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Le parcours aberrant des étudiants kinés

Pour échapper au couperet du numerus clausus, de plus en plus d’étudiants partent étudier ailleurs en Europe. Parallèlement, les déserts médicaux persistent en France.

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Publié le 28 octobre 2016 à 12h13, modifié le 31 octobre 2016 à 08h59

Temps de Lecture 5 min.

La conférence des présidents d'université propose que les formations paramédicales, comme celle de masseur-kinésithérapeute, soient intégrées à l'université.

Pourquoi s’éreinter à passer un concours hyper sélectif alors qu’il suffit de passer la frontière pour obtenir un diplôme qui vous accordera le même droit d’exercer en France et en Europe ? Depuis 2010, 9 984 nouveaux masseurs-kinésithérapeutes ont commencé à exercer dans l’Hexagone avec un diplôme obtenu hors des frontières selon le décompte de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

Parmi eux, 4 795, soit un peu plus de la moitié, sont français. Ils ont emprunté le chemin de traverse de l’expatriation, afin d’esquiver le numerus clausus national. En France, pour être titulaire d’un diplôme d’Etat de masseur-kinésithérapeute, il faut en effet se former dans l’un des 45 instituts de formation en masso-kinésithérapie (IFMK) pendant quatre ans et passer un concours draconien, où le taux de réussite enregistré à l’entrée de la plupart des écoles est inférieur à 10 %.

L’Espagne, première destination des élèves kinés

Où vont donc étudier ces futurs kinés « Europe-trotters » qui veulent échapper aux rigueurs de ce concours ? La Belgique a longtemps été la première fournisseuse de masseurs-kinésithérapeutes en France. Au début du millénaire, le goût des étudiants français pour les écoles wallonnes de la spécialité était tel que le gouvernement belge dut prendre des mesures afin de garder des places pour ses propres nationaux : depuis 2006, seulement 30 % d’étrangers peuvent accéder aux études de médecine, dentaires et de kinésithérapie outre-Quiévrain. En 2010, ils étaient encore 957 titulaires d’un diplôme belge à s’installer en France, dont 823 Français. Le chiffre ne cesse de décliner : on ne comptait plus en 2015 que 401 praticiens français à avoir suivi la « filière belge ».

Pourtant, l’appétence des étudiants français pour des formations moins sélectives que celles proposées dans leur pays progresse. 33 % des nouveaux inscrits au sein de l’ordre avaient été diplômés hors de France en 2010, on en comptait 38 % en 2015. Au hit-parade des pays fournisseurs de diplômés depuis que la Belgique a réduit son flux : la Roumanie, qui depuis six ans a formé 452 nouveaux masseurs-kinésithérapeutes exerçant en France, le Portugal (563 diplômés), la Pologne (624), l’Allemagne (881) et, surtout, l’Espagne, qui a formé 2 831 nouveaux professionnels dans la même période. En 2015, elle dépasse même la Belgique, avec 565 diplômés exerçant en France.

Paradoxe du numerus clausus

Ces praticiens, français ou étrangers, ont-ils les mêmes compétences que leurs homologues formés sur le territoire national ? « Non, répond Frédéric Ravel, président du conseil départemental de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes de l’Ardèche. Il n’y a pas d’uniformité de formation en Europe. » Les cursus se font à la carte, en fonction des écoles et des choix des étudiants. « Il existe de fortes disparités dans les formations », abonde Jean-François Dumas, secrétaire général du Conseil national de l’ordre.

La Belgique et la France seraient les plus exigeantes : leurs formations sont reconnues au niveau master, et de longues périodes de stages cliniques sont imposées pendant le cursus. Le Conseil de l’ordre est plus critique sur les formations dispensées en Roumanie et en Espagne. « Dans plusieurs domaines, comme la rééducation respiratoire, nombre de jeunes soignants sont totalement démunis », certifie Jean-François Dumas.

Raison pour laquelle les soignants diplômés à l’étranger et insuffisamment formés sont priés de suivre un complément de formation avant d’exercer. En cas de carence dans un domaine, « les commissions locales de l’ordre proposent des stages complémentaires, des mesures compensatoires », explique Laurène Ployart, déléguée générale de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR).

Toutefois, la décision finale de l’autorisation d’exercer est prise par la préfecture, qui parfois passe outre les recommandations du conseil de l’ordre, tant le déficit de kinésithérapeutes est fort. Paradoxe : « L’exécutif limite le nombre d’étudiants français en kinésithérapie via le numerus clausus », souligne Frédéric Ravel. Mais, au bout de la chaîne, face au manque criant de soignants dans certains territoires, « il accorde le droit de soigner à des diplômés étrangers moins bien formés ».

Régions sous-dotées

Pour 2015-2016, le gouvernement a ainsi autorisé la formation de 2 631 masseurs-kinésithérapeutes sur l’ensemble du territoire national. Le nombre de futurs étudiants est réparti sur la base des anciennes régions administratives. Le numerus clausus est censé fixer le déploiement de praticiens selon les besoins des populations. Mais les soignants ne sont pas soumis à une restriction à la liberté d’installation, les déserts médicaux ne cessent de se développer et les décisions d’ouverture de formations ne coïncident pas avec les besoins : en Picardie, 742 communes sont « très sous-dotées » selon Ameli, le site de l’Assurance-maladie, qui liste sur son site les communes qui manquent de praticiens et celles qui en ont trop. Mais le ministère de la santé n’y a ouvert que cinquante places en 2015, alors qu’en Provence-Alpes-Côte d’Azur, où seule une commune est classée « très sous-dotée », 193 places ont été ouvertes.

La mobilité des étudiants comme celle des praticiens « posent la question de l’utilité du maintien du numerus clausus », estime Juliette Quentin, présidente de la Fédération des étudiants en kinésithérapie. Ils sont des milliers d’étudiants français à l’avoir contourné. Quant aux diplômés étrangers qui s’installent en France, « ils ne remplissent pas les territoires en tension. Ils sont admis sur des territoires moins regardants, où les petits hôpitaux sont ravis de les embaucher. Ils peuvent ensuite s’installer à l’autre bout de la France », dénonce Frédéric Ravel, du Conseil départemental de l’ordre de l’Ardèche.

Rupture d’égalité

Enfin, l’exode des étudiants kinés « pose une double rupture d’égalité pour les étudiants et leurs familles françaises, estime Daniel Paguessorhaye, président de la FFMKR. D’une part, les étudiants français sont soumis à un concours très difficile alors que les diplômés étrangers qui viennent exercer en France ne le sont pas. Ensuite, le coût des études à l’étranger est extrêmement élevé ». Entre 6 000 et 8 000 euros par an pour une université espagnole par exemple. Sont sélectionnés ceux qui peuvent payer.

Si les étudiants en kiné sont favorables à la suppression du numerus clausus, leurs aînés installés sont moins pressés. L’arrivée de milliers de kinésithérapeutes supplémentaires générerait une concurrence accrue et « le risque de la paupérisation du métier », avertit Laurène Ployart. Alliée objective des kinés favorables au statu quo : la Sécurité sociale, qui verrait automatiquement ses dépenses augmenter si les territoires en tension étaient mieux couverts. Le numerus clausus pourrait avoir encore de longues années devant lui. Tout comme la tentation de l’expatriation pour les étudiants français.

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