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Luaty Beirao : « Je refuse de vivre sous la dictature de la peur »

Le rappeur angolais Luaty Beirao emprisonné en 2015 pour « tentative de coup d’Etat » contre le président dos Santos publie son journal de prison.

Propos recueillis par  (contributrice Le Monde Afrique, Lisbonne)

Publié le 21 décembre 2016 à 16h51, modifié le 25 janvier 2017 à 17h09

Temps de Lecture 4 min.

Le rappeur angolais Luaty Beirao a été emprisonné pendant trois mois en 2015 pour complot contre le président José Edouardo dos Santos

Luaty Beirao et seize de ses amis ont été condamnés à des peines de deux à huit ans de prison en mars 2015 pour « tentative de rébellion » et « complot » contre le président José Eduardo dos Santos qui dirige l’Angola depuis 1979. La grève de la faim suivie pendant trente-six jours par le rappeur a déclenché un mouvement de soutien international qui a conduit à leur amnistie. Ils continuent cependant de réclamer un vrai jugement. Luaty Beirao, 36 ans, publie son journal de prison Alors, je suis plus libre maintenant (éd. Tinta de China). Entretien lors de son passage à Lisbonne.

Après votre grève de la faim qui a duré trente-six jours et a failli vous tuer, comment vous sentez-vous ?

Je me sens vraiment très bien, physiquement je n’ai pas de séquelles. Bien évidemment je fais l’objet d’un suivi médical, mais je m’en suis bien sorti.

Quelles étaient les conditions en prison ?

Je m’étais préparé au pire et je ne peux en réalité pas trop me plaindre. La cellule était propre. Mais ce n’est pas normal de laisser une personne trois mois à l’isolement. Légalement, la durée maximale est vingt et un jours. Nous avons tenu car il fallait résister. Le pouvoir voulait nous briser.

Vous publiez « Alors, je suis plus libre maintenant », d’après votre journal rédigé en prison. Comment avez-vous pu écrire ce texte ?

J’ai été confiné dans une cellule de 2 mètres sur 3,5 mètres, durant parfois quarante-sept heures d’affilée. Mes geôliers avaient accepté de me donner des cahiers dans lesquels je consignais mes pensées et rédigeais des demandes en nourriture adressées à mes proches. Pour pouvoir les conserver, nous avons dû les faire sortir clandestinement.

Qu’avez-vous pensé du mouvement de soutien « Liberdade jà » (la liberté, maintenant) qui s’est formé autour de vous et de vos camarades ? Parti d’Afrique, il a eu de l’écho dans le monde entier.

J’ai été surpris par la mobilisation en Angola, car d’habitude les gens ne réagissent pas. Il n’y a pas d’expression publique. J’ai pris conscience de l’ampleur du mouvement au vingt et unième jour de ma grève de la faim. C’était incroyable ! J’ai pensé arrêté ma grève, mais ç’aurait été prendre le risque que le mouvement retombe.

La jeunesse angolaise a utilisé les moyens de communication modernes, la vidéo, Internet, pour médiatiser votre combat. Cela vous a-t-il aidé ?

Depuis que j’ai décidé de militer et de revendiquer une société meilleure pour mon pays, j’ai pris conscience qu’il valait mieux tout dénoncer, tout rendre public : les menaces de mort, les coups sur la tête, les emprisonnements. A chaque fois, on a fait des rapports et pris des photos, et quand on pouvait des vidéos. Lorsque, en 2012, deux kilos de cocaïne ont été placés dans mes bagages alors que je me rendais à Lisbonne, la police portugaise a vu sur Internet qui j’étais. Elle a compris le coup monté et la juge m’a relâché. Ces publications sont notre protection. En cas de problème, tout le monde est au courant. Sans ça, je pense que nous ne serions plus là. Mais, dans le cas présent, le gouvernement angolais lui-même nous a aidés en révélant le régime autoritaire dans lequel on vit. Un régime qui réprime par la force et peut tuer le cas échéant.

Vous dites que vous êtes devenu une icône de la rébellion grâce au président dos Santos, qui vous a jeté en prison. Voulez-vous être un porte-drapeau de la rébellion en Angola ?

Je comprends qu’il y ait cette attente à mon égard en Angola. Mais je refuse ce titre. Je m’en tiens à mes propos : je suis un citoyen conscient de mes droits et je refuse de vivre sous la dictature de la peur. Je veux mobiliser la société civile en Angola. Je lutte pour la souveraineté du peuple : nos leaders ne sont pas nos patrons, ils sont à notre service. Une fois que ce sera compris, la peur disparaîtra.

Cet objectif peut-il passer par la création d’un parti politique ?

Non. Nous vivons en principe sous un régime démocratique mais le parti au pouvoir, le MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) bloque toutes les initiatives. La répression est « encadrée » par les lois. Créer des partis, faire intervenir des ONG n’est pas la solution : il faut changer les mentalités.

Un coup d’Etat est-il toujours possible ?

Ce n’est pas une solution. Et parmi nous, personne ne l’envisage. Les coups d’Etat, c’est une histoire tragique qui continue à mettre l’Afrique à genoux. Les gens ont trop souffert en Angola. Ils ont peur. Si jamais cela devait se produire, la responsabilité en incombera au président José Eduardo dos Santos. Il vieillit au pouvoir, sa santé décline. On a peur qu’il meure durant sa présidence sans avoir donner le signal du changement

Vous êtes musicien et rappeur. Vous avez inventé le mot « raptivista » (rappeur-activiste). Est-ce que c’est aussi par cette voie que ça peut bouger ?

Oui, surtout en Angola. Même mes geôliers connaissent mes chansons ! Il y a une élite qui a été influencée par le rap, c’est rassurant. Ce sont des musiciens qui ont aidé le MPLA à arriver au pouvoir, et le parti sait combien la musique peut influencer les masses. Moi je vais continuer à me servir de cet outil.

Que pensez-vous faire maintenant ?

Pour l’instant je respire l’air de la liberté. Ma fille peut jouer dehors en toute tranquillité. En Angola nous sommes surveillés. J’ai des projets musicaux avec le rappeur MCK. Je vais continuer à militer et à témoigner avec mon livre puis, en février, je rentrerai en Angola.

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