Motif de science-fiction vu et revu, la création d’intelligence artificielle reprenant trait pour trait les mécanismes de notre intellect est maintenant une réalité. Une startup vient de revenir sur ce marché dopé par une vraie demande. Quel deuil dans un futur artificiel ?

Black Mirror avait planté un de ses épisodes, peut-être un des meilleurs, dans le monde du deuil futuriste. Une femme enceinte perdait son compagnon dans un accident de voiture, et finissait par être incapable d’accomplir le processus naturel du deuil à cause de son addiction pour une version artificielle de l’être aimé, recréée par la machine et une puissante IA qui analyse  la structure de son intellect.

Be right back insistait sur l’incapacité d’avancer dans un processus de lutte contre la vérité pour son héroïne. Le deuil ne s’accomplissait qu’à travers la haine qui grandit en elle face à l’avatar du défunt. Une forme perturbante de déni qui frôle avec l’illusion de l’éternité et poursuit l’idée d’une existence post-mortem.

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Cette vision d’une existence après la mort à travers ce que capte la technologie des êtres, par bribes, est une idée qui a en réalité traversé les siècles et les arts. Lorsque la photo commence à peine à se démocratiser pendant l’ère Victorienne, le Royaume-Uni est traversé par la coutume des photos post-mortem.

Alors que la mortalité infantile est encore très haute, les enfants et nourrissons mort-nés sont immortalisés par des appareils encore primaires. Les photographes redoublent d’inventivité pour tenter de ramener, le temps du cliché, leur modèle à la vie, assis sur des fauteuils, ou posant avec des tuteurs. Les corps morts sont immortalisés. Et les familles conservent ainsi le souvenir d’un être qui n’a pas eu le temps ou l’occasion, d’écrire sa propre mémoire.

1917

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En France, le téléphone évoque à Marcel Proust cette distance que nous prenons avec l’humain et sa finitude grâce à la technologie. Dans le troisième tome de Du côté de Guermantes, le narrateur, las de ne parvenir à approcher la duchesse de Guermantes, se rend à Doncières chez son ami Saint-Loup. Alors qu’il demeure loin de Paris, pour la première fois, il va recevoir un appel téléphonique de sa grand-mère. Et inéluctablement le narrateur, effrayé par cette négation de la distance qu’est un appel téléphonique, va écrire ce qui lui semble être la conclusion inévitable du téléphone.

Proust, dans une envolée très moderne, écrit alors : « Bien souvent, écoutant de la sorte, sans voir celle qui me parlait de si loin, il m’a semblé que cette voix clamait des profondeurs d’où l’on ne remonte pas, et j’ai connu l’anxiété qui allait m’étreindre un jour, quand une voix reviendrait ainsi (seule, et ne tenant plus à un corps que je ne devais jamais revoir) murmurer à mon oreille des paroles que j’aurais voulu embrasser au passage sur des lèvres en poussière. » Et si aujourd’hui, les turpitudes du narrateur peuvent sembler risibles, elles cristallisent en réalité la peur de la mort et celle, indifférente et liée, de l’après.

Si le téléphone et les photos ne sont aujourd’hui plus assez convaincantes pour faire survivre virtuellement les défunts, l’idée qu’une formule de machine learning le pourrait est une hypothèse qui dure. Récoltant, à la manière d’un Google, des milliers de fragments de nos vies, que ce soit nos expressions, nos blagues et nos tristesses, une intelligence artificielle entraînée toute une existence durant, pourrait répliquer nos intellects, une fois ceux-ci emportés par nos cœurs arrêtés.

Le terme existe déjà : nous appelons cela brain emulation et il recouvre les technologies qui promettent de créer des répliques vivantes et autonomes de nos cerveaux, ou du moins, ce que l’on en partage en vivant. À vocation interactive, ces cerveaux avatars peuvent ressembler à des IA comme celles d’IBM ou même à des chatbots, à la différence que leur objet est de ressembler, ou mimer, un esprit humain connu et défini.

Black Mirror

Black Mirror

Au lieu de tenter, comme dans Black Mirror par exemple, de répliquer l’identité physique et la morphologie des vivants, ces cerveaux ont vocation à être entièrement dédiés à créer une image d’une chose encore très abstraite pour nous : un portrait de nos esprits. Ces IA, pour le moment, se concentrent par exemple sur nos tweets et nos posts sur les réseaux sociaux afin de nous définir une mémoire, un langage et un tempérament. De là, l’IA ambitionne de pouvoir assumer vos goûts esthétiques, vos idéaux politiques, votre humour et vos tics de langage.

Les entreprises travaillant, officiellement, sur ces portraits post-mortem sont encore peu nombreuses, même si le travail fourni sur les IA en général, apporte les bases de ce qui pourrait devenir nos mémoires survivantes. Les deux principales sont Intellitar et Eterni.me.

En 2015 pourtant, Intellitar terminait sa courte mais audacieuse aventure. Pas par manque de client, non : il semblerait au contraire que la demande soit forte, mais à cause d’une débâcle juridique qui a conduit la société à un long et pénible combat que ne souhaitait pas mener son fondateur Don Davidson. Mais si ce dernier n’a pas encore abandonné son rêve, une société a déjà créé un service similaire : Eterni.me, que la BBC rencontrait l’année dernière.

Soyons pourtant terre à terre et parfaitement honnêtes : si vous sentez la mort proche, les technologies ne seront tout simplement pas prêtes avant le jour J. Aujourd’hui, les volontés créent une idée, un prémisse de la route suivie par ces sociétés qui tournent autour de l’IA, mais la route sera longue pour parvenir à synthétiser un processus d’apprentissage machine de l’esprit humain. Notamment, si la volonté des entrepreneurs est réellement de pousser les portes de l’éternité, ce qui devra conduire à récolter et construire bien plus de données et de réflexes qu’un simple historique numérique.

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Black Mirror

Aujourd’hui, la solution la plus pertinente pour ceux qui veulent vivre numériquement après la mort semble être DeadSocial qui comme d’autres services, propose de programmer des actions à réaliser sur les réseaux sociaux après votre trépas. Une vidéo pour dire adieux à vos followers ou une playlist pour vos funérailles sont un bon début mais vous pouvez également laisser des messages qui seront délivrés automatiquement à vos proches pour leur anniversaire, ou d’autres dates importantes. D’une certaine manière, aussi étrange que cela soit, vous enverrez des mails d’outre-tombe.

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Il y a pourtant derrière toutes ces ambitions, aussi faibles soient-elles, des questions qui se posent. Notamment pour vos proches : voulez-vous vraiment qu’ils tentent, certainement sans succès, de vous remplacer par une image virtuelle ? Quelle est l’obsession qui fait de nous des égoïstes obsessionnels même quand nous quittons ce monde ? Que nos proches nous oublient gentiment et passent chacune des étapes qui les libérera de la douleur de notre départ semble bien plus utile que d’insister, après mort, sur notre existence qui ne reviendra pas.

Enfin, ces technologies effraient par leur arrogance manifeste vis-à-vis de notre propre finitude : le refus de la poussière semble dire de nous quelque chose de plus important encore. Ne dit-on pas, après tout, que les cimetières sont remplis de personnes indispensables ?

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