CULTURE - Les livres connaissent parfois une seconde vie, quand ils sont réédités en gros caractères. Le livre de Rachel Khan, "Les grandes et les petites choses", s'est vendu à 3000 exemplaires en format classique.
Le chiffre est honorable pour un premier roman, dans un univers éditorial pléthorique. Mais il dit aussi que le livre n'a pas rencontré un public très large, alors même que l'histoire de cette petite fille noire triturée entre ses cultures juive, musulmane et animiste, et qui essaie de trouver sa place dans un monde de Blancs méritait plus d'attention.
Entre mille activités, Rachel Khan est blogueuse au HuffPost. Au cœur de l'affaire Dieudonné, elle avait publié un texte retentissant, intitulé "Noire et juive, la liberté de l'espèce". Il avait recueilli plus de 43.000 likes sur Facebook.
Un second souffle
A la suite de cette publication sur LeHuffPost, les éditions Anne Carrière la contactaient et le livre "Les grandes et les petites choses" naissait en fin d'année 2015.
Sa publication en grands caractères, taille 18, le 15 septembre dernier, pourrait lui donner un second souffle. Les éditions Feryane qui avaient repéré le livre et ont demandé sa réédition le confirment: "Quand on a un vrai coup de coeur, on le livre à nos lecteurs", nous précise Cécile Saporta.
Il existe 6 maisons d'édition en gros caractères en France. Ils éditent les ouvrages choisis à 8000 exemplaires minimum, pour approvisionner les 7000 bibliothèques du pays, les rares libraires qui les acceptent et les particuliers qui achètent en direct, auprès de la maison.
Ça ressemble à quoi?
En pratique, taille 18, ça veut dire quoi? Voici en image le comparatif. En haut, "Les grandes et les petites choses" de Rachel Khan, dont la taille de la police a été augmentée à 18 et épaissie. En bas, "A l'est de Damas, au bout du monde", de Majd al-Dik, écrit en police normale.
"Le marché n'est pas en expansion, puisque deux maisons ont dû fermer récemment à cause des restrictions budgétaires des bibliothèques, mais il n'est pas non plus à l'agonie", nous explique le dirigeant de Large vision, le pionnier de l'édition en gros caractères. "C'est un marché de niche, mais on s'en sort", continue Alban du Cosquer, le fondateur des éditions de La Loupe. "On évalue entre 300 et 400.000 euros le chiffre d'affaires de chaque maison".
Les trentenaires s'y mettent
Un marché de niche bien implanté. Et pour cause, son lectorat s'agrandit doucement. A commencer par les actifs de 30 ou 40 ans dont les yeux collés aux ordinateurs et autres appareils émettant une lumière bleue fatiguent. "Cette population est très demandeuse, explique au HuffPost Cécile Saporta des éditions Feryane. Le soir, ils ne peuvent plus lire quoi que ce soit de lumineux, pas même les Kindle, alors ils se plongent dans ces livres".
"Nous avons noté une autre raison à l'adhésion de cette tranche d'âge: elle est désorientée par l'abondance éditoriale, explique Cécile Saporta. Notre sélection dès parution permet aux lecteurs de choisir parmi une dizaine de polars quand cent sortent." Un peu à la manière de France Loisirs, à l'époque de sa création.
Bien sûr, ce sont les personnes à déficience visuelle qui constituent l'essentiel des amateurs de livres à gros caractères. Elles sont 1,7 million en France, dont 207.000 aveugles, ce qui réduit la population cible de ces maisons d'édition à 1,5 million, selon une étude réalisée en 2005 par la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques. Cette population est amenée à croître. Une autre étude publiée en juillet de la même année par L'Observatoire régional de la santé des Pays de la Loire écrivait dans son préambule: "Avec l'augmentation de l'espérance de vie et le vieillissement de la population, l'Organisation Mondiale de la Santé prévoit un doublement du nombre de déficients visuels dans les vingt cinq prochaines années."
Les auteurs s'avèrent toujours ravis de se voir publiés en grands caractères. Ainsi, l'auteur et journaliste Jérôme Garcin avait écrit une préface spéciale pour les éditions Feryane, pour son livre "Le voyant". Rachel Khan aussi s'est dite flattée de la republication de son premier roman: "Mon livre touchera un autre public, j'en suis heureuse."