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« Jay Y », l’héritier qui va devoir réinventer Samsung

A quarante-huit ans, le très discret Lee Jae-yong, doit être nommé jeudi au conseil d’administration de l’empire Samsung, fondé par son grand-père, puis développé par son père. C’est à lui qu’il reviendra de gérer les secousses provoquées par le fiasco des Galaxy Note 7. Et de réorganiser en profondeur le conglomérat sud-coréen.

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Jay Lee, vice chairman of Samsung Electronics.

Par Yann Rousseau

Publié le 26 oct. 2016 à 17:22

Il n’assistera pas à son propre couronnement. Ce jeudi matin, les actionnaires de Samsung Electronics vont se retrouver, à partir de dix heures, dans la grande salle de conférence du cinquième étage du siège de l’entreprise, à Séoul, pour officialiser, à l’occasion d’une assemblée générale extraordinaire, l’arrivée symbolique d’un nouveau dirigeant à la tête du plus grand groupe d’électronique de la planète. Mais Lee Jae-yong, qui va être nommé au conseil d’administration de l’empire fondé par son grand-père puis développé par son père, n’assistera pas au vote. Ce n’est pas l’usage, souffle-t-on chez Samsung. A la mi-journée, le mystérieux héritier de quarante-huit ans, simplement appelé « Jay Y » dans les couloirs du groupe, pourrait toutefois faire un pas dans la lumière et prononcer son premier discours de patron devant des actionnaires.

Ces dernières semaines, certains analystes et les médias étrangers ont raillé sa discrétion et ses silences, alors que le conglo­mérat vivait avec les embrasements à répétition de dizaines de Galaxy Note 7, l’une des plus sévères crises de son histoire. L’homme, qui ne porte officiellement que le titre de vice-président de Samsung Electronics, n’est jamais intervenu pour s’excuser ou même expliquer la crise à ses clients. Le grand public connaît d’ailleurs à peine le son de sa voix. Et n’aura aperçu, ces dernières années, que quelques clichés d’un homme au profil de gendre idéal. Divorcé mais très présent auprès de ses deux enfants. Un peu de golf et de cheval. Pas de soirée délurée dans les clubs de Gangnam. « Comme les membres des familles des autres chaebols, il fait partie de cette aristocratie d’entreprise qui n’apparaît jamais en public mais contrôle tout en coulisses », explique Geoffrey Cain, qui termine un livre sur le groupe Samsung.

Discrétion

Pointant la confusion des observateurs étrangers, Chang Sea-Jin, professeur de stratégie et auteur du livre « Sony vs Samsung », rappelle que Jay Y n’est « ni le patron de la division mobile, ni le PDG de Samsung Electronics. On ne peut pas attendre de lui qu’il incarne ces fonctions ». « Il a géré ça à la coréenne, avec humilité. Dans la tradition confucéenne, il est normal qu’il ne se mette pas en avant tant que son père est encore le président en titre même s’il est à l’hôpital », ­confirme Bruce Wonil Lee, le dirigeant du fonds Zebra Investment Management, qui a commencé sa carrière professionnelle dans le conglomérat.

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Officiellement, Lee Kun-hee est en convalescence. Depuis la nuit du 10 mai 2014. Ce soir là, le patriarche, qui avait succédé à son père en 1987 et transformé la société en un géant de 70 filiales générant plus de 275 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, a été frappé par une grave crise cardiaque avant de glisser, un temps, dans un état semi-comateux. Les rumeurs le disent inconscient depuis plusieurs mois. Le groupe se tait. Et les trois enfants du « chairman », Jay Y et ses deux soeurs, impliquées elles dans d’autres branches du conglomérat qui gère des hôtels, des groupes d’assurance, des marques textile, des chantiers navals ou encore des sociétés de construction, continuent de visiter leur père, dans une aile ultra-sécurisée du Samsung Medical Center.

La crise des Galaxy Note 7

S’il ne s’est pas encore mis en scène, Lee Jae-yong est bien aux commandes. Il a même directement géré la crise des Galaxy Note 7. C’est lui qui a décidé, en accord avec D.J. Koh, le patron de la division mobile, d’ordonner, début septembre, le premier rappel de 2,5 millions de phablettes, dont les batteries étaient soupçonnées de surchauffer au point de s’enflammer. « Cette initiative marque d’ailleurs un changement d’attitude », insiste Bruce Wonil Lee. Il y a quelques années, explique-t-il, le groupe aurait rechigné à reconnaître le problème et n’aurait jamais accepté une décision si radicale.

Le souci d’agir rapidement pour sauvegarder la réputation de la marque aurait même précipité Samsung dans une crise plus grave. En accusant, après une poignée de tests seulement, la batterie d’être à l’origine des « explosions » de quelques dizaines d’appareils, les cadres de Samsung se sont probablement trompés de coupable. Et les nouveaux embrasements d’une poignée de modèles présentés comme sûrs et distribués lors de la campagne de rappels ont ­contraint Jay Y à ordonner, le 11 octobre, en catastrophe, un abandon complet du Note 7. « Les ingénieurs de Samsung n’ont toujours pas identifié le problème. Ils n’arrivent pas à reproduire l’embrasement du Note 7 », indique Hank Morris, le représentant du cabinet Argentarius à Séoul. « Le défaut est beaucoup plus complexe qu’ils ne l’avaient initialement envisagé, confirme Geoffrey Cain. Et ils ont besoin de trouver une réponse rapidement pour ne pas risquer de nouveaux déboires lors du lancement du prochain appareil. »

Les profits devraient bondir en 2017

Pour l’instant, aucun analyste n’anticipe toutefois de crise systémique. Tous misent même sur un rebond rapide des profits de Samsung Electronics. « L’impact du Note 7 sur les revenus devrait être minimal à long terme », assure Mark Newman, de Bernstein Research. Il rappelle que la série très populaire des phablettes Note ne représentait, en moyenne, qu’un tiers des ventes d’appareils premium de Samsung Electronics. Et, pour l’instant, les autres modèles du géant ne semblent pas avoir souffert d’une soudaine méfiance des consommateurs. « Du fait du programme de bons d’achat mis en place par le groupe, un nombre significatif des gens ramenant leur Note 7 vont probablement choisir un autre téléphone Samsung », avance Mark Newman. L’analyste estime que l’ensemble du fiasco pourrait coûter au maximum 7.000 milliards de wons (5,6 milliards d’euros) à la société. Samsung Electronics évoque une facture de 4,9 milliards d’euros.

Après un coup de froid fin 2015, les profits devraient bondir en 2017 grâce, notamment, aux performances des autres divisions de Samsung Electronics. Le groupe domine le marché mondial des mémoires DRAM et va s’imposer sur le segment des mémoires 3D Nand. Il est aussi désormais l’un des deux leaders mondiaux de la production d’écrans organiques électroluminescents (« OLED ») qui remplacent progressivement sur nos smartphones les dalles LCD.

Tous les acteurs du marché se convertissent. Apple, qui va équiper dès l’an prochain son iPhone 8 d’un écran OLED, va largement alimenter dans les prochains trimestres l’envolée des revenus de Samsung. Ses seules commandes de ce composant pourraient représenter, selon Bernstein Research, une poussée du profit opérationnel du groupe sud-coréen allant jusqu’à 8 % à l’horizon 2019. Au total, le profit opérationnel annuel de Samsung Electronics pourrait, selon les estimations de Nomura, dépasser dès l’an prochain les… 30 milliards d’euros et ainsi pulvériser son record absolu de 2013. « La transition vers un Samsung 2.0 porté par ses composants est bien enclenchée », résume Bernstein Research.

Dans l’ombre

Dans l’ombre, Jay Y a été l’un des principaux architectes de ce changement. Diplômé de l’université de Séoul, il bénéficie d’une double culture après ses années à la Keio University de Tokyo, d’où il a ramené un MBA, et à la Harvard Business School, où il s’est constitué un impressionnant carnet d’adresses. « Il sait que l’ensemble du groupe doit évoluer », explique Bruce Wonil Lee.

Samsung Electronics reste le plus grand producteur de smartphones de la planète mais sa domination de ce marché et de l’électronique grand public ne va cesser de s’effriter. « Il veut trouver de nouveaux moteurs de croissance pour l’ensemble du chaebol. C’est lui qui a poussé la cession de nombreuses divisions, telles que la chimie ou le matériel militaire, et a lancé le groupe dans la biopharmacie », détaille l’expert. L’introduction en Bourse de Samsung Biologics aura d’ailleurs lieu la semaine prochaine. Les acquisitions se multiplient encore dans le secteur des équipements pour voitures autonomes.

En interne aussi, les changements prennent forme. Lentement. « Sa seule élection au conseil d’administration est un acte fort de transparence », enchaîne Bruce Wonil Lee. Les membres des familles contrôlant les grands empires industriels sud-coréens évitent encore systématiquement cette expo­sition, qui oblige à un minimum de trans­parence sur leurs revenus et crée une responsabilité pénale. Lee Kun-hee, son père, n’était lui-même plus au conseil de Samsung Electronics depuis… huit ans.

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Une structure réputée castratrice

La culture d’entreprise commence aussi à évoluer dans une structure réputée castratrice pour ses employés. « Ce système a probablement joué un rôle dans la crise du Galaxy Note 7. N’osant jamais discuter les ordres de leurs supérieurs, les ingénieurs ont pu obéir aveuglement à des consignes qu’ils savaient peut-être potentiellement néfastes », explique Geoffrey Cain. A partir de mars prochain, Samsung Electronics va essayer de « casser » cette tradition en simplifiant les titres des fonctions hiérarchiques au sein de l’entreprise. Actuellement, chaque employé se voit attribuer un rang dans l’organisation tels que « daeri » (assistant), « gwajang » (manager) ou encore « bujang » (chef d’équipe). L’an prochain, ces titres – il en existe sept – seront remplacés par des appellations mettant en valeur les compétences du salarié afin de favoriser une communication plus « horizontale » dans les équipes. Les employés seront aussi incités à ajouter le suffixe honorifique « nim » aux noms de leurs collègues plutôt que de les interpeller par leur rang hiérarchique.

Recensant ces petites révolutions qui doivent, en théorie, encourager le débat et favoriser la créativité, les analystes veulent croire que Samsung va aussi bientôt accepter de restructurer l’organisation capitalistique opaque assurant à sa famille le contrôle du chaebol. Pour décrire ces centaines de participations croisées entre les 70 filiales, les économistes évoquent l’image d’un « bol de nouilles ». « Jay Y doit absolument réarranger cet actionnariat pour pouvoir prendre directement le contrôle du conglomérat à la mort de son père qui détient les parts des sociétés clefs », note Hank Morris.

Début octobre, le fonds américain Elliott, qui possède 0,62 % de Samsung Electronics, avait suggéré une scission de ce dernier (le bijou du conglomérat) en deux entités indépendantes. Une forme de société holding, contrôlée par Jay Y et ses soeurs et chapeautant les différentes sociétés, serait alors créée. Cette nouvelle transparence, assure le fonds, alimenterait un regain d’intérêt des investisseurs pour les titres des différentes entreprises cotées de l’empire. « C’est un scénario très acceptable », assure Bruce Wonil Lee, qui milite depuis des années pour une réforme des chaebols sud-coréens. Les actionnaires n’ont pas prévu d’évoquer ce chantier dès jeudi, mais la prochaine assemblée générale, en mars 2017, pourrait être l’occasion d’une grande annonce.

Yann Rousseau

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