidiscrimination diagnostiquent une « explosion de haine caractérisée » entre les invectives, les inscriptions haineuses et les agressions.

« Bienvenus ? Au début, c’était vrai […] Mais tout a changé à partir de 2015 à cause de la préparation du référendum sur le Brexit »
Antoni, 37 ans, vendeur de journaux

Le cercle de réflexion Institute of Race Relations accuse le message xénophobe de la campagne pro-Brexit, mais aussi la première ministre, Theresa May, d’avoir créé un « environnement hostile » en refusant de donner des assurances sur le droit des Européens à la pérennité de leur séjour. La ville nouvelle de Harlow, où 68 % des électeurs ont voté pour le Brexit en juin et qui héberge l’une des plus fortes concentrations de Polonais du Royaume-Uni, semble conforter cette analyse.

« Je suis horrifiée, ravagée, comme la majorité des gens, articule Kay Beaumont, une chiropractrice venue en voisine se recueillir sur le lieu du drame de Harlow. Qu’est-ce que les jeunes qui ont fait ça peuvent bien avoir dans la tête ? Le Brexit a réveillé les réticences des gens à l’égard des étrangers. Il faut se rassembler pour que ça ne recommence pas. »

L’impressionnant monceau de fleurs témoigne de la réalité de l’émotion. Mais la plupart des passants abordés refusent de s’exprimer. De part et d’autre, les préjugés sont lourds. « Les Anglais d’ici sont horrifiés. Enfin, c’est ce qu’ils disent, tempère Janusz, 34 ans, serveur dans un restaurant. Peut-on croire les Anglais ? Ils ont toujours deux visages. »

Alcool et désœuvrement

Mais pour Markus, un comptable britannique d’origine antillaise, le meurtre d’Arek Jozwik n’a « rien à voir avec le Brexit » mais plutôt avec l’alcool et le désœuvrement des adolescents juste avant la rentrée scolaire. Pourtant, admet-il un peu plus tard : « Certains ont voté pour le Brexit pour que les Polonais partent d’ici, et il ne se passe rien. » L’hostilité se concentre couramment sur la langue. « Des gens prétendent ne pas comprendre quand vous leur parlez anglais. Ils veulent vous signifier que vous êtes étranger. J’en ai fait l’expérience et j’ai appris à être humble », raconte Bogdan Kot, prêtre polonais de la paroisse catholique de Harlow.

Près du lieu du meurtre, jeudi après-midi, trois jeunes Britanniques, cannette de bière à la main, échangent sous nos yeux des injures où il est amplement question de leurs mères. Des coups s’esquissent. Le policier, présent pour « redonner confiance » à la population, intervient, appelle du renfort. L’ambiance reste électrique à Harlow. La famille d’Arek Jozwik a décidé de l’enterrer en Angleterre. Une preuve d’intégration, sans doute. Lui au moins reposera en paix sur sa terre d’élection.

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