Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

1558 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 novembre 2016

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

«Délit de faciès littéraire ?»

« C'est vraiment très lourd ! Si ça continue, je vais prendre un pseudo arabe, rom, ou migrant, pour pouvoir sortir un bouquin qui se vende. Nous sommes dans l’United Colors off littérature. Que la mode des «douleurs métèques» en tête de gondole. C’est l’ère de la repentance littéraire post-coloniale. Une white discrimination. Plus de place pour nos oeuvres.»

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

© Les Supercheries

 « Déçu des humains, il reste fidèle à l’humanité. Incapable de lui être infidèle. ». 

                                                                                                            M Bresson

             Trois décennies de camouflage. À 17 ans, j’avais écrit un roman. Des nuits d'écriture sur la table de la cuisine de chez mes parents. Ma famille pensait qu’il s’agissait d’un travail scolaire. Seuls Michel, mon petit copain de l’époque, et Corinne, sa mère, ma deuxième lectrice, furent au courant. Il se trouve en plus qu’elle était correctrice dans une maison d’édition. «Vraiment un superbe texte. Soraya, il faut absolument le faire lire à des éditeurs. En plus, moi qui suis de la partie, je peux te dire que tu as tout pour leur plaire en ce moment : jeune, beurette, vivant en cité HLM et bourrée de talent. Tu auras plein de papiers dans les canards. La presse raffolant de ce genre de trajectoire atypique. Tu arrives au bon moment. Ne rate pas cette opportunité pour toi.». Ses propos m’avaient agacée. « Pourquoi pas mettre aussi la mention roman traduit du beur. Je vais prendre un pseudo.». Elle et Michel crurent à une plaisanterie. Ils ne pouvaient imaginer ma détermination. Une vraie tête de mule. À cette époque, j’étais l'une des rares du lycée à avoir refusé de porter la main jaune  paternaliste. Pas du genre à gober les lanternes des publicistes, même de gauche. Sans doute grâce ou à cause de «La société du spectacle» travaillé en cours de philo. Un bouquin qui m'avait transformé, mis des mots sur ma méfiance instinctive avec un bateleur télévisuel ou un vendeur d’idées clefs en mains. Lucide très tôt. Trop tôt ? Une boule de rébellion remettant toute autorité en cause. Mes parents en firent les frais. Ni Dieu, ni maître, ni pote en détresse… Besoin de personne pour me défendre. Je voulais être seule à décider de mon histoire. Une baston depuis l’école primaire pour me faire respecter. Battante sans doute parce que je n’avais que des frangins. Fallait pas se laisser marcher sur les pieds à la maison, ni dans la cité. «Important que tu signes de ton vrai nom. Pour que d’autres jeunes filles où jeunes puissent s’identifier à une femme issue du même milieu qu’eux et devenue écrivain. Pas que des voyous, des comiques ou des footballers dans les cités. ». Corinne insista pour que je signe Soraya Adelmalek. En vain.

Très susceptible à l’époque, je décidais de laisser le manuscrit dans un tiroir. Plus préoccupée par avoir mon bac. Et, pressée de voler de mes propres ailes, je devais me débrouiller pour trouver un toit et bouffer les prochaines années. Une brochure attira mon attention au Centre d’orientation. Je réussis mon entrée en école d’éduc. Tout en continuant d’écrire. Pas un jour sans aligner une ou deux pages, comme d’autres font leurs gammes ou courent. L’année d’après, Michel décida d’ouvrir une maison d’édition. Grâce à un petit héritage de sa grand-mère. Plus tard, il m’avoua avoir monté ce projet que pour m’épater, ne pas me perdre. «Tu le signes du pseudo que tu veux. Pour moi, pas de souci.».Je ressortis sans hésiter le manuscrit. Corinne, pas rancunière, accepta de nous aider. Sans elle, mon premier roman et d’autres, jusqu’à sa mort il y a trois ans, n’auraient pu voir le jour. Une lectrice-éditrice extrêmement exigeante. Pour ne pas dire implacable. Combien de fois je suis partie de chez elle en claquant la porte. En larmes sous ma couette à me dire que j'allais cesser d'écrire. Elle m’a appris à rester insatisfaite. Planter ma plume dans le doute.

Mon premier roman sortit donc avec un nom d’auteur anglo-saxon. Michel, en plus d’être éditeur, devint alors traducteur d’un auteur américain inconnu. Nous répétions ensemble avant ses interviews. La fiche du faux auteur écrite comme celle d'un personnage de fiction. On se marrait bien avec ce jeu de cache-cache éditorial. La trame du roman était l’histoire d’une femme, sans nom ni prénom, traversant un pays non nommé non plus. Partie à la recherche d’un homme; existait-t-il réellement où juste une fantasme de cette femme  paumée? Contre toute attente, le bouquin eut un grand succès. Même adapté au cinéma. Dévoiler ou pas ma véritable identité ? Je préférais continuer de rester dans l’ombre. J’en écrivis trois avec le même personnage avant de la suicider. Aujourd’hui, il s’en vend encore. Depuis, chacun de mes romans est écrit avec un pseudo différent, changeant de sexe et de nationalité à mon gré. Tous sont publiés par Michel. Le seul désormais à être au courant de cette supercherie. Même sa femme et ses gosses l’ignorent. Un secret qui dure depuis plus de trente ans. Jamais je n'aurais cru que la supercherie aurait tenu aussi longtemps. Peu de temps après s'être lancé dans l'édition, Michel, sur les conseils de son père, avait ouvert une boîte de com. J’en suis actionnaire et y travaille – réellement - à mi-temps comme rédactrice. Un travail à distance. Une couverture parfaite.

Des années, qu’à travers Michel, je côtoie des auteurs sans qu’aucun ne puisse se douter que je suis une collègue. J’aime bien les écouter parler de leur boulot. Les plus détendus sont souvent ceux qui vendent bien ou ceux avec une profession les passionnant un tant soi peu. Au fil du temps, ceux qui ne se consacrent qu’à l’écriture, sans réussir à en vivre, rament de plus en plus. La galère pour beaucoup d'auteurs. Quelques-uns eux décrochent ou s’enfoncent dans une forme de désenchantement que le temps, broyeur de rêves inaboutis ou en suspens,  transforme peu à peu en aigreur. « C'est vraiment très lourd ! Si ça continue, je vais prendre un pseudo arabe, rom, ou migrant, pour pouvoir sortir un bouquin qui se vende. Je ne plaisante pas. Nous sommes dans l’United Colors off littérature. Que la mode des «douleurs métèques» en tête de gondole. Même si le texte est absolument nul, il sera encensé par une grande partie de la  presse. Sans doute par peur d'être taxé de racisme. Comme si la littérature ne se bornait qu’à la souffrance des banlieues, l’intégration des immigrés, ou l’exil. Plus que ça en ce moment. C’est l’ère de la repentance littéraire post coloniale. Et les autres écrivains, les gens comme moi, nous sommes devenus invisibles. Comme si eux avaient le monopole de la souffrance et de la discrimination. Moi aussi, fils de prolo, j’ai vécu la discrimination sociale et la misère. Et je la vis encore ; obligé de me taper des chantiers du bâtiment pour survivre. À talent égal, vaut mieux être un auteur basané de nos jours. Une white discrimination. Plus de place pour nos œuvres. Pas assez exilé ou immigré ? Trop blanc pour intéresser les éditeurs ? Les malins de l'édition ont compris que c'était un super créneau ; ils auraient tort de ne pas se faire du beurre sur les souffrances exotiques ou juste de l'autre côté du pérife.  Rien à foutre de passer pour un facho ! Je suis le seul à le dire haut et fort à cette table, mais pas le seul à le penser parmi nous tous. De bons auteurs de gauche bien pensante comme moi. ». Marco, poète et romancier d’habitude très calme, s’était soudain lâché. Sa femme, atterrée par ses propos, était bouffée de honte. Tous sous le choc de sa bouffée de haine. Le visage tordu de colère. Une tirade inimaginable de la part de Marco. En plein délit de faciès littéraire ?

Sa colère m’avait replongé dans la polémique trente auparavant avec Corinne. Elle n’avait jamais compris mon entêtement. Aujourd’hui encore, je me méfie des gens pétris de bons sentiments, aveuglés par un combat légitime, qui pensent d’emblée que tout œuvre créée par une ou un artiste ayant subi des discriminations ne peut être que bonne, incritiquable. Confondant leur lutte antiraciste et pour l’égalité avec la création artistique. La couleur de peau, la religion, le sexe, n’ont rien à voir dans la qualité artistique. Consensus inconscient quand l’artiste vient de cités populaires, exilé, ou métissé ? Avec le recul, je me rends compte que Corinne avait raison : les années 80 furent très propices aux femmes d’origine maghrébine ou africaine. Sacrément aimées par les médias. Surtout, faut le dire, comme pour la plupart des femmes médiatisées, quand elles étaient bien foutues. De nos jours, elles sont toujours mieux vues que leurs frères, pères ou maris. Mais la donne a changé. Les attentats, le voile, la religion, le FN en tête de certaines élections, les anciens «touche pas à mon pote»passés dans l’autre camp, les intégristes… Sans doute plus difficile d’être une jeune beurette ou africaine en 2016. Pourtant, malgré toutes ces pressions, elles se débrouillent plutôt pas mal. Dans les domaines culturels ou dans d’autres voies. Elles ne pensent pas comme on voudrait qu’elle pense. Pareil pour la création littéraire, la peinture, le cinéma, la politique… Pas toutes étouffés sous un voile non consentant, ou la poitrine plasma en trois D agitée devant une caméra sur fond de rires gras et machistes. Pas du tout enclines à se laisser manipuler pour égayer la vitrine. Finie le rôle de la jolie plante basanée servant de caution et cache misère social. Un grand chapeau à elles. Le bravo d’une femme de 50 ans dans deux jours. Et qui s’offre un cadeau pour son anniversaire.

Marco, après sa saillie, était penaud. Honteux de s’être laissé déborder, avoir ouvert une part de lui qu’il camouflait. Si longtemps qu’il galère. Pourtant un très bon auteur. Des années de boulot sur chaque bouquin, un perfectionniste; à peine sorti en librairie, chacun de ses texte passe à la trappe. Rares ceux qui chopent la queue du Mickey du manège de l’industrie du livre. N’en déplaise à certains ronchons, il y a parmi les heureux élus, des écrivains de très grand talent. Mais indéniable que de bons auteurs contemporains passent par pertes et profits. Que faire ? Pas grand-chose. À moins que tous les auteurs de romans (pas des témoignages ou autres récits de vie) prennent des pseudos, changeant de masque à chaque parution. Leur visage pas vu à la télé, sur le Net ou dans un journal papier. Que se passeraient-ils ? La fin des signatures en librairies et salons. Le lecteur, ainsi que les jurés des prix, confrontés uniquement aux œuvres écrites. D’abord le texte, encore le texte, toujours le mot. Sûrement que nombre d’auteurs seraient frustrés. Des écrivains et leurs lecteurs aiment à se rencontrer. Sans doute de belles rencontres à la clef. Contrairement à moi ayant opté pour ne voir personne, isolée sur mon clavier. Entre autre pour échapper à l’ « hégémonie naissante» des pubards des années 80. Refusant d’être la beurette de service du monde des lettres, la Sagan des ZEP. Ni représenter la cause de la femme auteur; fort heureusement les écrivaines ou auteures se sont imposées dans ce monde auparavant très masculin. En fait, je ne suis guère douée pour être porte parole. Peut-être trop égoïste. Accrochée à mon nombril. Pas plus égocentrique qu’un écrivain ; à part peut-être un acteur, un animateur télé, un politique…Difficile d’échapper aux sirènes du nombril et de son miroir. Sept milliards d’égocentrés ? Et voilà; après tant d’années passées à l’ombre littéraire, j’ai envie, moi aussi, d’apparaître. Reniant d'un seul coup toutes mes prises de position et critiques sur le système médiatique. Une posture contestataire de façade ? Rebelle du dimanche ? Touchée moi aussi par le virus de notre époque, je vais céder à la séduction de l'image. M’afficher pour me sentir exister.

Jusqu’à insister pour être invitée dans un salon. «Je ne te comprends pas, Soraya. Tu veux venir sur le stand de la maison après tant de temps où tu m’as envoyé chier quand je te le proposais et…Voilà que tu finis par accepter de venir dédicacer un bouquin quasi passé inaperçu. Si tu passes le cap, autant que je t’annonce comme l’auteur de tes best-sellers. Là, tu auras du monde à table. La presse rappliquerait très vite. On ferait le buzz sur le stand. ». J’ai refusé. J’avais juste envie de venir signer mon dernier roman écrit avec un pseudo de femme espagnole. Ma bibliographie comporte douze romans, deux recueils de nouvelles et une plaquette de poésies. Excepté les trois premiers très vendus, les autres ont fait des bides. Sans doute qu’un autre éditeur que Michel n’aurait pas pris ces risques éditoriaux. Mais, j’ose le croire; il apprécie ce que j’écris. Ne m’ayant refusé que deux manuscrits, jugés beaucoup trop sombres. Il prenait aussi des risques avec d’autres autres, d’une grande fidélité à ses auteurs. Un œil sur sa maison d’édition, l’autre sur sa boîte de com censée régler les factures de sa danseuse littéraire. Toujours endetté et à courir les subventions. Je vis financièrement mieux que lui. Un coup d’œil à ma montre. L'heure de la séance de dédicace.

Quelle idiote de m’être sapée comme ça ! Une vraie plouc endimanchée qui sort de sa tanière ; des années que je vis dans un bled paumé. Avec mon chien, mes poules et mon âne. Installée dans un village où je me sens fort bien. Surnommée «La parisienne » parce que mes volets sont rarement ouverts avant dix heures du matin. Seule et heureuse dans ma grange-loft de bobo. Tu es ridicule. Quand même pas la mine. T’es pas non plus une migrante sur la méditerranée. Pas un écrivain menacé de mort ou risquant la prison comme en Turquie ou ailleurs. Juste t’installer sur une chaise et attendre. Beaucoup d’auteurs rêveraient de se trouver à ta place. Arrête tes caprices de nantie. Je ne cesse de m'engueuler et de me rassurer. En effet, ridicule d’en faire un plat. La seule crainte qui perdure est qu’un journaliste fouille un peu et découvre des décennies d’imposture. Peut-être ce que je souhaite au fond. Un acte pour apparaître. Enfin me dévoiler. Manger aussi dans la soupe de la gloire éphémère. Être aussi reconnue.

Michel est déjà sur le pont. Je le vois à travers la vitre de la salle municipale. Deux auteurs de la maison sont déjà présents à ses côtés. Il affiche un large sourire. La plupart des stands sont occupés. Je pousse lentement la porte. Intimidée. Ma première séance de signature en plus de trente ans d’écriture. J’ai le ventre noué. Inquiète de me retrouver derrière ma pile. Passée à mon tour de l’autre côté. À attendre le lecteur-client. Je me sens un peu comme une gosse dans un rassemblement d’adultes. Peur d’être maladroite. La plupart des auteurs, connus ou pas, ont au moins dédicacé une fois. J’avance lentement dans la travée centrale. Pourquoi risquer de perdre tout mon confort de l’anonymat pour une subite crise d’ego ? Tout ça pour me sentir vivre dans le regard d’un lecteur qui feuillette mon bouquin. Je m’arrête. Pas pour moi. « Vas-y, Soraya ! Ta place est bien iciAssume complètement ton choix.Tu es Soraya Abdelmalek: auteure. ». La voix de Corinne m’exhorte à continuer. Je repars. Marchant comme dans un brouillard. Tour à tour anxieuse et satisfaite d'avoir réussi à me décider de sortir de l'ombre. Affronter mes trouilles et contradiction si longtemps occultées. Tenter surtout de me débarrasser d'une irrépressible honte. Des années avant de comprendre que mon jeu de pseudos n’était qu'une fuite masquée. Pour camoufler un sentiment d'illégitimité. Dire je sans le moindre complexe, ni sentiment de trahison. Ne pas subir non plus le regard condescendant d'une âme charitable. Cesser de gigoter en même temps sur deux sièges. Devenir légitime.

Poser enfin mon cul sur la chaise républicaine.

    NB)  Cette fiction est inspirée de réactions lues sur le Net après les attributions du Goncourt à Leïla Slimani et du Renaudot à Yasmina Reza. La plupart des commentateurs, amicaux ou très orduriers, n'ayant sans doute pas lu les deux bouquins primés. Comme moi d'ailleurs. Pourquoi autant d'animosité pour un prix littéraire ? Pétainisme ambiant, alimenté par quelques prêcheurs cathodiques, qui n'aurait pas déplu aux frères Goncourt ? Délit de faciès littéraire ? La littérature française aux français de souche ? De l'autre côté de la polémique; un aveuglement de certains -souvent bienveillants- applaudissant plus les origines des deux femmes que les prix attribués aux auteurs. Identitaires ou anti-identitaires ; personne ne peut enfermer la littérature. Jamais là où on l'attend. En cavale permanente. Elle se situe toujours ailleurs. Son pays c'est le texte. À ce propos ; quelle est la vision la plus objective sur un(e) auteur(e) ? Juger sur texte ici et .

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.