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Etat d’urgence : élus critiques, élus addicts

Le projet de loi visant à prolonger le dispositif jusqu’en juillet sera débattu ce mardi soir à l’Assemblée nationale. Le bilan est maigre, le scepticisme de mise, et pourtant les députés ne semblent pas prêts à y mettre un terme.
par Pierre Alonso et Laure Equy
publié le 12 décembre 2016 à 20h46

De l’état d’urgence à l’état de dépendance. Les députés s’apprêtent à débattre, mardi soir, d’une cinquième prorogation de ce régime d’exception, rendu caduc par la démission, mardi dernier, du gouvernement Valls. Juste après la déclaration de politique générale de son successeur Bernard Cazeneuve, on ne devrait pas trouver, lors des discussions dans l’hémicycle, d’ardent défenseur du projet de loi, mais rares sont les députés décidés à sortir de l’état d’urgence que treize mois d’application ont singulièrement banalisé.

«Essoufflement». Le bilan d'une grosse année sous état d'urgence demeure maigrelet, comme le montrent les chiffres publiés vendredi par la commission de suivi mise en place à l'Assemblée. Dès janvier, le député Jean-Jacques Urvoas (devenu garde des Sceaux) parlait d'un «essoufflement» du dispositif. Près d'un an plus tard, le résultat de l'une des mesures phares, les perquisitions administratives, ressemble à un électroencéphalogramme plat : les découvertes d'armes, nombreuses dans les premiers jours, sont depuis longtemps rarissimes. De même que les découvertes de stupéfiants, principal butin des débuts, sans lien évident avec la lutte contre le terrorisme. Toutes les perquisitions décidées par les préfets aura permis l'ouverture de 20 enquêtes par le parquet de Paris pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

Le nombre d'assignations à résidence a drastiquement chuté après la deuxième prorogation, en février, avant de repartir légèrement à la hausse en juillet, après les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray. Parmi les 97 personnes qui pointent tous les jours au commissariat, une quarantaine sont assignées depuis le début. Très long pour une mesure aussi contraignante. «Ou on peut judiciairiser ou on ne le peut pas, et il faut en tirer les conséquences, donc mettre fin à l'assignation», estime le député LR Georges Fenech, qui avait présidé la commission d'enquête sur les attentats de 2015. Cet ancien magistrat affirme qu'il votera la prorogation par «discipline de parti» même s'il y est personnellement opposé : «L'état d'urgence a-t-il permis de démanteler des filières ? Je ne crois pas. C'est le travail du judiciaire et des services de renseignement.» Ce sentiment de fatalisme est largement partagé. Opposé à la première prorogation de novembre 2015, Sergio Coronado, membre EE-LV de la commission des lois à l'Assemblée, décrit une «ambiance très paradoxale» : «Les députés s'accordent sur l'inefficacité d'un dispositif qui était prévu pour une courte durée», observe le député toutefois sans illusion sur le résultat du vote qui se tiendra dans la nuit de mardi à mercredi.

«Menace». Reste que l'exécutif détient un argument massue pour maintenir l'état d'urgence : la menace terroriste qui pèserait sur la campagne présidentielle ne permet pas de lâcher la bride sécuritaire. «La multiplication des rassemblements [...] et les opérations de vote occasionneront des concentrations de population en de très nombreux points du territoire susceptibles de représenter des cibles», est-il écrit dans le projet de loi : «Cette période qui s'ouvre accroît doublement la menace pesant sur la société française.» De quoi dissuader les députés de lever le pied dans ce contexte. «Mais il y a toujours des rassemblements en France !» proteste Fenech : La COP 21et l'Euro de football avaient été invoqués auparavant.

Le projet de loi veut faire courir l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017 après la présidentielle et les législatives. Le tout assorti d’une astuce juridique pour éviter que le changement de gouvernement ne fasse tomber l’état d’urgence. Seules concessions : les socialistes ont obtenu, voilà quelques semaines, la garantie que le gouvernement ne tenterait pas de transformer le texte en nouvelle loi antiterroriste, comme il l’avait fait en juillet. L’exécutif a aussi encadré la durée des assignations à résidence, à quinze mois maximum. Le Conseil d’Etat demandait douze dans son avis sur le projet de loi. Lundi, des écologistes et d’anciens frondeurs ayant quitté le Parti socialiste ont déposé un amendement pour la limiter à huit, comme le proposait la commission de suivi. Sur ce point comme sur le reste, le débat, à l’Assemblée puis au Sénat, ne devrait pas s’éterniser, l’état d’urgence devant être reconduit avant le 21 décembre.

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