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Billet de blog 19 septembre 2016

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Lettre à une «sous petite fille» française

Porter le prénom de ta grand-mère immigrée est une énorme faute de goût. Te prénommer ainsi te met d'emblée dans le camp des indignes de l'identité française. Déjà devenue une ennemie de notre patrie au guichet de l'état civil. Disqualifiée dès le livret de famille ?

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© mercure66

          Paraît que sept ans c’est l’âge de raison. N’écoute pas trop ceux qui font circuler cette rumeur. À tout âge, il faut savoir être déraisonnable. Encore plus à sept ans. Que peut-on souhaiter à une petite fille ? De jouer et de rêver un maximum. Plein de grands bonheurs et que des petits chagrins de son âge. Malheureusement, nombre d’entre elles sont contraintes d’être raisonnables. Survivantes au froid dans un square ou une rue, pas loin de chez toi, ou sur un esquif en pleine méditerranée. Des gosses soumises aux caprices sanguinaires de dictateurs ou au cynisme couleur euro et dollar de certains élus du peuple. Porteuses de douleurs d’un autre âge qu’elle. Mais, comme tous les enfants du monde, tu n’es aucunement responsable de tout ça. Pas toi qui a créé ce monde contemporain. Tu as eu la chance d'être née du bon côté de la vie, le monde à tes pied. L’horizon comme une belle promesse. Toutes les petites filles du monde devraient être aussi bien loties que toi. Protégées de la folie humaine. En première classe planétaire. 

Mais une fée grimaçante s’est penchée au-dessus de ton tapis de jeu. Un regard pervers et donneur de leçons. Personnage assez subtil pour savoir noyer le poison dans l'eau médiatique.Cet homme insinue officiellement que tu n’étais pas tout à fait une «vraie »petite fille française. Son venin distillé dans un des micros qui lui sont si souvent tendus. Un bon client, docteur es buzz, comme on dit dans le jargon audiovisuel. Pourquoi donc cette exclusion public de ton pays ? Parce que ton prénom n’est pas issu du calendrier de la poste. Pourquoi n’as-tu pas fait l’effort de te prénommer Nadine, Marine, Elisabeth, Judith, Martine, Manuel, Nicolas, Eric ? Porter le prénom de ta grand-mère immigrée est une énorme faute de goût. Te prénommer ainsi te met d'emblée dans le camp des indignes de l'identité française. Déjà devenue une ennemie de notre patrie au guichet de l'état civil. Disqualifiée dès le livret de famille ?

Même issue d’un milieu nanti, tu ne serais – selon certains - qu’une «sous petite fille » de France. Différente de toutes les autres petites-filles de ton âge portant le «bon prénom». Tu seras confinée de l’autre côté d’une frontière invisible, dans ta cour de récré. Ce tri -toutes proportions gardées-comme un écho sombre d’une autre époque de l’Histoire de ton pays et de l’Europe ? Devras-tu un jour porter ton prénom épinglé sur ton blouson ? Contrainte de te cacher dans un grenier à cause de ton prénom? Bien sûr que non. Fort heureusement que nous ne sommes plus dans les années trente. La période des «sous homme » est complètement révolue. Comparaison n’est pas raison. Toutefois des fascismes nouveaux sont entrés dans ce début de siècle. Notamment les islamistes dont les méthodes et la folie barbare ne sont pas sans nous rappeler d’autres horreurs. Les femmes de tous âges sont leurs premières victimes. Mais d’autres fascismes «bon teint et bon prénom», plus anciens, profitant de la barbarie islamiste, renaissent de leurs cendres. Ces barbares d’extrême-droite et néo nazis reprennent du poil de la bête. À peine née et déjà coincée entre le pire et le pire. Une petite fille française de seconde zone ?

Bien sûr, on me rétorquera que tu n’es pas à plaindre. Une nantie, fille de nanties, qui ne verra jamais un frigo vide chez elle. D’autres petites-filles souffrent pour «de vrai»; elles. Ce ne sont pas des critiques infondées. En France et ailleurs, la lumière s’est éteinte sur des visages du même âge que le tien. Des regards blessés et perdus circulant sur le Net ou à la télé. Pire que ta situation de fille de grands notables de France. Est-ce une raison pour que tu sois traitée de la sorte ? La douleur demande-t-elle l’ADN ou le numéro de CB avant de s’installer sous une peau ? Ta mise à l’index médiatique est révoltante. Pour ne pas employer une autre expression. Une humiliation infligée à une gamine de sept ans, sa mère et sa grand-mère morte. Mais aussi à d’autres porteurs de prénoms soi-disant non estampillés républicains. Cette lettre n’est pas uniquement adressée à toi. Rédigée aussi pour d’autres petites-filles et petits garçons nés avec le mauvais prénom. Eux, en plus d’être désignés comme «hors France», cumulent d’autres handicaps. Gosses, pas vraiment français selon les critères récurrents de quelques tristes sires, vivant dans des cités et des quartiers populaires. À des années-lumière du quartier où tu fais tes premiers pas. Ils fréquentent le plus souvent des écoles ghettos avec des camarades portant des prénoms comme le leur. Tous des sous-français ?

Qui est cet homme décidant que tu serais une «sous petite-fille» ? Tout le monde le connaît. Certains, l’ayant nourri abondamment, se mettent à le renier et traiter tweeter de réseau d’extrême-droite. Pourquoi réagit-il d’une telle façon ? Surtout que d’autres doivent aussi le considérer comme un métèque indigne d’une nation white white white. Étrange attitude pour un citoyen cultivé, connaisseur des sales plats repassés par l’histoire. Une haine pour le moins irrationnelle. Une enfance qu’il a encore du mal à digérer et, pour se venger, cherche à pourrir celle dont le facies ressemble beaucoup au sien? Juste une «agressivité commerciale » pour vendre ses bouquins et continuer de s’afficher devant les écrans ? Vivre de ses saillies cathodiques ? Un bonimenteur médiatique qui devrait peut-être relire «Ô,vous frères humains» d’Albert Cohen. Bref, je ne peux te donner les clefs de ce personnage. Que des supputations, psycho de comptoir numérique. Seuls son miroir et son psy ont la réponse à ses obsessions. En attendant, cet homme pollue l’existence de nombre de ses concitoyens. Aujourd’hui, il s’attaque même à des gosses de sept ans. Doit-on comparer ses allusions à la bonne francité à une période sombre de l’histoire de l’Europe ? Parfois, j’ai cette tentation. Une façon de botter en touche dans le passé qui me gêne aux entournures. Un procédé trop facile. Éviter de regarder le présent les yeux dans les yeux. Il est possible de s’occuper de la merde contemporaine sans pour autant négliger l’histoire humaine qui repasse sa boue et son sang sur la même photocopieuse. Résister ne se conjugue pas dans le rétro.

Son prénom c’est comme sa famille: on ne le choisit pas. Certains, pour telle ou telle raison, décident d’en changer. Pourquoi pas? Nul n’est obligé de fréquenter sa famille à vie. Personne n’est responsable de son prénom. Ni de son lieu de naissance. Être fier de ses origines ? Pourquoi pas. Pour ma part, je préfère être fier de ce que je tente d’être et de faire au quotidien. Essayer de ne pas être trop con en attendant la mort. Éviter de rajouter de la boue et de l’obscurantisme à ce XXI ème siècle très mal barré. Chacun toutefois libre de mettre sa fierté où il le désire, croire en Dieu et au drapeau. Choisir de couvrir ou découvrir son corps. Paraît que ça se nomme la démocratie et liberté d’opinion. Sauf quand certains veulent imposer leur charia islamiste ou identitaire. Les ennemis de la démocratie portent désormais plusieurs masques. Ils se prénommés Mohamed, Alain, Tarik, Marine, Houria, Judith, Caroline, Malika, Marion…Un prénom ne rend pas plus intelligent ou plus con. Tous les Albert ne sont pas Einstein.

À sept ans, on ne lit pas ce genre de lettre. Et tant mieux. Mais, peut-être que plus tard, tu auras l’occasion de la lire. En recoupant avec l’actualité de tes années d’enfance, tu constateras qu’il s’agit de toi. Pourquoi alors ne pas avoir inscrit ton prénom et celui de ta mère très médiatisée ? Parce que votre histoire ne concerne pas que vous deux. Ni ta grand-mère insultée post-mortem à cause de son prénom déplaisant à un trieur de vrais et de faux français. Cette insulte à deux femmes et une petite fille est adressée en réalité à toute une population. Des sans prénom non solubles dans la République ? A ce propos, Frantz-Olivier, Johnny, Carla, etc., sont ils recevables ? Dans quelle catégorie inscrire les Marianne-Fatima ou Jean-Karim? Beaucoup de pain sur la planche pour ce trieur de prénoms et ses collègues obscurantistes. Bon, je vais cesser de te prendre la tête avec ce genre de -sales- choses. Tu es juste une petite fille. Pas un sous-française de naissance. Ton âge mérite mieux que ces personnages rabougris; tueurs policés de beauté. Que te dire pour conclure ce courrier ? De conserver une part déraisonnable en toi. Elle sera toujours préférable à la raison des haineux. Bon siècle à toi et à tous les autres prénoms de France et du monde. Dansez et rêvez sur notre chic planète.

Un voisin du siècle

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