Menu
Libération
Récit

Pédophilie : les témoignages se multiplient dans le foot anglais

Dans la presse britannique, les accusations s'accumulent contre le détecteur de jeunes footballeurs Barry Bennell. Il pourrait s'agir d'un scandale à très grande échelle.
par Stéphanie de Silguy, intérim à Londres
publié le 24 novembre 2016 à 15h36

Certains le comparent déjà à Jimmy Savile. Mort en 2011, ce dernier, ex-animateur britannique vedette de la BBC, a commis pendant quarante ans des abus sexuels sur des victimes de tout âge, dans les studios de la radio, des écoles ou des hôpitaux. Barry Bennell, considéré comme l’un des meilleurs détecteurs de talents du ballon rond en Angleterre, pourrait donc à son tour être qualifié de «pire prédateur sexuel de l’histoire». Depuis plusieurs jours, des témoignages d’anciens footballeurs victimes d’agressions sexuelles de la part de leur entraîneur se succèdent dans les quotidiens britanniques.

David White, 49 ans, une sélection en équipe d'Angleterre, surtout connu comme attaquant à Manchester City, décrit dans le Guardian ses années de souffrance entre 1970 et 1980. Alors qu'il n'était encore qu'un jeune prometteur recruté par le club de Whitehill à Manchester, Barry Bennell, qu'il considérait alors comme «un héros», a abusé de lui dès l'âge de 11 ans. «Pendant plus de vingt ans, pour de nombreuses raisons, j'ai gardé cette épreuve secrète auprès de ma famille et de mes amis», a-t-il déclaré. Des années de souffrance qu'il a décidé de raconter dans un livre à paraître d'ici à avril. Ses révélations font suite à celles de deux autres anciens joueurs également entraînés par Barry Bennell, à Crewe Alexandra, au nord-ouest de l'Angleterre. L'ex-joueur professionnel, Andy Woodward, 43 ans, a été le premier à dévoiler son secret. «Jusqu'à aujourd'hui ma vie a été ruinée. Mais combien d'autres l'ont été ? Je parle de ces centaines d'enfants que Barry a détectés pour de nombreux clubs», s'interroge-t-il dans le Guardian. Son récit poignant est un déclic pour Steve Walters, l'un des joueurs anglais les plus brillants de sa génération. Lui aussi reperé et entraîné par Barry Bennell, il subira des agressions sexuelles dans la même période. Il est alors âgé de 14 ans.

L’entraîneur tant idôlatré par ces jeunes prodiges du football anglais n’est pas inconnu de la justice. Aujourd'hui 62 ans, Barry Bennell a déjà effectué plusieurs séjours derrières les barreaux. En 1998, il est condamné à 9 ans de prison après avoir répondu de 23 accusations d’agressions sexuelles sur six enfants âgés de 9 à 15 ans. Il a également été condamné à plusieurs reprises aux Etats-Unis. Relâché sous caution en 2015, il résiderait désormais à Milton Keynes, en Angleterre.

«Cicatrices mentales»

John Bowler, le président du club de Crewe, s'est dit «désolé de la douleur causée». Mais pour ces anciens joueurs, ce qui se passait avec Bennell «n'était un secret pour personne». De nombreux jeunes recrues victimes de l'entraîneur ont d'ailleurs fini par renoncer à leur carrière professionnelle de footballeur. «Mentalement, il a détruit beaucoup de garçons», assure Steve Walters. Ces nombreux témoignages ont permis de délier d'autres langues. Ainsi, l'ancien international anglais Paul Stewart, passé par Manchester City, est aussi sorti de son silence. Mais lui ne révèle pas l'identité de son bourreau dont il a souffert des abus entre 11 et 14 ans. «Un jour, alors qu'on était en voiture, il a commencé à me toucher. Cela m'a effrayé, je ne savais pas quoi faire, a-t-il déclaré au Daily Mail. Les cicatrices mentales que cela a laissées m'ont mené à l'alcool et la drogue, explique ce père de trois enfants. Je veux que les gens se rendent compte à quel point c'est difficile de raconter tout cela.»

Ces révélations ne seraient que la partie émergée de l’iceberg. Depuis la publication de ces lourds secrets, une dizaine de personnes ont contacté la police, a affirmé Gordon Taylor, le président du syndicat des joueurs anglais. De son côté, la Fédération anglaise de football a mis en place une ligne téléphonique pour que les anciens joueurs puissent dénoncer les abus. La NSPCC, l’une des plus grandes associations de protection de l’enfance, a réclamé que le gouvernement et les organisations sportives travaillent ensemble afin de mettre en place des politiques de prévention efficace. En attendant des mesures concrètes, le téléphone ne cesse de sonner, avec au bout du fil des parents inquiets pour leurs enfants. Une affaire qui pourrait à terme sérieusement entacher la réputation du football d'outre-Manche.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique