Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Procès Lagarde : pourquoi la CJR est-elle critiquée ?

Après la dispense de peine accordée à Christine Lagarde, Manuel Valls a proposé de supprimer la Cour de justice de la République.

Par 

Publié le 23 décembre 2016 à 13h51, modifié le 24 décembre 2016 à 07h31

Temps de Lecture 6 min.

La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, devant la Cour de justice de la République, le 12 décembre.

Christine Lagarde, septième ministre à comparaître devant la Cour de justice de la République (CJR), a été condamnée pour « négligence » dans l’affaire de l’arbitrage favorable à Bernard Tapie en 2008. Mais la Cour a choisi de la dispenser de peine. Une décision critiquée qui a relancé le débat sur l’existence de cette juridiction d’exception.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Procès Lagarde : chronique d’un désastre annoncé

1. Une composition controversée

La Cour de justice de la République est composée de quinze juges :

  • Trois magistrats de la Cour de cassation ;
  • Douze magistrats parlementaires – six députés et six sénateurs – élus par leurs pairs en fonction des équilibres partisans à l’Assemblée et au Sénat.

Cela garantit donc à un ministre accusé une certaine proximité avec au moins une partie des juges. Ainsi, cinq des douze magistrats-parlementaires sont actuellement issus du parti Les Républicains, comme Christine Lagarde : Jean-Luc Warsmann, Philippe Houillon, François-Noël Buffet, François Pillet et Bernard Saugey. Les autres sont socialistes (six) et centriste (un). Cette composition donne donc un aspect politique à une juridiction qui devrait être pénale.

La structure de la Cour a parfois donné lieu à une incohérence entre les décisions de la CJR et celles prises par un juge pénal ordinaire – notamment parce que la CJR ne juge que les faits survenus pendant le mandat de l’accusé. Charles Pasqua avait par exemple été relaxé en 2010 par la CJR dans l’affaire de malversations du casino d’Annemasse (Haute-Savoie), alors qu’il avait préalablement été condamné par la justice ordinaire, dans son volet « non ministériel », à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis.

Le mode de saisine de la CJR pose un autre problème : dans l’affaire Lagarde, elle a par exemple été saisie par un ensemble de parlementaires socialistes… qui sont donc en quelque sorte juges et partie d’un même procès.

2. Des procédures lentes

1 200 plaintes et 5 procès

En réalité, toute personne qui se dit victime d’un membre du gouvernement peut porter plainte devant « la commission des requêtes » de la CJR. Si celle-ci juge la plainte recevable, le procureur saisit la commission d’instruction de la CJR, formée de trois magistrats de la Cour de cassation, qui a le choix entre le non-lieu et le renvoi du membre du gouvernement concerné devant la CJR. Sur plus de 1 200 plaintes examinées depuis sa création, en 1993, seuls 39 dossiers sont arrivés en commission d’instruction dont cinq ont abouti à un procès.

Signe de la lenteur de fonctionnement de la CJR, il lui a fallu deux ans pour se prononcer sur la non-prescription des faits reprochés à Edouard Balladur et François Léotard dans le volet financier de l’affaire Karachi, qui remonte au milieu des années 1990.

3. Des décisions jugées laxistes

Sur les cinq procès organisés devant la CJR, aucun n’a donné lieu à une peine d’emprisonnement ferme.

1. Le sang contaminé

Relaxe et dispense de peine

Dans les années 1980, alors que le virus du sida venait d’être découvert, le dépistage n’avait pas été généralisé par les pouvoirs publics et plusieurs personnes sont mortes après des transfusions.

Le Monde
-50% sur toutes nos offres
Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 11,99 € 5,99 €/mois pendant 1 an.
S’abonner

A l’époque, les membres du gouvernement étaient jugés devant la Haute Cour de justice, qui ne pouvait être actionnée que par des parlementaires. Ce monopole juridique favorisait l’impunité. C’est pour remédier à cette situation qu’Edouard Balladur, alors premier ministre, a été à l’origine de la création de la CJR.

Cette « affaire du sang contaminé » a finalement abouti en 1999 à une relaxe du premier ministre de l’époque, Laurent Fabius, et de sa ministre des affaires sociales, Georgina Dufoix, jugés pour « homicide involontaire ». Le secrétaire d’Etat à la santé, Edmond Hervé, a quant à lui été reconnu coupable mais dispensé de peine.

2. Ségolène Royal et le lycée Thiers

Relaxe

En septembre 1997, un bizutage assez violent était survenu au lycée Thiers de Marseille. Ségolène Royal, alors ministre déléguée de l’enseignement scolaire, avait déclaré dans une interview donnée au quotidien La Provence que le traitement du dossier avait révélé que le bizutage n’avait été possible qu’avec « la complicité d’adultes qui avaient établi de faux emplois du temps ». Bien qu’elle n’ait jamais cité de noms, deux professeurs d’une classe préparatoire à l’école vétérinaire du lycée en question, l’avaient alors accusée de « diffamation ».

En 2010, plus de douze ans après les faits, Ségolène Royal est relaxée par la CJR. L’avocat général, Roger Lucas, avait estimé qu’elle avait parlé « en toute connaissance de cause » et que sa dénonciation « était de bonne foi ».

3. Les subventions de Michel Gillibert

Sursis et amende

En 2004, Michel Gillibert, ancien secrétaire d’Etat aux handicapés, est reconnu coupable du détournement de 1,3 million d’euros d’argent public et condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 20 000 euros. Il avait subventionné cinq associations fictives afin de payer certains membres de son cabinet et des dépenses personnelles.

4. Les trois affaires de Charles Pasqua

Sursis

En 2010, l’ancien ministre de l’intérieur Charles Pasqua, jugé pour trois affaires distinctes, est condamné à un an de prison avec sursis pour complicité et recel de biens sociaux dans l’affaire des contrats de Sofremi.

Ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire en 1993, il avait nommé, sept jours seulement après son entrée en fonction, Bernard Dubois au poste de PDG de Sofremi, société de ventes de matériel de sécurité placée sous la tutelle du ministère. La société a ensuite été rendue coupable d’une série de détournements de fonds vers des proches de Charles Pasqua sous couvert de commissions très onéreuses à des intermédiaires. La Cour l’a toutefois dispensé d’une peine d’inéligibilité « compte tenu de son âge » et de « son passé au service de la France ».

5. L’affaire Lagarde

Dispense de peine

Pascale Robert Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde, explique que la condamnation de Christine Lagarde pour « négligence » fait de son affaire « un procès bancal ». En effet, l’arrêt de renvoi à la Cour précisait que l’accumulation et la gravité des fautes décrites ne pouvaient être dues à une simple inadvertance et dépassaient la négligence.

Par ailleurs, la dispense de peine dont a pu bénéficier la directrice générale du Fonds monétaire internationale (FMI) n’est normalement applicable dans la loi française que lorsque trois conditions sont réunies : le reclassement du coupable, la réparation du dommage causé et la cessation du trouble causé par l’infraction.

Si Christine Lagarde ne devrait pas avoir trop de mal à se réinsérer, au FMI ou ailleurs, la réparation du dommage est plus difficile à établir : d’une part parce que Bernard Tapie n’a pas rendu l’argent public qu’il avait reçu malgré l’annulation de la sentence de l’arbitrage à l’origine du litige, mais surtout parce que cela ne dépend pas de Mme Lagarde. Reste le trouble résultant de l’infraction : il est délicat à mesurer alors que l’affaire est encore en cours devant la justice correctionnelle.

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés Procès Lagarde : une décision inaudible

Vers une éventuelle suppression de la Cour ?

Dans son programme de 2012, le président François Hollande avait promis de supprimer la CJR pour redonner aux ministres le statut de judiciables ordinaires. Cette proposition était reprise dans le rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique rédigé fin 2012 par l’ancien premier ministre Lionel Jospin.

Cependant, cette suppression requiert une réforme constitutionnelle qui doit être approuvée par les trois cinquièmes du Parlement (Assemblée nationale et Sénat réunis) ou par un référendum. Cette révision a été présentée en mars 2013 au conseil des ministres mais abandonnée en juillet 2013, faute du soutien des centristes et/ou d’une partie de la droite. François Hollande avait bien relancé sa promesse en 2014, mais celle-ci restera finalement lettre morte.

Quatre candidats déclarés à la présidentielle de 2017 se sont prononcés pour la disparition de la CJR : Jean-Luc Bennahmias, Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Luc Mélenchon et Manuel Valls. Arnaud Montebourg, visiblement hésitant, est allé dans ce sens avec un tweet… qu’il a ensuite supprimé. Ni François Fillon ni Marine Le Pen n’abordent la question dans leurs programmes.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.