Éditorial  Populisme

Le mot vilain de 2016

Le populisme a été le thème de 2016. Pour clore l’année, l’équipe éditoriale approfondit la réflexion sur cet enjeu d’importance.

« Peuple » n’est pas un vilain mot. Mais en y ajoutant « isme », on obtient l’insulte la plus populaire de l’année. Marine Le Pen, Nigel Farage et Donald Trump ont avec raison été accusés de populisme. Bernie Sanders a étrangement été mis dans le même panier. Et chez nous, François Legault et Jean-François Lisée ont dû s’en défendre.

Le populisme signifie-t-il encore quelque chose si on l’utilise pour désigner en même temps des gens si différents ? Et pourquoi est-il péjoratif ?

Le populisme n’est pas une idéologie claire comme le néolibéralisme ou la social-démocratie. Il s’agit plutôt d’une approche qui peut être utilisée autant par la gauche que la droite.

Les définitions varient, mais on y retrouve habituellement trois éléments. Un leader prétend : 

– Qu’il existe « un » peuple ;

– Qu’il sait ce que ce peuple veut pour une multitude de sujets ;

– Et que ce peuple a été trahi par des « élites »*.

Le populiste veut donc chasser les élites qui empêchent la volonté populaire de régner. Il discrédite les contre-pouvoirs comme les médias, la société civile et l’opposition parlementaire. Rien ne sert de débattre avec eux, car il sait déjà ce que le peuple veut. Donald Trump a poussé cette logique à son extrême en nommant à la tête des agences de l’environnement, du travail et de l’énergie des hommes qui veulent les émasculer.

On comprend donc tout le problème. Le populiste s’invente un peuple, puis prétend que ce groupe homogène veut la même chose que lui. Soit des solutions simplistes qui confortent trop souvent les gens dans leurs plus vils instincts.

Comme l’a récemment démontré le politologue Jan-Werner Müller**, le populisme constitue un triple rejet : des élites, des minorités et de la politique elle-même. Il n’y a bien sûr rien de mal à critiquer les élites – il est important d’écouter ceux qui subissent le pouvoir des autres. Mais le slogan des populistes n’est jamais « nous aussi, nous sommes le peuple ». Il ne s’agit pas d’oubliés qui veulent être eux aussi intégrés dans les débats. C’est plutôt le contraire : une majorité qui veut exclure les autres.

Tous les politiciens disent parler au nom de la population et cherchent l’appui d’une majorité de citoyens. Ce qui distingue le populiste, c’est qu’il critique les idées de ses opposants, mais aussi leur légitimité à les exprimer. En plus d’être anti-élite et anti-minorité, le populiste est ainsi anti-politique. Voilà pourquoi Bernie Sanders n’est pas un populiste. Lui respecte les institutions et les droits de tous.

La politique sert à gérer les conflits, à trancher au sujet d’un désaccord raisonnable. Mais les véritables populistes comme Marine Le Pen ou Donald Trump s’y refusent. Pour eux, il existe deux camps : le peuple et les traîtres.

C’est là la dernière caractéristique du populisme : la paranoïa. Si des élites contredisent le peuple, leurs arguments cachent d’autres motivations. Un genre de complot.

***

En réaction au populisme, il est trop facile de se pincer le nez en attendant que le vent passe. Car si de tels leaders séduisent, c’est parce qu’ils répondent à de réelles inquiétudes.

Après les victoires du Brexit ou de M. Trump, on s’est empressé de diagnostiquer une maladie mentale à des millions de personnes. Il est vrai que ces victoires résultent en partie du mensonge, de la xénophobie et du sexisme, mais cela n’explique pas tout.

Par exemple, au Royaume-Uni, il existait un sentiment d’aliénation face à la technocratie européenne. La même dépossession s’observe ailleurs, où les décisions économiques et fiscales deviennent incompréhensibles. Elles se prennent quelques kilomètres au-dessus de la tête des citoyens, sur qui retomberont ensuite les orages.

Tout cela mène à la crise de la démocratie représentative, et la tolérance ne suffira pas à la régler. Les anti-populistes sont confrontés à un défi immense : convaincre que la solution la plus simple n’est pas toujours la bonne. Un défi d’autant plus grand que la « complexité » d’un dossier sert souvent de prétexte pour ne rien faire, et suscite donc la méfiance.

Et au Québec ? Certes, il y a parfois des égarements, comme le débat national sur le burkini lancé par les caquistes, ou Jean-François Lisée qui a avancé que des terroristes pourraient se cacher sous un niqab ou une burqa, une crainte que les policiers ont relativisée. Mais cela ne justifie pas de crier au loup, car il n’existe pas de parti populiste. Le premier ministre Couillard a fait cette erreur quand il a condamné ses adversaires pour avoir relayé des craintes légitimes sur l’intégration et la francisation des immigrants. Plus on niera ainsi le malaise, plus on le laissera gonfler à l’ombre.

*Quelles élites ? Il existe différentes élites – économiques, intellectuelles/artistiques et médiatiques. Au Québec, on observe deux discours anti-élites. Au risque de caricaturer, disons que le premier dénonce la « clique du Plateau » qui défendrait le multiculturalisme et un État providence inefficace. Le second attaque au contraire les élites économiques qui imposeraient l’austérité et le néolibéralisme.

** Lire à ce sujet Qu’est-ce que le populisme ? de Jan-Werner Müller, éditions Premier Parallèle, 2016.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.