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L’industrie alimentaire se détourne en masse des œufs de poules en cage

Le groupe Les Mousquetaires vient de bannir les élevages de volaille en batterie. Il suit un vaste mouvement de la grande distribution.

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Publié le 09 janvier 2017 à 11h49, modifié le 10 janvier 2017 à 09h55

Temps de Lecture 5 min.

Le temps des poules en cage pourrait bientôt être révolu en France. Lundi 9 janvier, le groupe de grande distribution Les Mousquetaires (Intermarché, Netto, etc.) s’est engagé à cesser de vendre des œufs de gallinacées élevés en batterie d’ici à 2020 sous sa marque propre et d’ici à 2025 pour l’ensemble des fournisseurs de ses rayons. L’enseigne suit ainsi un mouvement sans précédent qui touche l’ensemble de l’industrie alimentaire : depuis quelques mois, les supermarchés, mais aussi la restauration collective, l’hôtellerie et les fabricants bannissent, à tour de rôle, ces coquilles associées à une souffrance animale dont l’opinion publique ne veut plus.

En mai 2016, une vidéo de l’association de protection animale L214 suscitait une vague d’indignation et d’écœurement. Filmées en caméra cachée au GAEC du Perrat, une exploitation de 200 000 poules pondeuses de l’Ain, les images montraient des animaux qui se bousculaient dans des cages exiguës surplombant à peine des amas de fientes. Des asticots proliféraient au sol, des poux grouillaient sur les œufs et des cadavres en décomposition gisaient au milieu des autres gallinacées déplumés. Les ministres de l’agriculture et de l’environnement avaient alors annoncé la fermeture de l’établissement. La grande distribution, dont Intermarché, avait arrêté de s’y fournir.

« Notre engagement répond à une demande croissante des clients, de plus en plus attentifs aux conditions d’élevage et au bien-être animal, explique le communiqué du groupe. Cette démarche est mise en place en concertation avec la filière en pleine mutation. D’ici à 2025, les éleveurs auront le temps nécessaire pour s’adapter aux nouvelles exigences et développer des méthodes d’élevage alternatives à la cage aménagée. »

Distributeurs, restaurateurs, hôtellerie

L’annonce est de poids : le groupe Les Mousquetaires, la troisième enseigne de grande distribution française, représente 15 % des parts du marché des œufs, soit environ 750 millions d’unités vendues chaque année.

Le 20 décembre 2016, un autre mastodonte, Carrefour, le premier distributeur du pays, qui écoule plus d’un milliard de coquilles par an, s’est également engagé à bannir les œufs de « catégorie 3 » dans les mêmes délais. Ces promesses font suite à celles, très récentes, de Lidl, d’Aldi, de Norma et de Super U (sur sa seule marque). Monoprix, de son côté, a déjà opéré le changement sur la totalité de son rayon œufs depuis avril 2016, après Atac et Colruyt (enseigne de grande distribution belge).

Du côté de la restauration collective, Sodexo, Compass et Elior, les trois majors qui totalisent les trois quarts du marché français, veulent en finir avec les poules en batterie au plus tard en 2025, et ce partout dans le monde. L’hôtellerie n’est pas en reste. Tandis que Marriott International et Hôtels Hilton ont déjà franchi le cap, la première chaîne hôtelière de France, Accor (Sofitel, Novotel, Mercure, Ibis), et InterContinental Hotels Group viennent de s’y engager dans un délai respectif de trois et de cinq ans en Europe. Des industriels, qui utilisent les œufs pour confectionner leurs mayonnaises, leurs pâtes ou leurs pâtisseries, ont également choisi de s’en passer, tels que Lesieur, Amora, Lu, Barilla ou Saint-Michel.

En 2025, c’est donc l’essentiel du secteur alimentaire qui aura évolué. Un changement majeur, car la France est le premier producteur européen d’œufs, avec 14,7 milliards d’unités en 2015, selon les données de la filière avicole. Or 68 % des 47 millions de poules pondeuses sont aujourd’hui élevées en cage, contre 25 % en bâtiments avec accès au plein air et 7 % au sol sans accès au plein air. L’Hexagone reste à la traîne de ses voisins européens, qui enregistrent une moyenne de 56 % d’élevages en batterie. En Belgique, aux Pays-Bas ou en Allemagne, tous les supermarchés ont déjà banni de leurs rayons cette production.

« On est dans une tendance très positive et d’autres annonces vont suivre dans les prochaines semaines, se félicite Johanne Mielcarek, chargée de la campagne œufs à L214, qui a collaboré avec les enseignes. C’est la première fois qu’un changement dans les conditions d’élevage se fait grâce au marché et non pas à la législation. »

La directive européenne relative à la protection des poules pondeuses, adoptée en 1999 et entrée en vigueur en 2012, avait officiellement renforcé les règles en vigueur, mais maintenu l’élevage en cage et des conditions de vie incompatibles avec les besoins physiologiques des animaux. Elle exige ainsi que les gallinacés disposent d’un espace vital d’au moins 750 cm2 (à peine plus qu’une feuille A4), assorti d’un nid, d’un perchoir et d’une litière permettant le picotage et le grattage. Des éléments qui font le plus souvent défaut. Surtout, les oiseaux sont enfermés soixante-huit semaines durant, depuis l’âge de 18 semaines jusqu’à leur réforme, sans jamais voir la lumière du jour.

La vidéo de l’association L214 sur le GAEC du Perrat, en mai 2016, montrait des poux qui grouillaient sur les œufs et des cadavres en décomposition gisant au milieu d’autres poules déplumées. L’élevage a été fermé depuis.

Renforcement des campagnes des associations

Comment expliquer ce récent rejet, par l’industrie agroalimentaire, d’un système qui a fait l’unanimité pendant plusieurs décennies ? Les vidéos-chocs ont joué pour beaucoup dans l’opinion publique. A la fin de 2014, les consommateurs français étaient 90 % à se montrer favorables à l’interdiction des élevages en batterie, selon un sondage OpinionWay. Mais les changements de pratiques restaient freinés par les différences de prix et la méconnaissance du code situé sur la coquille indiquant son origine (s’il commence par 0, il s’agit d’élevage bio, par 1, de plein d’air, par 2, au sol, et par 3, en batterie).

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Le tournant est surtout à mettre au crédit du renforcement des campagnes des associations. « En juillet 2016, nous avons créé la coalition Open Wing Alliance, qui regroupe des ONG internationales et pèse plus lourd face aux entreprises, explique Johanne Mielcarek. Aux Etats-Unis, l’une d’entre elles, The Humane League, a réussi à convaincre l’an dernier 80 des 100 plus gros industriels américains de bannir les élevages en cage. La filière a désormais compris qu’il valait mieux être dans une optique de négociation que de confrontation avec nous. »

« Il y a un effet d’entraînement du marché, confirme Amélie Legrand, chargée des affaires agroalimentaires pour l’ONG Compassion in World Farming, dont l’une des campagnes prioritaires s’intitule Une nouvelle ère sans cage. Les entreprises ont maintenant intégré la problématique du bien-être animal dans leur stratégie. Et les poules en cage en sont le sujet phare, qu’elles ne peuvent plus ignorer. »

Pour autant, les objectifs de la filière peuvent paraître lointains. Et les marques ne se rabattront pas exclusivement sur les poules élevées en agriculture biologique ou en plein air. Elles vendront également des œufs issus d’élevages au sol, dans lesquels les poules sont neuf par mètre carré (soit un cercle de 38 cm de diamètre chacune), sans accès à l’extérieur ni à la lumière naturelle. « C’est loin d’être un idéal, concède Johanne Mielcarek. Mais nous sommes pragmatiques : notre objectif était d’éliminer le pire traitement infligé aux poules, à très grande échelle, le plus rapidement possible. »

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