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Depuis 2015, la loi permet de demander très officiellement si un Français fait l’objet d’une surveillance. Une procédure complexe et peu probante.
Quentin Hugon / Le Monde

Des journalistes du « Monde » sont-ils espionnés ?

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Publié le 21 octobre 2016 à 15h07, modifié le 21 octobre 2016 à 21h35

Temps de Lecture 5 min.

Etes-vous espionné par la DGSE, la DRSD, la DRM, la DGSI, la DNRED ou le Tracfin, l’un des six « services spécialisés de renseignement » français ? Il est difficile d’en avoir le cœur net, la loi permettant, tout au plus et depuis novembre 2015, de savoir si vous êtes surveillé illégalement. La réponse prendra un an, ne vous éclairera pas beaucoup et vous n’aurez aucun moyen de vérifier si elle est sincère. Le Monde a tout de même tenté l’expérience.

La loi sur le renseignement

C’est la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 qui a donné pour la première fois aux citoyens ordinaires un instrument de contrôle des services de renseignement. Le gouvernement a légalisé à peu près toutes les pratiques clandestines des services secrets : en échange, il a instauré une instance de vérification, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette commission donne un avis sur les demandes de surveillance, autorisées par les services du premier ministre, et peut être saisie pour vérifier que la légalité a été respectée.

Le Monde a décidé que deux journalistes saisiraient la fameuse commission dès que possible : il a fallu attendre novembre 2015 pour que sa composition soit complète et que son président, le conseiller d’Etat Francis Delon, ancien secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, soit à pied d’œuvre.

Les deux journalistes du Monde qui ont saisi la CNCTR – Jacques Follorou et l’auteur de ces lignes – travaillent sur des sujets sensibles. Le premier suit notamment les questions de renseignement, et a quelques raisons de penser qu’il intéresse les services : ses factures téléphoniques détaillées furent discrètement épluchées en avril et mai 2009, à la demande du procureur de Marseille, à l’automne 2010, à la demande du procureur de Nanterre (Hauts-de-Seine), avec celle d’un autre journaliste, Gérard Davet. Gérard Davet avait lui-même déjà été espionné en juillet 2010, à la demande de Bernard Squarcini, alors directeur central du renseignement intérieur, qui fut condamné pour ce délit, le 8 avril 2014, à une amende de 8 000 euros.

La CNCTR a donc été saisie le 10 novembre 2015 par lettre recommandée avec accusé de réception (et copie de la carte d’identité) au 35, rue Saint-Dominique, dans le 7e arrondissement de Paris – un bâtiment annexe de Matignon, qui abrite plusieurs autorités administratives indépendantes.

La commission a demandé, le 23 novembre 2015, de bien vouloir lui communiquer les numéros de téléphone, que Le Monde pensait ingénument à sa disposition.

Le contrôle

Le président Delon a finalement répondu, le 9 février 2016, que la CNCTR avait « effectué les vérifications nécessaires » et « qu’aucune illégalité n’avait été commise ».

Les deux journalistes avaient alors deux mois pour faire appel devant le Conseil d’Etat, ce qu’ils firent, pour aller au bout de la démarche, le 30 mars.

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La décision contestée étant celle du premier ministre, Matignon est ainsi légalement « le défendeur ». Face à lui, la loi prévoit que le « requérant » – en l’occurrence le journaliste – « n’aura pas connaissance des passages des mémoires et des pièces qui, soit comportent des informations protégées par le secret de la défense nationale, soit confirment ou infirment la mise en œuvre d’une technique de renseignement à l’égard du requérant, soit divulguent des éléments contenus dans le traitement de données, soit révèlent que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement ». En clair, il ne saura rien. Les membres du Conseil d’Etat, pourtant spécialement habilités, n’ont pas non plus accès à l’ensemble des pièces.

Le Conseil d’Etat a ainsi communiqué, le 23 juin, un « mémoire » d’une grande sobriété : la seule note de la CNCTR y rappelle que des vérifications avaient été faites et « qu’aucune illégalité n’avait été commise ». Le document n’apporte strictement rien de nouveau, sinon la mince satisfaction de faire un procès au premier ministre.

L’audience du Conseil d’Etat

Les deux journalistes furent convoqués, chacun à son tour, pour une audience à huis clos le 26 septembre, à 9 h 30. Il faut laisser à l’entrée son téléphone, son ordinateur ou « tout appareil permettant la captation, la réémission ou l’enregistrement d’informations ». On est introduit par un huissier en costume de ville, qui porte une oreillette, façon services secrets. L’ambiance est solennelle. Les membres du Conseil d’Etat sont assis en face, le président Edmond Honorat, président adjoint de la section du contentieux, avec deux conseillers, dont le jeune et brillant Mattias Guyomar. A leur droite, le rapporteur, Bertrand Dacosta, qui résume l’affaire en trois mots rapides, le rapporteur public (suppléant), Emmanuelle Cortot-Boucher, maître de requête, à leur gauche.

Le requérant journaliste est, lui, assis près de son avocat, et à côté des représentants de la CNCTR et du premier ministre, qui peuvent s’exprimer au cours de l’audience. Près de la porte se tient étrangement un piano droit, qui se demande ce qu’il fait là et dont on n’aura finalement pas l’usage.

Le président Honorat demande aimablement au journaliste quel bon vent l’amène et pourquoi il pense avoir été surveillé. L’ambiance est courtoise, l’audience est rapide. MSaint-Pierre ajoute quelques mots, et c’est terminé. Le rapporteur public a déjà donné son avis, après examen des pièces secrètes, et en l’absence du requérant : on ne sait rien de ce qu’il a dit. On récupère son téléphone, et on attend des nouvelles.

La décision

Le Conseil d’Etat a rendu sa décision le 19 octobre, la première depuis que la loi existe, et confirme, sans surprise, celle de la CNCTR. La haute juridiction a même rendu quinze décisions d’un coup : quatre sur la CNCTR, les autres pour d’autres particuliers qui s’inquiétaient d’être inscrits à tort sur des fichiers des services. Dans tous les cas, « les vérifications ont été effectuées et n’appellent aucune mesure de la part du Conseil d’Etat ». On peut circuler.

La Cour européenne

Tous les recours en France ont été épuisés, il reste à savoir si la procédure est conforme à la jurisprudence européenne. Les deux journalistes du Monde vont ainsi former un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, déjà saisie par l’Association de la presse judiciaire sur la loi renseignement. Elle rendra sa décision, si la requête est recevable, dans… quatre à cinq ans.

Il s’agit de savoir si les règles du procès équitable ont été respectées : les requérants n’ont pas eu connaissance des éléments qui les concernent, puisqu’ils sont couverts par le secret de la défense nationale, et le principe du contradictoire a été nécessairement malmené à l’audience. La Cour devra enfin dire si a été respectée la sage devise britannique : « Not only must justice be done; it must also be seen to be done », « la justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit montrer qu’elle l’a été ».

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