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Pourquoi l'UE persiste à subventionner les agrocarburants

Dans son enquête publiée ce mercredi, Oxfam dénonce la mainmise d'un puissant lobby sur la politique européenne autour de ces carburants «verts», pourtant à l’origine de l’expulsion de milliers de personnes de leurs terres et d'une augmentation de la pollution.
par Estelle Pattée
publié le 26 octobre 2016 à 15h03

Ce devait être les nouveaux carburants «verts». Mais les agrocarburants, fabriqués à partir de matières premières agricoles comme les céréales, les sucres ou les huiles végétales, sont loin d’être la solution tant espérée pour remplacer à termes les ressources fossiles.

Augmentation des émissions de gaz à effet de serre, remplacement des cultures vivrières et expulsion de milliers de personnes de leurs terres… Oxfam tire, une nouvelle fois, la sonnette d'alarme sur les conséquences «désastreuses» de la politique européenne de soutien aux agrocarburants, dans un rapport publié ce mercredi. En cause : la mainmise du puissant lobby de l'industrie des agrocarburants, qui empêche toute réforme de la politique bioénergétique européenne.

Plus de 50 % de gaz à effet de serre

Dès 2012, Oxfam pointait les effets nocifs de ces biocarburants dans un rapport intitulé «Les semences de la faim». En ligne de mire : le climat, qui se trouve largement impacté par le «changement indirect d'affectation des sols». «En France, par exemple, les cultures de colza, auparavant destinées à la consommation alimentaire, sont utilisées pour produire du biocarburant, illustre Armelle Le Comte, chargée de Plaidoyer climat et Energies fossiles chez Oxfam France. Du fait du manque de terres disponibles, les pays européens se tournent vers les pays du Sud pour produire du colza destiné à l'alimentation. Cela entraîne la destruction de forêts, véritables puits de carbone, provoquant une augmentation de C02 dans l'atmosphère.»

Une étude de la Commission européenne, achevée en août 2015 mais publiée seulement en mars 2016 à la suite des demandes répétées de l'organisation, confirme ce phénomène. Selon le rapport, les agrocarburants produits à partir de cultures vivrières émettent en moyenne au moins 50 % de gaz à effet de serre de plus que ceux issus des carburants fossiles. «Par exemple, les agrocarburants produits à partir d'huile de palme émettent trois fois plus de CO2 que les combustibles fossiles, car ils délocalisent l'agriculture dans les forêts tropicales et les tourbières», illustre le rapport. «Si on continue sur cette trajectoire, l'UE ne pourra pas respecter ses engagements pris lors de la COP 21», s'indigne Armelle Le Comte.

Les ravages de l’huile de palme

Autre conséquence du soutien de l'Union européenne aux biocarburants : des milliers de personnes sont expulsées de leurs terres, et donc privées de leur moyen de subsistance, au profit d'entreprises qui cherchent à s'implanter dans de nouvelles régions. «Les entreprises du secteur des bioénergies ont souvent le champ libre à cause de la faiblesse de la législation et des autorités locales, qui ne reconnaissent pas les droits fonciers des communautés locales», explique Armelle Le Comte. Oxfam cite l'exemple de la Tanzanie, où quatre villages ont été dépossédés de leurs terres en 2008 au profit de l'entreprise néerlandaise BioShape. Le but : alimenter le marché belge et néerlandais en biodiesel, en cultivant du jatropha. Si le projet a finalement été abandonné à la suite de la faillite de la société mère, les riverains n'ont pas encore pu récupérer leurs terres.

La production de biodiesel à partir d’huile de palme fait aussi des ravages. En Indonésie, PT Sandabi Indah Lestari, un fournisseur de Wilmar International, une société agroalimentaire à Singapour, interdit depuis 2011 aux résidents locaux l’accès à leurs terres, utilisées pour l’une de ses concessions. Même scénario au Pérou, où les communautés paysannes et autochtones luttent contre la déforestation face à l’essor de la production d’huile de palme sur leurs territoires.

«Puissance de feu» des lobbies 

L'ONG dénonce l'important lobbying dont fait preuve l'industrie des agrocarburants sur la politique bioénergétique européenne. «Les producteurs européens d'agrocarburants à eux seuls dépensent chaque année entre 3,7 et 5,7 millions d'euros dans leurs activités de lobbying dans l'UE et emploient 121 lobbystes», soit l'équivalent du lobby du tabac (5 millions d'euros en 2015), souligne l'ONG.

«Si on regarde tous les acteurs de la chaîne de l'industrie des agrocarburants, ce sont près de 600 lobbyistes qui ont été mobilisés au cours de l'année écoulée pour influencer la politique européenne, soit plus que l'ensemble du personnel de la Direction générale Énergie de la Commission européenne, révèle Armelle Le Comte. Cela donne une idée de la puissance de feu de ce lobby.»

Oxfam prend l'exemple du groupe français Avril (ex-Sofiprotéol, dirigé par Xavier Beulin, patron de la FNSEA, le premier syndicat agricole français), qui se définit comme «l'acteur industriel et financier des filières françaises des huiles et protéines végétales», dont le réseau d'influence compte 76 lobbyistes et qui dépense chaque année 3,7 à 4,8 millions d'euros. Résultat : toute tentative de réforme de la politique bioénergétique se voit bloquée au niveau européen, estime Oxfam. Alors que la Commission européenne présentera le 30 novembre sa nouvelle politique en bioénergie durable pour la période 2020-2030, Oxfam appelle l'Unio européenne à «s'affranchir de la mainmise de ces puissants groupes» pour privilégier les énergies renouvelables.

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