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Attentats du 13 novembre : le traumatisme du massacre

Des victimes du Bataclan posent pour Paris Match
De g.à dr.: Maureen, Bertrand, Pascal, Florence (qui représente son meilleur ami, toujours hospitalisé), Samuel, Frank, Alexis, Arthur. © Baptiste Giroudon
La Rédaction , Mis à jour le

Ils arrivent à esquisser un sourire et même à retourner dans un bistrot. Mieux que personne, ils savent que d’autres ne peuvent pas encore mettre un pied dehors. Aucun ne réussit à surmonter l’épreuve : ni les rescapés des attentats qui ont vécu l’horreur ni les proches des victimes qui ont perdu un enfant, parfois deux, un conjoint, un parent, un ami... Le bilan des survivants est lourd : 351 blessés, dont beaucoup sont toujours en traitement, et plus de 700 traumatisés psychologiques. 

Le cerveau humain est une machine complexe. Tel un disjoncteur, il peut, par sécurité et pour un temps, occulter les souvenirs insoutenables. Arthur Dénouveaux n'en gardait que des fragments de cette nuit où sa vie n'a tenu qu'à un fil. Le 3 décembre, il s'est extirpé de ce trou noir. Ce jour-là, il découvre dans Paris Match une interview des Eagles of Death Metal . Jesse et Eden racontaient leur nuit d'horreur : « C'est un jeune Français qui nous a sauvé la vie ! Nous l'avons suivi et il nous a mis dans un taxi. Je me souviens qu'il nous a dit : 'Paris, ce n'est pas cela !' Il a même payé la course mais le chauffeur n'a pas voulu d'argent. Depuis, j'ai conservé ce billet que je garderai toujours.»

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«En lisant ces lignes, tout m'est revenu d'un coup, avec précision. Ça m'a fait un bien fou », confie Arthur. Il était un des 1 500 amateurs de rock qui se pressaient au Bataclan. On peut être issu de Polytechnique et fan des Eagles of Death Metal. « Je me tenais debout dans la fosse, à l'arrière. A la troisième rafale de kalachnikov, j'ai été jeté à terre par un mouvement de foule. J'ai rampé sans me relever. C'est à ça que je dois la vie, les balles fusaient et fauchaient tous ceux qui étaient encore debout. J'ai rampé sur des cadavres, je me faisais piétiner.» Il lui faudra une éternité pour parvenir à une issue de secours. L'air libre est saturé de hurlements. Et Arthur aperçoit, dans la pénombre, les visages blafards de membres du groupe : le leader, Jesse Hughes, serre contre lui sa belle et sulfureuse petite amie, Tuesday Cross ; le batteur, Julian Dorio, se tient aux côtés du guitariste Eden Galindo. Tous sont terrifiés, aucun ne comprend ce qui vient de se passer. En anglais, Arthur leur crie : « Il ne faut pas rester ici ! Je connais le quartier, vous devez me suivre ! » Commence une course effrénée. Rue Amelot, boulevard Richard-Lenoir... Là, Arthur hèle un taxi, y propulse les vedettes. Au chauffeur, il tend un billet de 50 euros : « Conduisez-les à la police.»

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Beaucoup s'interrogent sur les ratés de la justice, les conditions de l'intervention. Tous sont en colère

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Un an après, le quotidien des rescapés des attentats se résume encore à un long calvaire. «Nombreux sont ceux qui ont quitté leur travail ou en ont changé», raconte Stéphanie Zarev. Elle est partie de Paris : « Les victimes sont confrontées à un casse-tête administratif, à une procédure d'indemnisation incompréhensible. Beaucoup se posent des questions sur les ratés de la justice, les conditions de l'intervention. Tous sont en colère.»

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L'Etat n'a pas su protéger nos enfants!

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La colère, Erick Pétard l'exprime à vif. Avec son épouse, Sylvie, dans la vaste salle à manger-salon de leur maison, à Monthou-sur-Bièvre, ils ont toujours les yeux embués de larmes quand ils évoquent le souvenir de leurs deux filles. Anna, 24 ans, et Marion, 27 ans, sont omniprésentes sur les photos... Elles sont tombées ensemble à la terrasse du Carillon. «L'Etat n'a pas su protéger nos enfants ! Je l'ai dit à Manuel Valls lorsque je l'ai rencontré. Il ne cessait de me répéter : 'Oui monsieur, oui monsieur.' Les coupables sont les terroristes, les barbares, mais l'Etat a sa responsabilité et doit rendre des comptes ! »

« Parler fait du bien. » Alors, durant un après-midi, les parents ont parlé de Marion, talentueuse flûtiste qui achevait ses études à la Sorbonne après les conservatoires d'Orléans et de Paris ; d'Anna, qui s'épanouissait dans les arts graphiques. Elles prenaient un verre avec Aurélie. Seule leur amie a survécu; mais, très grièvement blessée, elle ne peut toujours pas parler malgré dix opérations chirurgicales. Plus de 4 000 lettres de soutien leur sont arrivées de toute la France. Une prénommée Fabienne vient encore d'envoyer un poème sans indiquer d'adresse pour la réponse. L'école maternelle de leur village, flambant neuve, porte le nom «Anna et Marion » Pourtant, Erick et Sylvie se sentent seuls avec leur douleur : «Leur grand-père pleurait tous les jours, il est mort de chagrin en juillet dernier.» Ils ont vendu leur boucherie-charcuterie de Chailles. Ils n'en pouvaient plus.

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Alors comme ça, vos amis se font tirer dessus et vous, vous fuyez en courant!

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Erick et Sylvie estiment avoir été « bien traités», au moins. Ce n'est pas le cas pour tous. A une jeune fille qui a pu survivre, grâce à une chance incroyable, un policier du 36 quai des Orfèvres lance : «Alors comme ça, vos amis se font tirer dessus et vous, vous fuyez en courant ! » Une autre survivante se rend à l'unité médico-judiciaire de Strasbourg, où elle réside. Première question du psy : «Avez-vous été violée dans votre enfance ?» Quel rapport ? Aucun, mais il faut bien « évaluer » le traumatisme... la désinvolture et l'inconvenance en prime.

Stéphanie Zarev (à g.) et Caroline Langlade, présidente de l’association Life for Paris. Deux survivantes du Bataclan qui ne se connaissaient pas mais qui sont aujourd’hui inséparables.
Stéphanie Zarev (à g.) et Caroline Langlade, présidente de l’association Life for Paris. Deux survivantes du Bataclan qui ne se connaissaient pas mais qui sont aujourd’hui inséparables. © Alvaro Canovas

A cette somme de maladresses s'ajoute une délicate question, un tabou qui ne devrait pas l'être : l'argent. La vie n'a pas de prix, les blessures et les traumas, eux, oui. «L'indemnisation des victimes est extrêmement complexe et relève du parcours du combattant, résume Caroline Langlade, rescapée du Bataclan, présidente de Life for Paris. Par exemple, le parquet a défini un périmètre autour des lieux des attentats. Une personne qui s'y trouvait peut prétendre à indemnisation. Mais 50 mètres plus loin ? » La procédure elle-même est mouvante. François Hollande a annoncé une réforme du Fonds de garantie, doté de 1,4 milliard d'euros. Selon nos informations, la piste privilégiée pour l'avenir consisterait à s'en remettre au tribunal pour le montant des indemnités : « Cela risque d'obliger à prendre un avocat », s'inquiète Caroline.

Des personnes qui semblent aller mieux sont des bombes à retardement

Récemment, la secrétaire d'Etat chargée de l'Aide aux victimes, Juliette Méadel, a annoncé qu'un « barème » pourrait être créé avec un montant fixe par préjudice. Quid, enfin, du préjudice psychologique ? «De nombreuses personnes ne peuvent plus travailler normalement. Certaines souffrent de tremblements, de bégaiements, d'agoraphobie. Il y a eu des suicides. Des personnes qui semblent aller mieux sont des bombes à retardement. Il faut prendre en compte l'évolution des traumas. Sinon, dans dix ans, on recomptera le nombre de morts à la hausse », s'alarme Caroline. Elle-même est restée enfermée plus de trois heures dans une petite pièce du Bataclan, suffoquant avec quarante autres personnes : « Un des terroristes donnait des coups de crosse avec son arme dans la porte pour la faire céder.» Caroline n'est toujours pas retournée au cinéma. Un lieu clos, noir, rempli d'inconnus... Les séquelles touchent également ce qui fait le sel de la vie, la capacité à se concentrer, pour lire un roman, ne pas sursauter au moindre bruit dans la rue. Les chiffres ne font pas dans le détail : « 10 000 euros pour un traumatisme psychologique, 40 000 pour un enfant qui a perdu son père ou sa mère, versés sur un compte bloqué jusqu'à sa majorité», nous annonce un avocat.

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Après les assassinats, on nous a confisqué nos morts

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Lamia Mondeguer a été tuée au café La Belle Equipe. Elle avait 30 ans, un sourire éclatant, elle était découvreuse de talents et de futurs comédiens. Sa mère, Nadia, avec calme et dignité, raconte comment elle a été accueillie à l'Institut médico-légal, la pudique formulation pour dire «morgue ». Nadia devait « reconnaître le corps » de sa fille. Trois minutes, pas plus. Il y a trop de monde. Mais derrière la fenêtre ce n'est pas Lamia... Une autre, assassinée elle aussi. Une simple «erreur » mais qui rime avec horreur. Nadia ose dire : «Après les assassinats, on nous a confisqué nos morts.»

Jean-François Mondeguer, son mari, a rejoint l'association 13 novembre: Fraternité et vérité. Il se demande si le hasard peut avoir un sens, et lequel. Le 22 février 2009, le soir où un groupe de lycéens français de Levallois-Perret, en voyage de classe, venait d'être visé par un attentat ciblé, il se trouvait au Caire, à proximité. Le lendemain, il est allé se recueillir près du grand bazar Khan Al-Khalili, là où Cécile Vannier avait été tuée et seize de ses camarades, blessés. L'enquête allait permettre d'arrêter sept suspects parmi lesquels un certain Farouk Ben Abbes, ressortissant belge. Celui qui fomentait déjà un autre projet d'attentat, contre... le Bataclan.

Les connexions avérées entre L'attentat du Caire et ceux de Paris

Une menace suffisamment réelle pour que la justice ouvre une instruction. Celle-ci a été close par un non-lieu en 2012. Une décision prise par le juge Christophe Teissier, celui-là même qui dirige aujourd'hui les magistrats enquêtant sur le 13 novembre, dont le Bataclan.

Le 3 mars dernier, Paris Match a publié une enquête sur les connexions avérées entre ces dossiers. Dès 2008, on retrouvait au Caire les frères Clain, amis proches de Ben Abbes. Les Clain qui ont revendiqué les massacres parisiens au nom de l'Etat islamique. Pour Jean-François Mondeguer, c'est bien l'onde de choc de l'explosion du Caire qui, le 13 novembre 2015, à Paris, a emporté sa fille, Lamia .

Il n'est pas le seul à s'interroger sur les ratés des enquêtes. A la commission d'enquête parlementaire sur les attentats, Alexis Lebrun, survivant du Bataclan, a posé des questions précises : pourquoi ce non-lieu en 2012, pourquoi les propriétaires du Bataclan n'ont-ils jamais été informés des menaces? Qui est Reda H. qui, arrêté en août 2015 à Paris, venant de Syrie, a avoué vouloir frapper «une salle de concert»? «Il aurait fallu que les services de renseignement fassent le lien entre 2009 et 2015», lui a-t-on répondu. « N'est-ce pas précisément leur rôle?» s'interroge-t-il. Lui et de très nombreuses victimes sont bien décidés à obtenir des réponses autrement plus sérieuses.

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C'est notre humanité qui prouve que nous avons gagné contre les terroristes

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La détermination est aussi portée par l'espoir. Bertrand Gauthier est un survivant. Jamais il n'oubliera « ces corps qui se sont couchés comme du blé soufflé par le vent ». Lui est debout. Il a rejoint l'association de Caroline : « Nous avons eu de la chance, nous devons aider ceux qui vont moins bien que nous. C'est cette humanité qui prouve que nous avons gagné contre les terroristes.»

Grâce à notre magazine, les Eagles ont revu Arthur, leur sauveur. Ils l'invitent à chacun de leurs concerts en Europe. Il les a applaudis en Espagne, à Munich. Mais, pour Arthur, l'histoire ne peut pas se terminer aussi facilement : aujourd'hui, il est le vice-président et l'un des piliers de l'association Life for Paris qui regroupe plus de 750 personnes dont l'existence a été à jamais bouleversée. Il y a encore des vies à sauver.

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