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Billet de blog 9 janvier 2017

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Retour de Beyrouth

Le Liban compte 4 millions d’habitants dans un territoire grand comme le Département de la Gironde. Il accueille, à l’heure actuelle, 2 millions de déplacés venus de Syrie et 500000 palestiniens.

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Illustration 1
Beyrouth © jean-pierre charbonneau

Les conflits font rage à sa porte. La guerre civile a duré de 1975 et 1990 et a laissé des séquelles dans les esprits, les corps et le pays. Israël et le Hezbollah se sont battus en 2006 conduisant à la destruction de nombreuses infrastructures.

Et pourtant le Liban et les libanais manifestent la volonté de vivre malgré les innombrables difficultés.

Beyrouth a été en partie détruite, séparée pendant 15 ans par une ligne de démarcation que ceux qui ont vécu cette période n’ont pas oubliée. La ville n’a quasiment pas de transports publics, les rues n’ont que rarement des trottoirs, le centre vide est un simulacre de lieu de rencontre…Et pourtant Beyrouth vit, tant bien que mal parfois, avec des difficultés sans doute, mais Beyrouth fonctionne.

La comparaison avec notre pays est brutale, pas nécessairement pour le Liban. La France possède un territoire de 650 000km2, une population de 63 millions d’habitants. Pourtant, dés lors qu’il s’agit d’accueillir quelques dizaines de milliers de déplacés ou de migrants, on entend des  cris d’orfraie !

Il semble qu’il soit plus facile de faire de la communication et de porter des points de vue simplistes et définitifs à la Trump que d’analyser avec une certaine objectivité, de discuter de diagnostics et de solutions, d’agir avec des propositions adaptées. On peut parler de racailles des banlieues, d’éradications multiples, d’identités tout à coup retrouvées mais il est difficile de défendre des évidences, de s’accorder sur des consensus, de reconnaître des réalités objectives. Marie Peltier * parle de la victoire de la propagande complotiste qui, après la décrédibilisation de la parole publique, voit fleurir la falsification des faits par des extrémistes sans vergogne comme Poutine et bien d’autres à la moindre notoriété.

S’agit-il d’une période éphémère ou d’un horizon destiné à durer ? Si tel est le cas, ce que notre société porte de valeurs de justice, d’égalité, de soin doit s’attendre à être sans arrêt remis en cause, discuté, controversé. Comme si la parole n’était plus permise sans le doute sur la parole.

L’action urbaine justement est fondée sur des valeurs : c’est une certaine société que l’on défend, vers laquelle on cherche à tendre. Mais les questions urbaines sont complexes, à l’image des sujets sociétaux et parce que toute cité est un système compliqué. On doit convoquer l’intelligence, des études, des décisions, de la continuité. On ne peut se satisfaire de réponses toutes faites, à l’emporte pièce. D’autre part les problèmes ne se règlent pas en un tour de main : si les points de vue analytiques ou critiques éclairent, ils doivent être suivis d’actes et les engagements doivent donner lieu à des réalisations. Est-ce dans ces brèches que s’engouffrent les populistes de tout crin qui nient la complexité et revendiquent des approches simplifiées, tranchées, caricaturales ? En ces temps de défiance et de travestissement de la réalité, il est essentiel de ne pas ramener l’urbain à des slogans ou à de la communication. Jusqu’à présent, on a en partie échappé en France aux visions trop simplistes, à trop de démagogie, de cynisme, de désinvolture. Beaucoup d’acteurs cherchent sincèrement à agir de manière positive pour les territoires et les concitoyens. Mais dés lors que l’on peut raconter n’importe quoi sans avoir de comptes à rendre, ne devons nous pas prendre acte du changement et avoir un engagement plus déterminé, moins consensuel : « la vérité n’est plus la bienvenue » rappelle Marie Peltier* » ? Doit-on intégrer qu’à l’avenir la pratique du mensonge pourrait se développer?

Du coup, oubliant le consensus, je propose une mesure : cherchons dans nos communes à dégager des marges budgétaires, que l’on aura économisé en étant plus sobres et attentifs aux choix, en simplifiant et agissant avec mesure. Grâce à cet argent, finançons des initiatives permettant d’apporter localement des solutions pour les déplacés : des logements, une intégration dans les écoles, un accompagnement…Une utopie ? Le Liban le fait dans des conditions autrement plus difficiles. La France n’en serait pas capable ? Il y a plus de 30000 communes, leur est-il impossible d’accueillir ces personnes en fonction de leur taille ? Elles y trouverait souvent avantage, quand la population rurale a tendance à vieillir, que l’on peine à trouver des forces vives pour assurer certaines tâches, que la capacité d’innovation patine, que des villages entiers se désertifient, que des écoles ferment…Techniquement, il n’y a pas de difficulté. Financièrement cela est envisageable. Politiquement c’est compliqué, montrant l’état du débat politique sur le sujet. Pourtant il s’agit des valeurs de la République, qui parlent de 1789, de notre récit national. Voilà un beau thème en période préélectorale : la parole politique réhabilitée non dans un illusoire consensus mais en assumant controverse et conflit et s’engageant dans les actes ! Chaque ville, en plus de l’attention à ses propres habitants, se donnant les moyens d’accueillir des déplacés, alors que ce sujet ne va pas tarir par miracle. Il fait partie du paysage mondial et local et nous ne sommes pas face à un accident de l’histoire, un événement vite oublié. Les guerres, le réchauffement climatique appartiennent à notre présent et à notre avenir. Si l’urbanisme consiste à analyser des situations pour tenter d’apporter des solutions, l’accueil de ces migrants involontaires dans nos villes et nos villages en fait partie pour les aider certes mais aussi parce que nous pouvons y trouver notre intérêt.

Il serait opportun de substituer au doute généralisé un engagement déterminé.

* Marie Peltier : Historienne, chercheuse et enseignante à Bruxelles, elle travaille depuis 2011 sur les questions interculturelles et la narration des conflits au Moyen-Orient.

Le Monde du 15 décembre 2016 : « La chute d’Alep, c’est la victoire de la propagande complotiste ».

"Retour de Beyrouth", texte à paraître dans le numéro 16 de Tous Urbains

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