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Les échanges commerciaux qui menacent la vie sauvage

Une étude dresse une carte mondiale identifiant les zones dont la biodiversité est menacée par la production de biens et de services d’exportation.

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Publié le 04 janvier 2017 à 15h40, modifié le 05 janvier 2017 à 12h17

Temps de Lecture 8 min.

Au Brésil, une partie des menaces qui pèsent sur le singe-araignée (Ateles paniscus) sont directement attribuables à l’exploitation forestière et à la production agricole entraînées par la consommation de biens aux Etats-Unis.

C’est un fait connu : la déforestation, la surpêche ou le braconnage entraînent une érosion spectaculaire de la biodiversité partout sur la planète. Et l’un des principaux moteurs de cette surexploitation des ressources naturelles réside dans la production de biens et de services destinés à l’exportation. Une étude publiée mercredi 4 janvier dans la revue Nature Ecology & Evolution, permet d’identifier précisément quels consommateurs, dans un pays, menacent quelles espèces dans un autre. Elle dresse un atlas mondial indiquant, par nuances de couleurs, les zones de biodiversité les plus affectées par le commerce international.

« Nous pouvons ainsi pointer les routes économiques internationales ayant le plus grand impact sur la faune sauvage, afin d’améliorer les politiques de conservation, expliquent les auteurs, Daniel Moran (université norvégienne de science et de technologie) et Keiichiro Kanemoto (université Shinshu, Japon). Notre objectif est que les entreprises et les consommateurs utilisent cette carte pour sauvegarder la biodiversité. » Car il y a urgence : selon le WWF, plus de la moitié des populations de vertébrés ont disparu dans le monde par rapport à 1970 et, à ce rythme, les deux tiers d’entre elles pourraient suivre d’ici à 2020.

Les deux scientifiques poursuivent un travail entrepris depuis plus de sept ans. En 2012, ils avaient déjà publié dans Nature, sous la direction de Manfred Lenzen, spécialiste de développement durable à l’université de Sydney, une cartographie des pressions exercées sur les écosystèmes par les chaînes d’approvisionnement en marchandises et en produits alimentaires. En excluant les espèces invasives, ils concluaient que 30 % des menaces qui pèsent sur les espèces dans le monde sont liées au commerce international – une proportion qui peut atteindre 60 % dans certains pays comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou le Sri Lanka.

Impact sur l’Asie du Sud-Est

La consommation – principalement par les pays développés – de café importé, de thé, de sucre, de textiles, de poisson et d’autres articles manufacturés affecte ainsi la biodiversité des pays producteurs – majoritairement en développement – à des milliers de kilomètres de là. En 2012, les scientifiques avaient par exemple calculé que les biens importés par l’Allemagne menaçaient 600 espèces différentes dans le monde, notamment en Russie, au Soudan et à Madagascar.

Les pressions exercées sur la biodiversité mondiale par l’Union européenne. Le violet foncé montre les espèces terrestres les plus affectées et le vert celles maritimes.

L’étude publiée mercredi va plus loin, en détaillant les menaces qui pèsent sur la biodiversité à la fois terrestre et côtière, et ce à une échelle régionale et non plus seulement nationale. Pour réaliser leur carte, les auteurs ont recensé les zones de répartition de 6 803 espèces animales vulnérables ou en danger, inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale de conservation de la nature. Les périls qui entraînent leur disparition – 166 au total, tels que l’exploitation forestière, l’agriculture ou les transports – ont été reliés à des secteurs de production économique. Puis les biens et services concernés, issus de 15 000 industries dans le monde, ont été associés aux consommateurs finaux dans 187 pays. En découle un pourcentage de risque pour une espèce dans un pays en raison de la consommation de biens dans un autre.

Au Brésil, par exemple, la survie du singe-araignée commun (Ateles paniscus) est compromise par l’exploitation forestière et la production agricole entraînées par la consommation de biens aux États-Unis. La demande croissante, par les Américains, d’huile d’olive en provenance d’Espagne pourrait bien faire disparaître le lynx ibérique, dont l’habitat est directement affecté par la construction d’un barrage hydroélectrique nécessaire à l’irrigation des cultures. Le bois de Malaisie, largement commercialisé en Europe et en Chine, a lui un peu plus privé d’habitat l’éléphant, l’aigle criard et l’ours malais.

Les pressions exercées sur la biodiversité mondiale par les Etats-Unis. Le violet foncé montre les espèces terrestres les plus affectées et le vert celles maritimes.

Globalement, l’Asie du Sud-Est est la région la plus affectée en ce qui concerne la biodiversité marine. Les consommateurs américains et européens y sont responsables de nombreux fléaux pour la faune – en premier lieu la pêche, l’aquaculture et la pollution. L’Europe exerce également de fortes pressions dans l’océan Indien, sur les îles de La Réunion, de Maurice et des Seychelles. Sur les terres émergées, les Etats-Unis affectent la biodiversité de l’Europe du Sud, des côtes du Mexique, du sud du Canada, du Brésil (Amazonie et plateau brésilien), de l’Espagne ou du Portugal, tandis que les Vingt-Huit menacent celle du Maroc, de l’Ethiopie, de Madagascar ou de la Turquie, essentiellement pour des produits agricoles.

Etiquetage des produits

« Notre carte peut aider les entreprises à faire un choix judicieux de leurs intrants et à atténuer leurs impacts sur la biodiversité. Nous espérons que les entreprises compareront nos cartes et leurs lieux d’achat et reconsidéreront leurs chaînes d’approvisionnement », explique Keiichiro Kanemoto. Les auteurs appellent à un étiquetage des produits en fonction des risques qu’ils entraînent pour la biodiversité. « Les consommateurs pourraient ainsi choisir des produits respectueux de la biodiversité dans leur vie quotidienne », poursuit le scientifique nippon.

D’autant que, selon l’étude, les zones à protéger sont moins vastes qu’attendu : 5 % des aires marines les plus affectées par la consommation américaine concentrent par exemple 60 % des habitats des espèces menacées. L’étude peut ainsi permettre de « cibler les zones prioritaires ». Aujourd’hui, 90 % des 6 milliards de dollars (5,7 milliards d’euros) mobilisés annuellement pour protéger les espèces en danger sont dépensés dans les pays riches. Or « ce sont rarement dans ces pays que se trouvent les points chauds », relève M. Kanemoto.

« C’est une des premières études qui permet de faire le lien direct entre l’impact sur la biodiversité d’un côté et les pays consommateurs et les industries qui en sont responsables de l’autre, au lieu de se contenter d’étudier les pays touchés, juge Céline Bellard, écologue à l’University College de Londres. Or dans un monde globalisé où la plupart des consommateurs souhaitent des produits exotiques, il est essentiel d’avoir une vision claire de l’impact de notre consommation sur la biodiversité mondiale. En outre, les programmes de protection de la biodiversité, notamment lors des conventions internationales, nécessitent d’identifier la responsabilité des pays et des industries. »

« Néanmoins, il s’agit d’une première étape. A terme, il sera important, à une échelle locale, d’utiliser des informations plus précises sur les populations menacées et d’élargir l’étude au commerce illégal, prévient-elle. Il faudra également étudier l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement : entre les industries productrices en amont et les consommateurs en bout de chaîne, les intermédiaires ont aussi une responsabilité dans le déclin de la biodiversité. »

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